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Culture

Avec la réalisatrice japonaise qui n’en a rien à cirer des femmes mignonnes

Le film « Amiko » de Yoko Yamanaka raconte l’histoire d’une adolescente autant en révolte qu’en amour.
Images tirées du film Amiko.

Les célébrités asiatiques du grand écran peuvent se compter sur les doigts des deux mains. Pour les rôles féminins, il ne faut qu’une seule main. Et quand ces rôles existent, ils sont souvent unidimensionnels et pauvres dans leur construction. Pensons à Knives Chau, la fille gossante dans Scott Pilgrim, ou à Sévérine, la femme fatale sexy et mystérieuse dans Skyfall. Ou même Mao Bougon, la fille adoptée par les Bougons pour faire fortune avec ses « talents en informatique ».

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Quand ils sont à l’écran, les Asiatiques écopent des rôles d'assassines sexys ou de femmes enfantines et soumises. Où sont les Mulans du grand écran? Où sont les rôles féminins comme ceux qu’écrit Miyazaki? Des filles et des femmes complexes, drôles, sensibles et étonnantes.

Ayant grandi moi-même sans modèle qui me ressemble dans les médias, je m’étonne encore chaque fois que je rencontre un de ces personnages. Chacun d’entre eux est comme une permission. Il donne le droit d’être comme lui, d'avoir la même complexité. Il permet de se percevoir comme autre chose qu’un personnage secondaire, un stéréotype ou un fétiche.

Amiko est un de ces films qui sort du lot. Réalisé par Yoko Yamanaka à l’âge de 19 ans, il s’est fait, selon ses dires, « sans supervision adulte ». Elle avoue avoir tourné ce film après avoir lâché son programme universitaire en cinéma (« c’était ennuyant à mourir ») et s’être tannée de lire des mangas chez elle. Avec un budget d’environ 2500 $ et une semaine de tournage, elle a créé Amiko. Avec cette comédie, Yamanaka nous peint le portrait d’une adolescente japonaise névrosée aux tendances anticapitalistes. Le film nous amène à suivre les hauts et les bas d’un amour à sens unique porté par un espoir de révolte. Amiko ira jusqu’au bout des choses (et de ses économies) pour mettre au clair l’injustice suprême de ne pas être aimée en retour.

Malgré son apparence d’écolière mignonne (coupe symétrique, uniforme type « marin »), le personnage d’Amiko (Aira Sunohara) se distingue par son caractère sec et abrasif : « Le mal a trois formes : le tribunal, l'école et les compagnies. » Le film comporte les marques du cinéma indépendant d’ici et d’ailleurs : une direction photo lo-fi aux défauts impeccables, des dialogues profonds et absurdes, et même une brève scène de danse. (« Impossible de ne pas aimer les films qui ont des scènes de danse. C'est pour ça que j'en ai mis une dans le mien. »)

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J’ai pu brièvement parler avec Yamanaka de ses personnages et de sa première expérience en tant que réalisatrice. L’entrevue est traduite du japonais et légèrement abrégée par souci de clarté et de concision.

VICE : Tu étais toi-même adolescente quand tu as tourné Amiko . Comment voulais-tu représenter l’idée de la fille, c’est-à-dire de l’adolescence et de la féminité?
Yoko Yamanaka : Les jeunes utilisent beaucoup Instagram et essaient toujours de trouver le meilleur angle pour être mignons (« kawaii »). Dans les films, c’est pareil. On utilise beaucoup d’actrices très mignonnes et on essaie de montrer l'angle le plus mignon. Dans mon film, je voulais prendre des angles qui ne sont pas forcément mignons. J’ai expressément choisi des acteurs qui n’étaient pas « sexys ». J’ai surtout fait attention au regard des deux personnages principaux. Ma priorité était qu’ils aient un regard intense. Il y a un moment où Amiko a un double menton. J’ai dit à l’actrice de ne pas avoir peur de montrer ce côté. Je pense qu’en tant qu'être humain, c'est très mignon de voir toutes ces facettes différentes.

Comment est-ce que tes personnages se distinguent de ceux qu’on voit habituellement dans le cinéma japonais?
J’avoue ne pas voir beaucoup de films japonais dernièrement parce qu’ils ne sont pas très intéressants [rires]. Mais je pense que les filles doivent souvent être jolies et mignonnes comme des poupées ou des déesses. J’ai fait différemment. Par exemple, j’ai demandé à l’actrice qui joue Amiko, Aira Sunohara, de se rouler par terre sur le sol et de tourner et de ne pas s’inquiéter si on voit sa culotte. C’est un peu une façon d’exprimer ses sentiments. C’est certain qu’on me dit souvent qu’il n’y a pas beaucoup de personnages comme Amiko dans les films japonais.

En Amérique du Nord, beaucoup de gens réclament de voir plus de femmes dans des positions de directrices ou d'écrivaines au cinéma. Est-ce qu’il y a un mouvement semblable au Japon?
Non, pas jusqu'à tout récemment. Dernièrement, je participais à un projet où il y avait des courts métrages faits que par de jeunes réalisatrices. Le sujet était le genre. Je trouve qu’on est un peu en retard, mais ça commence doucement. Les mouvements viennent plus du côté des femmes. Les hommes, eux, ne font pas grand-chose.

Tu as mentionné qu’ Amiko a été fait sans professionnels ou « adultes ». Comment est-ce que travailler sur un plateau DIY change ton approche de la réalisation?
En fait, j’ai appris à faire du cinéma en réalisant Amiko. Dernièrement, j’ai fait un court métrage dans un environnement plus professionnel, donc j’ai pu un peu comparer. En DIY, je peux tout décider moi-même. Il y a des choses qui sont plus faciles à faire. Bien sûr, il y a des choses difficiles aussi, mais il y a surtout moins de stress. Lorsqu'on est dans un monde plus professionnel, c'est plus difficile pour plusieurs raisons. Par exemple, si on travaille avec des acteurs professionnels, il y a toujours des gérants ou des agents qui vont essayer de tout vérifier, même la couleur des vêtements. On a plus de stress dans un milieu professionnel et on se sent plus libre lorsqu'on est en DIY.

Amiko sera présenté le 31 juillet 2018 au théâtre J.A. Desève dans le cadre du festival Fantasia.