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Les choses les plus stupides entendues à une manifestation anti-anti-islamophobie

Il faudrait que les écoles enseignent, notamment, la différence entre une motion et un projet de loi.

Dans les dernières semaines, une motion de la députée libérale Iqra Khalid a été l'objet d'une petite polémique, ce qui est de loin le moins qu'on puisse dire. Cette motion, M-103, qui propose d'examiner « le racisme systémique et la discrimination religieuse » et de lutter contre l'islamophobie en hausse ces dernières semaines, a, pour des raisons obscures, poussé des citoyens à croire que c'était un pas vers l'imposition d'une sorte de charia ici au Canada (ce n'est pas du tout le cas). D'ailleurs, les réactions négatives à la motion n'ont pas tardé : la députée a reçu des messages haineux par milliers chaque jour.

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Le week-end dernier, il y a eu à Toronto une manifestation contre cette motion anti-islamophobie, qui doit être soumise au vote en avril. Sur la page Facebook de l'événement, on le décrit comme un rassemblement pour la liberté d'expression contre M-103. En d'autres mots, c'est un rassemblement anti-anti-islamophobie ou pro-islamophobie.

Ce n'était pas ma première incursion dans un rassemblement contre l'islam en tant que journaliste musulmane bien visible. Comme j'avais assisté il y a quelques semaines à une conférence organisée par Rebel Media, je savais à quoi m'attendre. À la différence qu'il y aurait cette fois-ci une contre-manifestation d'une envergure considérable. J'avais l'impression que les manifestants seraient de beaucoup surpassés en nombre par des contre-manifestants.

En arrivant avec une collègue au square Nathan Phillips, voisin de l'hôtel de ville de Toronto, tout près de la patinoire et de l'enseigne TORONTO en lettres colorées, j'ai d'abord vu quelques centaines de contre-manifestants avec leurs affiches. Il y avait une forte présence policière et, derrière une clôture de fortune en demi-cercle faite de bicyclettes de la police, j'ai trouvé une cinquantaine de manifestants contre M-103.

J'ai passé la plus grande partie de mon temps dans cette bulle anti-anti-islamophobie, ne la quittant qu'à quelques reprises pour me mêler aux contre-manifestants. J'ai limité mes déplacements parce que les policiers se sont montrés de plus en plus stricts dans leur volonté de séparer les deux groupes. Pour revenir dans le demi-cercle la deuxième fois, j'ai dû supplier trois agents.

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Dans le groupe contre M-103, j'ai observé et écouté de nombreuses conversations, en plus de discuter moi-même avec quelques personnes. Les manifestants contre l'islam n'ont pas exactement la réputation d'être le groupe le plus éclairé, et une partie de moi souhaitait entendre parler de « fusils laser muslamistes ».

Malheureusement, personne n'y a fait allusion. Mais, tout comme à la conférence de Rebel Media, peu d'entre eux semblaient savoir de quoi ils parlaient, et tout aussi peu d'entre eux avaient l'air de s'en soucier. Sans plus tarder, voici quelques-unes des choses les plus stupides entendues.

Tout le monde parlait du projet de loi ou de la loi M-103, alors que ce n'est ni l'un ni l'autre. Un projet de loi est une loi proposée, alors qu'une motion n'impose pas de contraintes et n'a aucun effet sur la loi.

Une femme qui ne voulait pas être nommée a dit que M-103 l'inquiète parce que « c'est une loi très vague qui peut servir à faire taire les citoyens ». Le pire selon elle, c'est qu'elle est le début d'une pente glissante. Vers quoi? Si M-103 est adoptée, « vous n'irez plus au tribunal habituel. Vous serez conduit devant un tribunal des droits de la personne, qui n'a pas les mêmes règles. » Dans les tribunaux des droits de la personne, selon elle, « on peut condamner les citoyens et s'ils n'ont pas les moyens de se défendre, ça devient un précédent. Ensuite, doucement, vous perdez votre liberté de dire ce que vous pensez. » Mais elle m'a assuré qu'elle n'avait rien contre les musulmans. Bien sûr que non, Jan.

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Quand je lui ai demandé si elle savait que la motion proposait d'examiner et de contextualiser non seulement les crimes islamophobes, mais aussi tous les autres crimes haineux, son conjoint m'a répondu sans avoir compris la question, à en juger par sa réponse : « L'islamophobie est un faux mot », m'a-t-il assuré. En laissant échapper un peu de salive, il m'a expliqué qu'il a le droit absolu d'avoir peur de ce qu'il veut. « Personne ne peut décider de ce que je peux dire ou faire tant que je n'incite personne à la poser des gestes haineux, point. » Je ne lui ai donc pas demandé comment se manifeste l'islamophobie car, apparemment, ça n'existe pas.

Une membre des Soldats d'Odin présente à la manifestation. Toutes les photos : Mack Lamoureux. 

Une femme prénommée Pat, qui portait une casquette « MAKE AMERICA GREAT AGAIN », m'a dit que, selon elle, les groupes de gauche sont à l'origine de beaucoup des crimes haineux depuis l'inauguration de Donald Trump. « Ils en font la promotion. Prenez par exemple le CND [Comité national démocrate]. De vrais journalistes de Project Veritas ont découvert que le CND a embauché des groupes pour causer des violences physiques dans les rassemblements. » Ensuite, sans raison apparente, elle m'a dit que sa belle-sœur n'avait plus le droit de sortir de chez elle sans une burqa. Je lui ai demandé où sa belle-sœur vivait. « Casablanca ». En réalité, le Maroc a récemment banni la production et l'importation de la burqa.

Un homme qui s'était masqué avec un foulard est venu nous voir, ma collègue et moi, et a commencé à lui parler comme si je n'étais pas là. Il faisait parfois allusion à moi en utilisant le pronom « elle ». Quand est venu le tour des accusations, là il s'est tourné vers moi : « Il n'y a pas de jobs dans les pays musulmans. » Il m'a dit ça comme si je faisais partie d'un complot économique international. Quand je lui ai répondu que « oui, il y en a » (car il y en a), il m'a ignorée. Il a continué à parler à ma collègue, de nouveau comme si je n'étais pas là, jusqu'à ce qu'il mentionne autre chose auquel il s'attendait à une réponse de ma part. J'ai dit que je n'avais pas écouté, désolée. Il a ri et dit à ma collègue : « Ces gens sont bons pour mentir. » Pour finir, il lui a recommandé de lire le Coran d'une couverture à l'autre, mais de ne pas me demander de lui en parler parce que je ne ferais que la bourrer de mensonges.

Eric Brazeau (ci-dessus), condamné à neuf mois de prison pour promotion de la haine, participait aussi à la manifestation. Ma collègue lui a demandé ce qu'il avait pensé de l'attentat à la mosquée de Québec, dans lequel six musulmans ont été tués. « Cette mosquée est alignée aux Frères musulmans, Alexandre Bissonnette a peut-être pensé qu'il rendait service au monde. » Il a ajouté que ces manifestations sont importantes, même s'il n'y était pas à l'aise. Selon lui, les soldats qui sont débarqués sur les plages de Normandie n'étaient pas à l'aise, eux non plus : « On doit faire ce qu'on a à faire. »

La manifestation s'est terminée quand les policiers ont essayé de guider les manifestants en dehors de leur demi-cercle de protection. En escortant d'abord les Soldats d'Odin hors du square, ils demandaient aux autres de partir aussi parce qu'ils ne pouvaient plus les protéger. Tout le temps que j'y ai passé, il était évident que les opposants à M-103 n'avaient aucune idée de ce qu'était une motion et ne tenaient pas à le savoir. Pour eux, c'est une occasion de manifester contre leur véritable ennemi : les musulmans. Bien qu'ils étaient beaucoup moins nombreux que les contre-manifestants, ils semblaient si attachés à leur ignorance que je doute que ces affrontements cessent bientôt.

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