L’alt-right a contaminé la course au leadership du Parti conservateur

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L’alt-right a contaminé la course au leadership du Parti conservateur

Désolé, je voulais écrire un truc drôle, mais le mème de Bernier est sorti et ça a tout changé.

Une course au leadership est un exercice fascinant. La manifestation la plus pure d'un libre-échange des idées dans notre système politique. Les candidats se présentent comme des vendeurs avec comme marchandises leur personnalité et leur vision de l'avenir de l'État offertes à un groupe de partisans pas du tout désintéressés. À la faveur de la concurrence magique entre les forces en présence, les marchandises s'étoffent jusqu'à ce qu'une d'elles apparaisse supérieure et que le parti l'achète ou lui accorde le monopole. Peut-être aussi que ce n'est pas ça du tout. Mais bon, les conservateurs adorent les métaphores inspirées du monde des affaires.

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Mais le monde des affaires est rarement élégant en dehors des manuels d'économie. La dialectique des candidats-marchandises destinée aux consommateurs-partisans qu'ils tentent de représenter ou de refléter peut conduire à situations plutôt confuses. Ce qui arrive même dans des circonstances normales. Mais quand 14 candidats qui ne marquent pas les esprits essaient de crier plus fort les uns que les autres devant un électorat conservateur fracturé, à un moment dans l'histoire où le zeitgeist de l'extrême droite mondial a pris des directions vertigineusement régressives, la course dérape.

Kellie Leitch

Évidemment, la championne en titre du surréalisme dans cette course est Kellie Leitch. Ses vidéos ne sont que la cerise sur le gâteau : le vrai festin se trouve dans la vacuité du personnage. Tout n'est que sous-entendus, allusions et euphémismes de son idée centrale jamais explicitement formulée : il y a trop d'immigrants pas assez blancs et surtout trop de musulmans visibles dans l'espace public. Elle ne dira jamais franchement que les musulmans sont dangereux et peut-être trop nombreux, mais l'idée derrière son test des valeurs canadiennes n'est pas de scruter les publications sur les réseaux sociaux d'immigrants basques ou flamands.

Elle ne peut (ou ne veut) pas expliquer comment, exactement, les méchantes élites écrasent les citoyens ordinaires. À la place, elle s'appuie sur un jargon politique vide de sens, en grande partie importé des États-Unis, pour reprendre à son compte les doléances des Canadiens de l'ouest du pays. Elle n'a pas besoin de déclarer que les musulmans sont un problème, qu'ils sont porteurs d'une maladie sociale appelée l'islam : Rebel Media et consorts dans les médias traditionnels le font à sa place, et elle n'a qu'à se montrer à leurs côtés.

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C'est pourquoi elle a annoncé son plan de test des valeurs canadiennes par l'entremise de Rebel Media. Elle exploite les discours de peur de celle-ci pour séduire le considérable électorat xénophobe, mais s'en lave les mains quand sa campagne part en vrille. Mais elle s'écrasera, car Kellie Leitch n'a pas beaucoup de talent pour la politique.

Mais, comme tous les exaltés des marchés vous le diront, l'offre crée sa propre demande. Le trumpisme de Kelly Leitch a été l'objet d'une fascination spectaculaire et malsaine, un peu à la manière d'un freak show. Et maintenant la demande existe, en grande partie parce que nous vivons dans un monde post-Trump dans lequel toutes les pierres sont retournées et toutes les idées sombres qui se terrent dessous sont étalées au grand jour. Chaque jour, le discours public penche un peu plus vers la peur de l'immigration, de la porosité de nos frontières et des atteintes à nos valeurs.

C'est l'environnement idéal pour une course à la chefferie avec 14 candidats et un vote par classement. Pour gagner, il faut soutirer des supporteurs dans la clientèle des autres en ratissant large et en se servant de la boue lancée par les autres candidats comme Kelly Leitch. Sinon, comment expliquer l'étrange virage de Maxime Bernier?

Mad Max : La route du chaos

« Mad Max » Bernier, le vestige beauceron de l'ère Harper qui se réinvente en héros contestataire rempli de ce qu'il a lu sur internet, a passé la plus grande partie de la course à viser l'électorat libertarien. Système de santé à deux vitesses, réduction draconienne des taxes, furieuse déréglementation de presque tous les secteurs économiques desquels se mêlent les bureaucrates, tous les grands classiques. Dans cette course vers le degré zéro, les riches atteindront de nouveaux sommets et les pauvres de nouveaux fonds.

Sa clientèle est différente de celle de Kelly Leitch : il fait moins dans le discours de peur à propos des musulmans et plus dans le trafic de mèmes grotesques. Ils sont libertariens, en majorité, plus jeunes et plus technophiles que ceux qui crachent leur haine des immigrants dans les tribunes téléphoniques à la radio. Mais il commence à se faire tard et Mad Max doit gagner de nouveaux partisans en plus de ceux qui en ont ras le bol de la gestion de l'approvisionnement des produits laitiers.

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D'où le récent virage contre le « multiculturalisme radical », l'indignation paranoïaque au sujet de la motion M-103 et son rejet d'un projet de loi qui a pour but d'ajouterl'identité et l'expression de genre à la Loi canadienne sur les droits de la personne. D'où aussi son mème le plus grotesque de tous, encourageant ses supporteurs à « prendre la pilule rouge » à l'instar du député du Wildrose Party de l'Alberta Derek Filderbrandt.

Bien entendu, copier une métaphore du film de science-fiction sorti en 1999 que se sont appropriée des misogynes sur Reddit ne signifie pas nécessairement que Maxime Bernier tente réellement de séduire la face cachée antiféministe du libertarisme. Mais le moment était mal choisi.

Il invite les Canadiens à appuyer le plus odieux personnage de la politique provinciale albertaine en « prenant la pilule rouge » le soir où, à l'Université de Calgary, le Wildrose Campus Club a envoyé un courriel avec pour objet « Le féminisme est un cancer » pour promouvoir un documentaire antiféministe intitulé The Red Pill. Ou bien il s'agit de la plus grande bourde freudienne de l'histoire politique canadienne, ou bien Dieu aime autant que tout le monde voir le clown tomber dans le bassin d'eau à la foire. Mais, compte tenu de la présence de l'extrême droite dans l'atmosphère politique en 2017, il se peut aussi que ce soit un bat-signal leitchien pour dire à la droite que, hey, Mad Max aussi en a assez des histoires d'identité de genre et de la rectitude politique.

À bien y penser, c'est la fin de parcours logique d'une course entre des millions de candidats sans réel favori dans un écosystème idéologique empoisonné par le nihilisme post-récession sur internet. Kelly Leitch a créé une demande (à la fois à l'intérieur du parti et dans les médias) pour un candidat qui scandalise les élites politiques et ose dire la vérité sans l'étouffante rectitude politique, même si elle ne pouvait pas livrer cette marchandise. Maxime Bernier, toujours à l'écoute des subtils signaux du marché, est entré en scène et a ramassé les morceaux. Et ça pourrait marcher.

Vous vous souvenez comme on ne détestait pas voir Trump tirer sur tout ce qui bouge, sûrs qu'à la fin tout rentrerait dans l'ordre? Moi aussi.

 Drew est sur Twitter