Le rap a-t-il un problème de plagiat?

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Culture

Le rap a-t-il un problème de plagiat?

Les accusations fusent soudainement de partout.

Difficile de ne pas voir une ressemblance lorsqu’on écoute les refrains respectifs de Commando de Joe Rocca et de Rien à branler du rappeur français Lorenzo. La plus grande différence, hormis les paroles, est la date de parution : la première chanson est sortie à la fin 2016 alors que la seconde est sortie au cours du premier trimestre de 2018.

La ressemblance n’a pas échappé à Joe Rocca et à sa maison de disque, Bonsound, qui ont fait appel à un professionnel pour démystifier le tout. « Pour VNCE et moi, qui avons composé la chanson, ça ne faisait aucun doute, et le musicologue nous l’a confirmé. Selon son diagnostic, la chanson est dans la même gamme d’accords, la progression mélodique du refrain est quasi-identique tout comme le drum pattern, raconte le rappeur. Avec les Dead Obies, une histoire du même genre nous était arrivée avec notre chanson Where they @. On pensait qu’elle avait été plagiée par un boys band américain, mais, dans ce cas-ci, le musicologue nous avait dit d’oublier ça parce que ce n’était pas flagrant selon lui. Pour Commando, c’est une tout autre histoire », poursuit-il. De son côté, le rappeur Lorenzo s’est défendu d’avoir plagié la chanson de Joe Rocca en lui répondant sur Instagram qu’il ne l’avait jamais entendue avant que cette polémique naisse.

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Le cas de Joe Rocca et de Lorenzo en rappelle un autre de la scène du rap keb. Il faut remonter en février 2016, lorsque les artistes français Booba et Christine and the Queens ont sorti le vidéoclip de leur single Here. La vidéo en question s’inspire très fortement d’une vidéo québécoise, celle de Blue Volvo de Loud Lary Ajust sortie en juillet 2015. Si, à cette époque, beaucoup d’observateurs y voient un cas de plagiat, aucune poursuite ne sera intentée par LLA ou le réalisateur Martin C. Pariseau.

« Quand t’as un cas fort, ça vaut la peine d’envoyer une mise en demeure pour voir si l’autre partie va vouloir régler la situation en mettant un crédit et/ou en réglant le litige à l’amiable, estime Bertrand Menon, un avocat spécialisé en droit des arts et du divertissement. Ce qui est clair, c’est qu’il faut faire un avertissement. Il est possible que ça se règle hors tribunal comme une grande majorité des cas. Je pense que la meilleure façon pour des artistes de se protéger entre eux, c’est de dénoncer ça. Il faut faire attention à la diffamation, mais aujourd’hui c’est très simple de faire une sortie médiatique pour pointer du doigt un cas de plagiat. Une simple publication sur les médias sociaux peut parfois suffire », ajoute-t-il.

C’est ce qu’a fait Joe Rocca pour exposer au maximum Lorenzo. « Je l’ai exposé dans mes stories Instagram en incitant mes abonnés à commenter d’un L (pour « loser ») ses dernières publications. Les gens ne sont pas aveugles, ils ont vu la ressemblance et il s’est fait call out. Il y a eu comme un buzz autour de ça, et Lorenzo a répondu à une de mes stories en disant qu’il n’avait jamais entendu ma track et qu’il n’avait donc pas copié mon son. Ce qui est drôle dans toute cette histoire, c’est que je ne connaissais pas du tout ce rappeur. C’est un gars qui buzze parce qu’il se la joue semi-humoriste. À vrai dire, ce n’est pas un rappeur, c’est juste un youtubeur. Au final, cette histoire est derrière moi, je laisse le label faire les démarches nécessaires », conclut le rappeur.

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Crédit photo: Dja Photographie

Au Royaume-Uni, le cas Commando trouve en partie écho dans l’histoire de Paigey Cakey, une rappeuse londonienne qui s’est fait plagier son morceau Down, sorti le 27 décembre 2016, par le rappeur français SCH dans sa chanson en collaboration avec Lacrim, Ça va, sortie le 5 mai 2017. Dans ce cas-ci, l’instrumentale est quasi identique et le flow de SCH reprend les mêmes intonations que celui de Paigey Cakey.

Si dans un premier temps la rappeuse s’est indignée sur les médias sociaux, la polémique est aujourd’hui terminée. Dans une interview publiée au mois de février 2018, elle affirme que cette histoire lui aura permis d’être connue auprès du public français et qu’elle n’en veut plus à SCH.

Toujours au Royaume-Uni, en novembre 2016, le rappeur Skepta a utilisé sans autorisation les clichés du photographe marocain Ilyes Griyeb pour faire la promotion de sa marque de vêtement MAINS. Plusieurs mois après, le rappeur publie un lookbook et une vidéo imitant le style du photographe. « D'abord il y a eu vol, puis il y a eu plagiat », explique Ilyes Griyeb.

« Dans un premier temps, ils m'ont volé deux photos de ma série Moroccan Youth pour annoncer le lancement de la marque en les utilisant avec le logo de la marque MAINS dessus. Puis, huit mois après, vient le plagiat. C'est quand je vois les photos, la vidéo et le lookbook que je comprends que leur base de travail était ma série dans son entièreté. Je me dis que c'est dommage, toute cette histoire. Le mec aurait simplement pu me contacter pour collaborer. Personne de son équipe ne m'a parlé de cette histoire. Même si j'ai pu entendre ici et là que j'aurais soi-disant reçu des messages de sa manager, il n'en est rien. Au lieu de ça, ils vont chercher un photographe à la mode qui capte rien du tout au sujet et au pays », raconte-t-il.

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Photo de Ilyes Griyeb issue de sa série Morrocan Youth

Capture d'écran de l'Instagram de Skepta

Hormis le plagiat, l’histoire d’Ilyes Griyeb suscite un autre débat, celui de l’appropriation culturelle. Lui qui compte déclencher des poursuites contre Skepta prochainement essaye également de se protéger, ainsi que les autres artistes maghrébins, contre ce genre de cas. « J'ai lancé un collectif avec un ami qui s'appelle NAAR et qui veut dire “le feu” en arabe, mais aussi “ narrate and reclaim”. On a compris que, si on ne faisait pas les choses par nous-mêmes, le Maroc continuera d'être pillé par les artistes occidentaux. »

Le cas qui a fait le plus de bruit au cours des cinq dernières années dans l’industrie du rap et du RnB remonte à 2013 et au tube Blurred Lines de Robin Thicke, Pharrell Williams et T.I., qui ont été accusés d’avoir plagié Got to Give It Up par la famille de Marvin Gaye. Après deux procès, la famille de Gaye a obtenu gain de cause et touchera des dommages-intérêts de 5,3 millions de dollars ainsi que 50 % des redevances de la chanson. Une bataille judiciaire qui aura duré plusieurs années en raison notamment du débat qu’elle a suscité, à savoir l’application d’un copyright sur un style musical tant la ressemblance entre les deux chansons ne paraissait pas si flagrante pour de nombreux observateurs.

Plus récemment, aussi aux États-Unis, Kendrick Lamar s'est retrouvé accusé de plagiat pour un vidéoclip extrait de la bande originale du film Black Panther. L’artiste Lina Iris Viktor affirme que le rappeur a utilisé une de ses œuvres dans le clip pour All the Stars . Dans la mise en demeure envoyée à l’équipe de Kendrick Lamar, son avocat explique qu’elle avait été contactée à deux reprises pour obtenir l’autorisation d’utiliser son travail, mais qu’elle aurait refusé chaque fois. L’équipe du rappeur aurait donc décidé de s’inspirer fortement de son travail pour tourner le vidéoclip en question.

Photo de l’œuvre de Lina Iris Viktor

Capture d’écran du vidéo-clip « All The Stars »

Mais alors, où est la limite entre plagiat et inspiration? « Elle peut être très mince et il n’y a pas vraiment de réponse légale à cette question, explique Bertrand Menon. Le plagiat implique une notion de mauvaise intention. Quand tu plagies, c’est que tu as la volonté de reprendre l’œuvre de quelqu’un et de ne pas le dire. La mauvaise intention, c’est quelque chose de répréhensible, tout comme s’approprier le succès d’un autre et faire croire que c’est le tien. »

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