Moi, j’aime voir des milliardaires courir après un ballon
Illustration : Pierre Thyss

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La vie, ça va passer

Moi, j’aime voir des milliardaires courir après un ballon

Contrairement aux riches qui, eux, n’aiment pas les autres riches.
Paul Douard
Paris, FR

Le 14 juin, Anne-Sophie Lapix a déclaré au journal de France 2 : « la Coupe du monde de football débute demain et on va pouvoir regarder des milliardaires courir après un ballon », d’un ton qui laissait peu de doutes quant à sa considération pour cette activité. Après avoir mis Twitter à feu et à sang, elle s’est excusée, prenant conscience que sa remarque était sans doute inutile – voir déplacée lorsqu’on se trouvait confortablement installée dans les loges de Roland Garros la semaine précédente. Cela n’en reste pas moins symptomatique d’une France triste qui n’apprécie pas de voir son quotidien tout entier chamboulé par quelques sportifs à ses yeux trop payés.

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Pour ma part, je suis très heureux de pouvoir regarder des milliardaires taper dans un ballon, à l’inverse de certains de mes collègues et amis déversant sur moi des « Super, on va encore ne se taper que du foot pendant un mois ». Les mêmes qui, en vacances, ne supportent pas que l’après-midi paintball soit remplacée par un après-midi piscine.

Je conçois qu’un Suède-Corée du Sud puisse annihiler quelques soirées jeux de société prévues depuis six semaines, mais il convient de se rappeler que, c’est un mois tous les quatre ans. Un-mois-tous-les-quatre-ans. C’est donc moins que toutes ces choses qui nous gâchent déjà la vie le reste du temps, tels que les impôts, la Techno Parade et les live tweet de conférence tech.
Dans ce même élan de mauvaise foi, il n’est pas rare que j’entende que le foot monopolisera l’ensemble des 286 chaînes de télévision du pack famille à 69,99 euros. Pourtant, la plupart des matchs sont retransmis sur une chaîne payante. Chacun est donc libre de continuer à regarder les Anges de la Téléréalité sans trop de soucis. Et quand bien même certains matchs seront diffusés sur TF1, est-ce si grave ? Il y a pire qu’un match de foot à la télévision. Par exemple les émissions de bouffe.

Surtout, la quasi-totalité des matchs sont diffusés à un horaire où les gens sont normalement tous en train de travailler sur un projet de nouveau sèche-cheveux sans fil ou quelque chose d’inutile comme ça. Cela laisse donc une double opportunité : regarder le match et ne pas bosser, ou bien faire semblant de regarder le match et ne pas bosser. Je prends la première solution. Il est donc impossible d’être contre la Coupe du monde, à moins de prendre du plaisir à travailler.

Mais le point Godwin de cette Coupe du monde est atteint dès lors que mon ami Pierre, kinésithérapeute, m’explique après deux mojitos un peu trop chargés « qu’ils sont quand même payés des millions pour taper dans un ballon ». En effet Pierre, au même titre que certains sont payés une fortune pour couler des entreprises, licencier des gens ou avoir leur propre talk-show dans lequel ils peuvent agresser des femmes. Oui, Paul Pogba gagne 50 000 euros par jour. Et alors ? Contrairement à d’autres, il n’a volé personne, n’a pas hérité d’actions Total à sa naissance et ne s’est pas retrouvé là parce que son père est ministre. Lui ne doit sa réussite qu’à son travail et son talent. Merci les moralisateurs, mais ce n’est pas parce que vous regardez des vidéos YouTube intitulées « les dessous du foot » que vous devenez Élise Lucet. Alors tant que ce monde restera un énorme panier de crabes de nantis se permettant de nous expliquer qui mérite de gagner de l’argent et qui ne le mérite pas, je serais très heureux de voir des footballeurs tels que Paul Pogba gagner des millions d’euros chaque seconde s’il donne à quelques jeunes l’envie de se lever le matin – et nous met une lucarne en finale.

Le truc avec ceux qui détestent le foot, c’est que la Coupe du monde fait d’eux des ringards. Pendant un mois, cette frange de la population est mise sur le banc de touche. Ils sont comme ces gens qui n’aiment pas les animaux - personne ne les comprend. Toutes leurs propositions de soirées bar à vin terminent par un « Vu par tout le monde ». Alors qu’ils se sentent habituellement propriétaire de leur ville, les voilà dépossédés d’un territoire qui devrait leur appartenir. Leur table habituelle dans leur QG habituel est déjà prise quand ils sortent du boulot. Heureusement pour eux, il y a environ 6 000 restaurants à Paris et un bar pour 2 000 habitants. Il est donc possible de continuer de vivre sans croiser qui que ce soit portant une perruque aux couleurs de la France. Si personne n’est obligé d’aimer le foot, personne n’est obligé de le subir.

Quand Paul ne regarde pas le foot, il est sur Twitter .