Incursion dans un hôpital pour toutous

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Culture

Incursion dans un hôpital pour toutous

« Des fois, dans une semaine, je n’arrive pas à m’asseoir derrière la machine à coudre, entre le téléphone, les courriels, la supervision des couturières, la comptabilité… »

Cet article fait partie de la série Coeur de Métier.

La boutique Raplapla accueille dans son « hôpital pour personnes en tissu » des jouets qui ont besoin d’être rabibochés, de la peluche abîmée par accident et celle éprouvée d’avoir traversé les générations. Dans ce même atelier naissent aussi une multitude de créations originales, conçues et fabriquées à Montréal. Des poupées de chiffon et peluches en tissu couvrent les murs et les présentoirs de la petite fabrique du Mile End. Leur créatrice, Érica Perrot, s’est lancée dans la minutieuse confection de l’univers de Raplapla il y a 13 ans et a inauguré la boutique en 2009, dans le local qu’elle occupe présentement.

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« J’ai commencé tout petit, à la maison, pendant une période de chômage », raconte celle qui a étudié en design de mode. Car Érica Perrot se destinait à être costumière, avant Raplapla. À sa sortie de l’école, elle a travaillé quelques années dans le milieu, notamment dans l’atelier du costumier de cinéma François Barbeau. « Finalement, je n’ai pas réussi à trouver de travail en théâtre », explique-t-elle.

L’expérience lui a néanmoins fait réaliser à quel point elle adorait la couture.
« J’ai découvert que j’avais du plaisir à arrimer ça avec une autre passion que j’avais depuis mon adolescence, celle de tout l’univers enfantin, dit la mère de deux enfants. C’est ce qui m’amusait le plus dans la vie. » L’aspiration d’unir ces deux mondes offrait un terrain très vaste au départ, « puis l’idée des poupées et des peluches s’est imposée et je suis restée bloquée là-dessus », raconte Érica Perrot. Alors est né Raplapla.

Presque tout est fabriqué au Québec

Le local de la boutique n’est pas très grand. Mur à mur, trois stations de travail équipées de machines à coudre et, suspendues à une corde dans un coin, des dizaines d’enveloppes contenant les patrons servant à la confection des morceaux qui formeront les peluches. Le comptoir-caisse à droite, l’« hôpital » vis-à-vis, avec ses patients, soigneusement disposés dans des bacs de convalescence, devant la machine à coudre qui leur donnera un nouveau souffle, maniée par Dominique Dansereau, l’employée la plus ancienne chez Raplapla. Et puis, partout, des jouets par dizaines, attendant patiemment d’être achetés et, le plus souvent, offerts.

Les modèles uniques, les petites collections et les prototypes pour les nouveaux modèles sont tous faits sur place, révèle la créatrice de Monsieur Tsé-tsé, des poupées Tutu et de l’Hibouillotte. Les collections produites en plus grandes quantités sont envoyées en sous-traitance chez une partenaire sur la Rive-Sud, ancienne employée de Raplapla qui gère maintenant sa propre compagnie de confection.

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« On a grossi très lentement, de manière très prudente », indique Perrot, ajoutant qu’elle ne vise toujours pas à ce jour à faire grimper Raplapla à un statut de grosse entreprise.

« Ça reste tout petit, d’abord parce que je suis très attachée aux valeurs de la fabrication locale et d’intégrité, explique-t-elle. On veut pouvoir faire des designs qui nous plaisent, s’engager dans des projets qui nous tiennent à cœur, avec des gens avec qui on s’entend bien. » Le plus possible, elle tente de prioriser la fabrication locale et elle y parvient bien, mis à part pour certains tissus, qu’elle n’a pas le choix de faire venir d’Asie. « C’est au cœur de nos démarches, de notre mission d’entreprise, de fonctionner avec du monde au niveau local autant qu’on le peut. » Ainsi, des étiquettes aux emballages, presque tout est fabriqué au Québec.

« Les gens qui achètent chez Raplapla font partie d’une chaîne d’investissement qui reste proche de nous. »

Les coûts associés à cet effort de partenariat avec des fabricants québécois se répercutent dans les prix comparativement élevés des jouets. « On va expliquer cette décision à nos clients, le fait qu’on veuille encourager l’économie locale et que les gens qui décident d’acheter chez Raplapla font partie de cette espèce de chaîne d’investissement qui reste proche de nous », explique Érica Perrot, qui dit ne pas vouloir que ses jouets soient réservés à une élite plus fortunée.

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À cela s’ajoute un facteur qu’elle juge mal compris dans notre société, à savoir la valeur de la main d’œuvre. Parce que les magasins à grande surface vendent des jouets fabriqués avec des matériaux moins chers, par une main-d’œuvre sous-payée à l’étranger, les prix sont ridiculement bas. « On s’imagine que c’est normal que ce ne soit pas cher », dit Perrot, scandalisée de voir des produits affichés à de tels prix, sachant que des êtres humains sont derrière la confection de la plupart d’entre eux.

« On connaît très mal la valeur d’un jouet par rapport au travail nécessaire pour le fabriquer, estime-t-elle. Quand on explique à notre clientèle que c’est long à faire, que c’est petit, qu’on s’assure que c’est solide, ils comprennent très vite et ils ont envie de savoir que ç’a été bien fait, dans des conditions éthiques. »

« C’est un métier qui est difficile physiquement. »

Chez Raplapla, la fondatrice porte bon nombre de chapeaux, dont celui de créatrice pour chaque nouvelle collection. S’y ajoute le travail de gestion, alors que ses couturières s’occupent principalement de la confection, à laquelle elle contribue dès que possible, mais n’y parvient pas autant qu’elle le voudrait. « Des fois, dans une semaine, je n’arrive pas à m’asseoir derrière la machine à coudre, entre le téléphone, les courriels, la supervision des couturières, la comptabilité… »

Heureusement, les couturières ont développé l’expertise nécessaire à la confection des jouets Raplapla, une tâche très sous-estimée, d’après Érica Perrot. « C’est un métier qui demande beaucoup de temps, une habileté précise, qui est difficile physiquement, dit-elle. C’est de passer plusieurs heures devant sa machine à coudre, d’avoir une endurance particulière et d’être constant : il faut assembler, retourner, rembourrer, coudre très petit, être minutieux. »

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Si elle participe à perpétuer la fabrication artisanale dans son atelier, Érica Perrot se désole de la chute de l’industrie textile locale, au début du siècle, lorsque s’est répandue la possibilité de faire fabriquer ses produits à moindres coûts en Asie. « Il y a beaucoup de couturières ici qui ont perdu leurs emplois », déclare-t-elle, ajoutant cependant qu’elle observe une recrudescence du métier. À Montréal, il y a de plus en plus de boutiques dans le genre de la sienne, ce qui lui donne confiance en l’avenir de la profession.

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La main d’œuvre, selon elle, pourra toujours être trouvée. « Il y a des gens qui aiment travailler manuellement, qui sont bons avec leurs mains […] et il y a plusieurs initiatives qui voient le jour », ajoute Perrot. Elle admet qu’il faut maintenant recréer le milieu, le rebâtir, même si dans le domaine artisanal, « ce n’est pas l’appât du gain » qui motive les créateurs.

Bien que son choix de carrière ne lui promette pas de faire fortune, Érica Perrot considère comme « un luxe, une richesse énorme » d’avoir la liberté de travailler dans son univers, de créer des personnages qu’elle aime, qui ont une valeur sentimentale pour elle et pour sa clientèle. « Je ne me sens pas pauvre, affirme-t-elle. J’apprécie pleinement le mode et la qualité de vie que ça me donne. »

Cet article a été publié grâce au soutien du Fonds de solidarité FTQ.