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travail du sexe

Des élus veulent isoler les travailleuses du sexe dans un secteur industriel

Les fermetures de salons de massage à Laval font craindre le pire pour la sécurité des travailleuses.
Photo : andreas160578/Pixabay

Depuis 2012, la Ville de Laval impose aux salons de massage érotique et aux masseuses d’obtenir un permis et de se conformer à un code vestimentaire qui exige, entre autres, qu’elles portent « un uniforme blanc ou de couleur pastel ». La réglementation est devenue encore plus sévère le 16 janvier 2018, lorsque le conseil municipal a adopté un règlement qui restreint l’emplacement de nouveaux salons à une zone industrielle et limite le nombre de ceux-ci à cinq.

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Quelques semaines auparavant, la Ville n’avait reconduit qu’un seul des permis d’exploitation de salon de massage sur son territoire. Selon le Journal de Montréal, environ la moitié des 39 permis ont été retirés. Des intervenants du milieu nous disent que les autres dossiers sont toujours en attente, mais que les propriétaires perdent espoir.

Marc Demers, le maire de Laval, accueille avec joie les modifications du règlement L-2000, mentionnant, dans un communiqué de presse, que toutes les activités reliées au travail du sexe seraient repoussées à un seul secteur industriel, alors qu’avant, elles étaient autorisées dans 14 secteurs différents.

Robert-Charles Longpré, le conseiller spécial du maire, n’aime pas l’image du Red Light qui a été colportée dans les médias : « Ce n’est pas comme à Amsterdam, avec une prostituée dans une vitrine au pied carré. À Laval, ce sera cinq établissements dans un quadrilatère précis. On est loin du Red Light. Et on n’est pas non plus dans le puritanisme américain. Notre but n’est pas de fermer les salons. Nous retirons simplement le permis à ceux qui ne sont pas conformes. »

Un aperçu du secteur industriel où seront confinées les entreprises de services érotiques à Laval. (Capture d'écran/Google Street View)

Pour le moment, Nuru Massage est le seul salon de massage en zone autorisée, donc capable de poursuivre ses activités commerciales en toute légalité. Le gestionnaire de la page Facebook du salon affirme tout de même être touché par un aspect de la nouvelle réglementation, celui de ne pouvoir afficher ses services librement. « Nous venons tout juste de commencer à offrir des séances de naked sushi et de massages glow in the dark, mais nous n’avons pas le droit d’en faire la publicité, » raconte-il pour se faire de la publicité.

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Des contraventions trois jours après l’adoption de la nouvelle réglementation

Le propriétaire d’un autre salon, désirant garder l’anonymat par peur d’une plus grande répression policière, trouve cela suspect. « La situation actuelle n’est pas nette », dit-il, avant d’expliquer qu’un avocat a été engagé pour étudier les possibilités de recours. « Les démarches sont longues et coûteuses. Plus on avance dans le temps sans détenir de permis et plus les filles ont peur de venir travailler. Elles s’exposent à de lourdes amendes, elles aussi, quand elles continuent à travailler pour un exploitant qui n’a plus de permis. Le nouveau règlement municipal a été voté le 16 janvier et le 19, la police débarquait pour donner des contraventions pour tout le monde présent au salon. [Nos employées] quittent les beaux salons pour aller dans des endroits plus underground, qui passent sous le radar de la police. »

Le propriétaire du salon maintenant illégal se désole, racontant que lors de l’intervention policière, un policier aurait pris la photo d’une masseuse, nue, sortant de la douche. L’employée se serait alors sentie menacée. « La police se moque du tort qu’elle nous fait. La Ville veut nous fermer coûte que coûte, même si elle sait que chez moi, les filles sont traitées avec respect et que je n’accepte pas de prostitution. » La police de Laval confirme que des photos peuvent être prises, mais uniquement pour être utilisées comme éléments de preuve.

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Les masseuses ne sont pas des déchets

La condition des masseuses préoccupe aussi de nombreux organismes communautaires. SIDA-VIE Laval et la COCQ-SIDA, qui déplorent l’éloignement des masseuses, reléguées comme des « citoyennes de seconde classe » à un secteur industriel isolé, loin de l’accès aux services sociaux et de santé, ou à la clandestinité. Portail VIH/sida du Québec rappelle que les « travailleuses du sexe ne sont pas des déchets qu’il faut balayer lors d’un grand ménage. » L’organisme provincial offre également sa solidarité à la communauté des travailleuses du sexe et souhaite que « leurs voix et leurs droits fondamentaux aient la place qui leur revient, à l’abri des agendas politiques et populistes. »

Longpré, le conseiller spécial du maire, défend la Ville de Laval, rétorquant lors d’un entretien téléphonique que les nouveaux règlements n’ont pas à répondre aux besoins des masseuses, mais aux besoins de parents inquiets par le « potentiel d’exploitation sexuelle » que représentent les salons de massage érotique près d’écoles, de maisons de jeunes ou de garderies. Se disant surpris de la réponse des organismes communautaires, il affirme que Laval ne manœuvre pas une « attaque directe contre les victimes du VIH » ni ne harcèle les travailleuses du sexe.

Panique injustifiée autour de l’exploitation sexuelle

Guy Boisvert, le directeur général de Projet Vénus, un organisme communautaire qui s’adresse à toute travailleuse du sexe de Laval, regrette que des centaines de femmes perdent leur emploi sans qu’aucune donnée probante ne collabore la menace d’exploitation.

Le service de police de Laval a reçu près de 300 000$ pour lutter contre l’exploitation sexuelle après les fugues médiatisées de jeunes femmes en 2016, avance le conseiller Longpré, et le nouveau projet de loi fait partie des efforts de la Ville pour éradiquer celle-ci. Aucune mineure n’a cependant été trouvée dans un salon de massage en 2016 ou lors des inspections plus récentes.

« Contrairement à ce que les représentants municipaux veulent laisser croire, la situation de précarité dans laquelle ces femmes sont placées les rend plus à risque de subir de l’exploitation sexuelle », ajoute Guy Boisvert de Projet Vénus. Selon lui, les salons étaient un environnement sécuritaire puisqu’ils permettent à plusieurs femmes de travailler ensemble, diminuant ainsi les risques de subir de la violence, de souffrir d’isolement ou d’être dans un endroit insalubre.

L’organisme Stella appuie les observations de Projet Vénus et souhaite le retrait ou le report de l’application de la nouvelle réglementation, puisque les travailleuses du sexe n’ont pas été consultées ni averties des mesures prises par la Ville sans étude justifiant les objectifs. « Des élus sacrifient nos vies parce qu'il est politiquement populaire de nous attaquer. Au fil des ans, pousser les travailleuses du sexe dans des zones industrielles isolées est une idée souvent mise de l'avant par des politiciens qui cherchent à nous faire disparaître, souvent abandonnée après consultation avec les personnes concernées », a décrété Sandra Wesley, la directrice générale de Stella, dans un communiqué de presse.

Un règlement d’urbanisme sans effet sur « le désir au bord de la culotte »

Pour Robert-Charles Longpré, il est inutile d’aller vers la communauté des travailleuses du sexe. « On n’a pas besoin de parler à Stella, on fait un règlement d’urbanisme », se justifie-t-il. Le propriétaire du salon de massage tenant à son anonymat ne comprend pas ce manque de considération : « La Ville a changé les règles du jeu sans nous avertir, sans nous donner la chance de nous relocaliser. Les raisons évoquées par la Ville sont peut-être nobles. Il y a eu un problème avec un salon qui avait ouvert juste à côté d’une garderie. Nous payons tous pour ce salon qui était plutôt cavalier dans ses agissements. Mais moi, mon salon n’est absolument pas dans une zone d’école ou de garderie. Je suis sous un restaurant dans un secteur commercial. Sur la même artère, en l’espace d’un kilomètre, il y a 4 bars de danseuses nues. »