« je déteste les interviews » – sza, en conversation avec elle-même
Chemise, robe et pantalon Balenciaga Prefall 2018.

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« je déteste les interviews » – sza, en conversation avec elle-même

Alors que le tonnerre autour de son album « CTRL » commence à s'estomper et que son énergie est plus que jamais tournée vers le futur, on a demandé à SZA de nous expliquer, avec ses mots, de quoi il sera fait.

Cet article a été publié dans le n°352 i-D The New Fashion Rebels Issue, Été 2018.

Il s'est passé beaucoup de choses dans la vie de SZA depuis notre dernière entrevue en 2017. Un album platine. Cinq nominations aux Grammys. Son propre hashtag (#JusticeForSZA). Une tournée à guichets fermés. L'approbation de Barack Obama. Des collaborations avec Solange, Cardi B et, bien sûr, Kendrick Lamar pour la bande-originale de Black Panther. Mais en ce moment, SZA ne fait que regarder vers l'avant. Un deuxième album est déjà dans les tuyaux, et avec lui toute les plus belles formes de complexité, d'incertitude et de chaos. Quoi de plus excitant ? CTRL + ALT + SUPPR : SZA recommence tout.

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Veste et chemise Raf Simons. Pantalon Marni.

« Je me sens plus émancipée que jamais aujourd'hui, mais pas dans le sens où tu pourrais l’entendre, ni pour les raisons que tu pourrais supposer. Mais c’est le cas. Je me sens forte parce que je suis débarrassée de mes peurs. J’ai sorti un album, j’ai fait une tournée et je me suis présentée honnêtement devant énormément de gens. C’était des choses très difficiles pour moi à un moment, maintenant ça me paraît beaucoup plus simple et naturel. Chaque lumière, chaque concert, chaque fois, j’en ressors complètement retournée. Chaque instant est une expérience de laquelle apprendre, un moment qu’on peut utiliser pour grandir, comprendre.

L’amour est ma religion maintenant. Quand je fais le bien, je me sens bien. Quand je fais le mal, je me sens mal (comme l’aurait dit Abraham Lincoln). Quand je me comporte comme une conne, c’est un mauvais jour. Aider des gens que je ne connais pas, c’est la meilleure manière de me sortir d’une humeur de merde. J’apprends ça, jour après jour. J’apprends aussi que je ne sais rien. Ces pensées s’accumulent et se transforment en quelque chose puis te connectent à cette source d’énergie qui devient ton moteur. Je n’y connais rien à toute cette merde. Je peux simplement regrouper le peu que je connais et essayer d’en faire sens. Essayer d’être une meilleure personne. Essayer de mieux servir le monde qui m’entoure. Tout ça, il n’y a que toi-même qui puisses le générer. Je pense que tu ne peux pas blâmer quelqu’un d’autre pour le paradis et l’enfer que tu te crées pour toi-même.

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Hoodie Céline. Pantalon vintage des archives de David Casavant. Chaussettes du styliste. Sandales Gucci prefall 2018.

Ma relation avec ma famille est intéressante. On a vécu des moments transformateurs très, très intenses. On ne se voit pas souvent, donc quand on se voit, on parle de tout. Ça nous arrive de chialer au petit-déjeuner. Mais c’est génial. Ma mère sait tout de moi. Mon père sait à peu près tout, tout court. Enfin, mes parents traînent sur internet, comme tout le monde.

L’autre jour, mon père m’a appelée pour me demander si j’étais enceinte. Il m’a demandé ça parce que c’est ce qu’il avait lu sur internet. J’en revenais pas. J’avais fumé un joint avec lui, deux jours avant. Je lui ai dit : « Pauvre fou. » Il a rigolé et m’a répondu : « Tu sais quoi, c’est vrai que c’est fou ». Mais c’est comme ça que ça se passe. Personne ne sait vraiment ce qu’il se passe dans ma vie, alors même si tu m’aimes, parfois il faut plonger dans tout ça pour en retirer les conneries.

Là je suis en train de regarder des images de mac’n’cheese sur Instagram, et ça me rend vraiment heureuse. Peut-être que « heureuse » n’est pas le bon mot, parce qu’il m’est arrivé de vivre des joies immenses dans ma vie, et c’est clairement pas pareil. Est-ce que je regroupe tout ça en un mot ? Ou alors un type de phrase ? Je me sens en tout cas vraiment très bien en ce moment. Je donne tout pour ce petit projet sur lequel je travaille en ce moment. Même s’il y a quelque chose de frustrant, je suis convaincue qu’il aboutira à quelque chose qui me rendra fière, d’une manière ou d’une autre. J’ai un petit plan en tête. J’ai des trucs cool qui traînent au fond de mon cerveau et j’essaye de les sortir.

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Robe Chanel Prefall 2018.

L’anxiété joue un rôle important dans ma vie, mais elle est malléable, elle prend la forme du moment. Les exercices de respirations et de méditations sont d’une grande aide. Je pense qu’Instagram est à la fois une bonne et une mauvaise chose. J’imagine que ça dépend du voyeur. Ça dépend aussi de comment tu l’approches, si tu te compares à tout le monde et à tout ce que tu y vois. Je pense que personne n’a besoin de ce poids supplémentaire dans son champ d’énergie. Mais j’ai aussi le sentiment que c’est un incroyable endroit où trouver de l’inspiration, de l’amour, des opportunités, de la beauté. Ça dépend vraiment de ton état d’esprit. Ne t’y plonge jamais trop, même si tu es dans un voyage complètement fou et sombre. On a tous eu ce genre de journées sur Instagram.

Je trouve de l’inspiration sur Instagram. Aujourd’hui, Instagram c’est comme Google. J’adore me perdre dans des photos de belles femmes. Mais je pense que, pour tout être humain, si tu passes trop de temps à les regarder tu vas te mettre à te regarder bizarrement toi-même. ça dépend vraiment de mon humeur. Par exemple, si je ne me sens pas bien et que je tombe sur des photos de belles femmes à la peau douce sur Instagram, ça peut m’attrister de l’état de mon visage. Mais le lendemain je n’en aurais plus rien à foutre.

J’aimerais bien me retourner le cerveau – j’envie mes amis, mais ça ne finit jamais bien pour moi. Alors je ne bois pas. Je ne supporte pas l’alcool, je vomis très rapidement. Je vomis aussi si je suis trop défoncée. Mon corps me répond trop vite si j’ingère trop de quoi que ce soit. Je viens juste de fumer un joint, je suis défoncée, là. Mais je n’ai pas l’impression d’en faire trop à ce moment précis. Je suis sûre que je pourrais diminuer un peu la weed.

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Veste et chemise Raf Simons. Pantalon Marni.

Je ne vais jamais en club. Je suis allée en club pour l’anniversaire d’un pote récemment. Ça faisait des années que je n’y étais pas allée, et c’était horrible. Je n’y retournerais jamais. C’était tellement bizarre. Tout le monde se regarde pour vérifier que les gens ne les regardent pas ou bien qu’ils les regardent. La musique n’est pas assez forte. J’ai trouvé ça pourri ! Mais j’adore les fêtes quand elles sont inattendues. Pour le jour de l’an, j’étais à Hawaii et j’ai fini par hasard dans la maison de gens que je n’avais jamais vue de ma vie. C’était une sorte de fête dans un jardin avec des feux d’artifice. Je ne sais pas comment on est arrivés là et comment on s’est tous entendus à ce pont, ni pourquoi la musique était si bonne. Mais il y avait une vibe. On a dû fumer trois joints à dix, alors personne n’était vraiment défoncé. On était juste animés par quelque chose.

La nuit des Grammys j’ai fumé un join. Je suis rentrée à l’hôtel avec mes amis juste après la cérémonie, et on était juste morts de rire, parce qu’on avait l’impression d’avoir assisté à un gros sketch. Et c’était moi l’invité surprise. Je n’en croyais pas mes yeux. C’était dingue. Bon après… advienne que pourra. À la fin, j’étais quand même soulagée que ça se termine. Le lendemain, on m’a retiré mon aura et j’ai passé une super journée. Comme si on m’avait enlevé un poids des épaules. Comme si le moment le plus fou et le plus stressant de ma vie était passé et que je pouvais m’en foutre de tout à partir de ce jour-là. Qu’est-ce qui pourrait être plus angoissant après ça ? Bizarrement, je me sentais libre. Et je me disais que je pouvais m’autoriser à viser le ciel. Ça ne m’a pas du tout découragé. J’étais très angoissée sur le moment, et un peu gênée, mais pas découragée. J’ai eu encore plus envie de la musique, parce que j’ai su que je pouvais faire ce que je voulais.

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Hoodie Céline. Pantalon vintage des archives de David Casavant.

Solange à la réalisation de « The Weekend », c’est une affaire qui s’est mise en place quand j’étais en tournée, par hasard. Elle avait une idée très claire en tête. C’était un honneur pour moi d’être vue à travers sa lentille à elle, c’était une vibe. J’ai appris beaucoup, sur la manière de tourner au film, et aussi sur la meilleure façon pour moi de penser et d’exprimer mes idées artistiques. Elle est très haute dans mon estime, je voulais la laisser faire exactement ce qu’elle voulait. Elle et Beyoncé sont deux personnes complètement différentes, elles ont des énergies très différentes mais partagent la même luminosité, la même ferveur et la même individualité. C’est de l’or.

J’ai beaucoup appris des gens qui m’entourent. Ri, c’est le feu. J’adore ce qu’elle fait, j’adore la place qu’elle a dans le monde, son énergie. J’adore ce qu’elle choisit de faire. Elle est juste géniale. Frank Ocean est un roi. Kendrick Lamar est la voix de notre génération. C’est le mec le plus intéressant de la culture actuelle. Je déconne. Ou peut-être pas.

Chemise, robe et pantalon Balenciaga Prefall 2018.

Le mouvement de conscience collectif qu’on observe en ce moment est super excitant. Cette jeune génération comprend que tout le monde est capable de tout. Ça force chaque personne à être elle-même, à accepter les phases de la vie, ses hauts et ses bas. Tout le monde accepte ça : j’en suis là, voilà ce que je veux, voilà que je vais donner, voilà ce en quoi je crois, et tout le monde dit ça en même temps. C’est chaotique. Les gens veulent tous des choses différentes. Mais c’est magnifique de voir des gens identifier ce qu’ils veulent, s’exprimer et s’ouvrir des possibilités. C’est super.

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Je déteste les interviews. C’est une dépense d’énergie très étrange. Je me sens un peu vide ensuite. Je parle comme je parle, je ne sais pas faire autrement. Et j’ai toujours l’impression d’en dire trop, de me séparer d’une petite partie de moi. Je me demande si la personne à qui je parle partage le même moment de vulnérabilité que moi ? Ou alors est-ce que je ne fais que jeter mes pensées au hasard sur quelqu’un, sans que ça ne le touche une seule seconde ?

Avec ma nouvelle musique, je me rends compte que je travaille beaucoup plus qu’avant. J’aime autant la simplicité que la complexité. Je pense que c’est un concept intéressant à explorer. Beaucoup plus fouillis, beaucoup plus chaotique. Je cherche à trouver les moments de beauté extrêmes au milieu de tout ça. Je pense que ça va vraiment devenir super intéressant. Je suis prête. »

Haut Miu Miu. Pantalon JW Anderson (homme).

Credits


Photographie Petra Collins
Stylisme Carlos Nazario

Coiffure Randy Stodghill, OPUS Beauty, avec Oribe. Maquillage Samuel Paul, Forward Artists, avec Chanel Beauty. Stylisme accessoires Natalie Ziering. Assistance photographie Moni Haworth et Steve Yang. Assistance stylisme Anna Devereux, Giovanni Beda, Mohammed Diallo, Alicia Liu, Verper Wolfe, Kenny Paul et Jack Eustace. Couturière Susie Kourinian. Production Suzy Kang et Beau Bright, GE Projects.

Cet article a été initialement publié dans i-D UK.