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Même le dictionnaire reconnaît la popularité du survivalisme

De plus en plus de gens se tournent vers l’apprentissage de la survie dans la nature.
Même le dictionnaire reconnaît la popularité du survivalisme
Photo par Kyle Glenn via Unsplash 

Le mot survivalisme a fait son entrée la semaine dernière dans le dictionnaire Larousse. Cette « officialisation » du terme est le reflet de l'intérêt grandissant pour l’apprentissage de la survie dans la nature ces dernières années. Avec la popularisation des théories de l'effondrement et de la collapsologie, et le succès de nombreuses émissions comme Doomsday Preppers, Dual Survival ou Seul face à la nature, le survivalisme est partout.

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Sur YouTube, la tendance est frappante, et on trouve de plus en plus de chaînes de bushcraft, « l’art de vivre dans les bois ». Des youtubeurs comptent des millions de visionnements en se filmant en train de faire du feu et de construire des abris dans les bois. C’est le cas de l’Ontarien Joe Robinet, qui ne se considère pas comme un survivaliste, mais qui montre sur sa chaîne YouTube comment passer des nuits et des jours seul dans la forêt, dans des conditions souvent difficiles.

Le plus connu de cette tendance est l'Australien John Plant, avec sa chaîne Primitive Technology, qui construit des huttes, des abris en terre, des fournaises, tout cela sans un mot, et sans un seul outil, en utilisant uniquement ce qui se trouve dans la nature. Ses vidéos auraient été considérées nichées il y a quelques années, mais, aujourd’hui, Primitive Technology est suivie par 9,4 millions d’abonnés.

Bertrand Vidal, sociologue à l’Université Paul-Valéry-Montpellier et auteur de l’ouvrage Survivalisme : êtes-vous prêts pour la fin du monde? aux éditions Arkhê, n’est pas surpris de l’entrée du mot survivalisme dans le dictionnaire : « Le mouvement, né dans les années 60, est un mouvement un peu confidentiel, dans lequel régnait une culture du secret. On se cachait quand on était survivaliste, explique le sociologue. Aujourd’hui, on n’a plus peur de dire “je suis survivaliste”. »

On n’est plus du tout dans l’image d’Épinal de l’ancien survivaliste, celui qui a été théorisé dans les années 60, 70, qui voulait se protéger des immigrés, des communistes. Aujourd’hui, les peurs ont changé. - Bertrand Vidal

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Il y a presque autant de formes de survivalisme que d’individus : ceux qui veulent apprendre à vivre off the grid parce qu’ils veulent vivre hors de la société, ceux qui veulent un retour à la nature, ceux qui se préparent à des attaques de zombies. Ces dernières années, c’est la mouvance environnementale et écologiste qui s’intéresse particulièrement au survivalisme et qui participe à le populariser : « Cette mouvance allège également le discours très réactionnaire, très extrême droite du survivalisme originel, explique Bertrand Vidal. On n’est plus du tout dans l’image d’Épinal de l’ancien survivaliste, celui qui a été théorisé dans les années 60, 70, qui voulait se protéger des immigrés, des communistes. Aujourd’hui, les peurs ont changé. »

Pour le sociologue, l’évolution de la vision du progrès a joué un rôle important dans cet intérêt pour le survivalisme : « Le progrès n’est plus vu comme une panacée, explique-t-il, on ne se dit plus, contrairement à ce qu’on se disait il y a deux siècles, que le progrès va nous amener vers un avenir meilleur. Donc, au cas où, il faut que je sache me débrouiller seul dans les bois, que je sache reconnaître les champignons, les animaux les plantes… »

L’autre tendance que remarque Bertrand Vidal, c’est le passage de l’accumulation matérielle à l’accumulation immatérielle. « Autrefois on voulait accumuler les boîtes de conserve, les munitions. Aujourd’hui, on est plutôt dans la volonté d’accumuler les savoirs, explique-t-il, et donc on va apprendre comment faire du feu avec deux cailloux ou deux bouts de bois, par exemple. Mais il est intéressant aussi de voir qu’en devenant un peu mainstream, cette culture survivaliste est aussi devenue elle-même une culture de consommation, paradoxalement, parce que c’est une culture qui va contre la société de consommation. Les youtubeurs les plus suivis vont présenter le meilleur couteau, la meilleure vapoteuse pour le postapocalypse, ou même la meilleure poule. »

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Bertrand Vidal donne l’exemple du survivaliste Vol West, un français qui habite dans le Montana et qui a désormais ouvert sa propre page Amazon.

Cet intérêt grandissant pour le survivalisme, Mathieu Hébert en est témoin. Il est le cofondateur de l’école de survie québécoise Les Primitifs, qui a ouvert ses portes en 2007. « Au début, on enseignait la survie en forêt et on disait pas vraiment aux gens qu’on était survivalistes. On avait peur d’aborder le sujet comme tel, explique-t-il. Et à un moment donné, c’était l’inverse, c’est les gens qui nous disaient : “Êtes-vous des survivalistes? Parce qu’on aimerait vraiment ça que vous nous en parliez.” »

Mathieu Hébert a vu le regard sur son métier évoluer chaque année : « Je pense qu’à l’époque, les gens avaient pas le goût qu’on leur dise que la société pourrait en partie ou en totalité être fragile, dit-il. Aujourd’hui, à l’école, ça va du jeune qui travaille dans l’informatique au hippie, en passant par le militaire qui vient peaufiner des techniques, et beaucoup de militants écologiques. »

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Geneviève Lavoie de l’école Les Primitifs allumant un feu. Photo : Martin Aubertin

Le milieu du survivalisme a toujours été très masculin, et l’est aujourd’hui encore. La plupart des émissions télé ou des chaînes YouTube mettent en scène des hommes survivalistes, mais Mathieu Hébert remarque que de plus en plus de femmes se rendent aux formations : « C’est souvent 50-50 maintenant, et c’était pas comme ça du tout, du tout au début! » Il nous raconte, ravi, que des adolescentes, des femmes enceintes et des femmes âgées participent souvent aux formations.

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La démarche de Mathieu Hébert, c’est d’enseigner la nature pour mieux la défendre : « Je vois beaucoup de gens qui défendent la nature par principe, c’est ben correct, mais ils ne la connaissent pas, explique-t-il. C’est pas une flèche que je leur lance, mais je me dis, plus on apprend aux gens à être en connexion intime avec la nature, à faire la différence entre les animaux, les plantes, et plus on va vouloir la défendre, cette nature. On veut toujours défendre plus fort quelque chose qui nous tient à cœur, et qu’on connaît. »

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