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Culture

Le « film de requins », ce sous-genre injustement méprisé

Un livre réhabilite la « Sharksploitation » et rappelle combien ces nanars aquatiques ont été synonymes de prouesses technologiques.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Photo : Les Dents de la Mer/ Universal Pictures

En eaux troubles, blockbuster de l'été, met en scène un Jason Statham en combi de plongée face à un requin préhistorique. Un succès qui rappelle que la « Sharksploitation » est un genre toujours aussi vivace. Le terme, contraction de « sharks » et d’« exploitation » – qui désigne à la base des films fauchés tournés dans le but de rapporter le triple de ce qu’ils ont coûté – fait l’objet d’un livre à paraître ce 21 septembre.

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Bad Requins (éditions Huginn & Muninn) raconte – de manière quasi encyclopédique – les rapports fructueux que les squales ont toujours entretenus avec le cinéma et se pose à plusieurs reprises une question centrale : comment filmer l’animal ? Il y répond en explorant les différentes méthodes de tournage – souvent synonymes de système D – qui reflètent en parallèle l’évolution technique et esthétique du cinéma.

Photo: La Mort au Large

Tout le monde s’accorde à dire que la « Sharksploitation » a vu le jour en 1975 avec la sortie de Jaws, le désormais légendaires Dents de la mer, de Steven Spielberg. Soit l’histoire d’un jeune cinéaste qui parvient à convaincre un grand studio d’investir, et de sortir en plein été, les pérégrinations d’un grand requin blanc mettant une petite station balnéaire américaine à feu et à sang.

Autre prouesse, le fameux requin reste longtemps invisible aux yeux des spectateurs. C’est souvent la musique, ajoutée à de longs plans sur une mer calme, qui crée chez le spectateur un insoutenable sentiment d’angoisse. Cette ouverture devenue culte est pourtant née d’une contrainte : les nombreux dysfonctionnements de Bruce, la marionnette mécanique imaginée par Joe Alves, qui ne résiste pas à une immersion prolongée. De ce problème technique, Spielberg en fait une force.

« National Geographic a longtemps été la première pourvoyeuse en fonds marin pour cinéastes en manque d’inspiration »

Bruce n’est pas le seul squale en pièces détachées à connaître quelques soucis. Celui fabriqué pour le tournage de Deep Blood (1990) est rapidement inutilisable. Il est remplacé manu militari par des images d’archives venues de la chaîne National Geographic, « première pourvoyeuse en fonds marins pour cinéastes en manque d’inspiration », précise l’ouvrage.

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Affiche polonaise des Dents de la mer 2

En préambule à Bad Requins, Olivier Père rappelle qu’à une époque, filmer un requin s’apparentait aussi à un geste documentaire et que, faute de gros moyens, certains cinéastes se contentaient de faire de la captation de vrais poissons dans un bassin – avant de se démerder au montage pour faire coïncider ces scènes de vies marines avec celles de lutte acharnée entre l’homme et l’animal.

D’autres iront plus loin comme Samuel Fuller dans Caine (Shark !), film sorti en 1969 qui sera souvent invoqué pour expliquer le manque d’engouement d’Hollywood pour les requins. En cause, les squales sous sédatifs utilisés pendant le tournage par le réalisateur qui finiront par attaquer et tuer un cascadeur.

« On a filmé jusqu’aux amygdales du requin. Ça n’avait jamais été fait auparavant »

C’est encore William Grefé qui file les meilleurs conseils de tournage – et se vante d’avoir filmé la séquence de requin la plus stupéfiante. Outre le fait que Mako : The Jaws of Death renverse le paradigme du genre en mettant en scène un homme qui défend les squales en tuant ceux qui les chassent, le film contient une plongée assez spectaculaire dans l’univers bucco-dentaire du poisson.

Sharknado 2 : The Second One. Free Dolphin Entertainment.

« On a filmé jusqu’aux amygdales du requin, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Le manche en métal avait des marques partout, parce que le requin a essayé de manger la caméra. Cette scène est tellement incroyable que j’en ai autorisé la réutilisation plusieurs fois pour d’autres projets. Même Disney l’a achetée », raconte Grefé.

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Prises de vues réelles, requins en animatroniques ou images de synthèse, la « Sharksploitation » épouse aussi l’évolution des effets spéciaux. Renny Harlin, réalisateur de Peur Bleue (2000) explique pourquoi il a décidé d’associer les trois dans son film : « La technologie de l’époque ne le permettait pas, mais Steven Spielberg a su transformer ce handicap [ne voir la bête que très peu] en avantage. Vingt-cinq ans ont passé, le public a évolué, il s’est familiarisé avec les nouvelles technologies, et il est devenu plus exigeant. »

« Le requin doit attaquer, agir, bondir, sans forcément se référer au comportement véritable des ce animaux »

Aujourd’hui, comme le résume Bad Requins, le spectateur s’attend à ce que le requin : « adopte un comportement outrancier. On doit le voir et il doit attaquer, agir, bondir, sans forcément se référer au comportement véritable de ces animaux dans leur milieu naturel. »

Une partition parfaitement jouée dans des films comme Sharktopus, Sharknado, Snow Shark, Mega Shark vs. Giant Octopus et sa litanie de requins (qu’ils soient sous la neige, sous le sable, fantôme, volant ou chevauchés par des nazis…). Même si leur destin ne passe pas par les salles obscures, ces films, parangons de la « Sharksploitation », viennent confirmer que sous la forme d’un blockbuster ou d’une série Z sans blé, l’avenir du requin au cinéma est tout tracé.


Bad Requins : une histoire de la Sharksploitation, en librairie le 21 septembre

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