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Drogue

J'ai refusé de devenir mère pour rester clean

« Je voulais avoir un enfant, mais la logique me disait de mettre un terme à ma grossesse. J’avais trop peur de retomber dans la drogue. »
J'ai refusé de devenir mère pour rester clean
Image par Nikky G

Cet article a été initialement publié sur VICE Australie.

En mars dernier, je suis tombée enceinte d’un homme que je n’aimais pas. Après avoir subi un avortement médicamenteux à six semaines de grossesse, j’ai souffert d’une « rétention des produits de conception », c’est-à-dire que l’embryon n’était pas complètement évacué. J'avais 37 ans et j’étais clean depuis trois mois.

Avoir un animal de compagnie ou un petit ami au cours de la première année de désintoxication n’est pas recommandé, même si j’avais les deux. Une plante, pourquoi pas. Un bébé, certainement pas.

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J’ai eu le choix entre une IVG médicamenteuse ou chirurgicale, plus invasive. J’ai choisi la première option. Elle est apparemment plus sûre et efficace, et seulement 1 % des femmes ont des complications. Je pouvais faire mon avortement « à la maison », ce qui me semblait « plus naturel ».

Je suis allée à la clinique chercher les médicaments nécessaires. Il était tôt et j'étais dans un piteux état. J'ai vu une infirmière, puis un médecin. Ils voulaient s’assurer que j'étais sûre de vouloir interrompre ma grossesse, et même si j'étais loin de l'être, je leur ai dit que je l'étais.

Un avortement médicamenteux comprend deux médicaments : la mifépristone, également connue sous le nom de RU 486, et le misoprostol. J'ai avalé la première pilule à la clinique. La deuxième était à prendre chez moi 24 à 48 heures plus tard. On m’a également prescrit des antidouleurs mais, parce que j'étais en pleine désintoxication, j'étais réticente à les prendre.

Alors que je partais, la réceptionniste m'a interpellée. « Je suis désolée, mais il y a un manifestant à l'extérieur. Juste pour que vous sachiez. » Elle a souri d'un air triste. J'ai ouvert la porte. Un vieil homme solitaire tenait une grande photo d'un fœtus âgé de huit semaines, ornée du slogan : Meurtre ! Je l'ai ignoré et me suis dirigée vers ma voiture. Puis j'ai changé d'avis. Je lui ai seulement demandé « Pourquoi ? » Dans la voiture, j’ai pleuré.

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J'étais triste pour moi-même et pour le vieil homme. Au lieu de grignoter un croissant, de siroter un café, de rester au lit avec un amant ou de tondre la pelouse, nous étions là, devant une clinique d’avortement, à 8 heures du matin, en train de se mépriser mutuellement.

Le lendemain, une heure après avoir avalé le misoprostol, j'ai commencé à avoir des crampes et à saigner abondamment. Le misoprostol avait pour but de « vider l'utérus ». On m'a dit que j’allais expulser « des gros caillots », de la taille d'un citron. La douleur était horrible et venait par vagues aiguës. Mon médecin était inquiet quand il m'a vue quelques jours plus tard. Je saignais encore et j'avais une forte fièvre, signe d'une infection. Il se pouvait que j’aie des « produits conservés », m'a-t-il dit, ce qui semblait indiquer que je m’accrochais à quelque chose que je ne voulais pas lâcher, ce qui n’était pourtant pas le cas.

Je voulais avoir un enfant, mais la logique me disait de mettre un terme à ma grossesse. J’avais trop peur de retomber dans la drogue. Mon amie Susan, qui est restée clean et sobre pendant quatre ans, a replongé dans l’alcool et fait des allers-retours en désintox. Elle a un enfant de trois ans. Un bébé ne m’aiderait pas à rester clean.

« Elle a 37 ans elle aussi, et elle veut un enfant. Son copain et elle ont essayé, mais elle n’arrive pas à arrêter de boire »

Je ne sais pas combien de femmes de 37 ans qui veulent un enfant se font avorter, mais je sais que cela semble contre-intuitif.

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Un matin, je rencontre une femme dans la piscine de Hope Rehab, le centre de désintoxication dans lequel je me trouve. Elle flotte sur le dos. Elle est alcoolique et arrive tout juste d’Angleterre. Elle a 37 ans elle aussi, et elle veut un enfant. Son copain et elle ont essayé, mais elle n’arrive pas à arrêter de boire. Elle est déprimée par la situation dans son ensemble, ce qui la pousse à boire encore plus.

L’horloge tourne.

Elle plonge sous l'eau et refait surface, ses cheveux blonds plaqués en arrière. « J'ai l'impression qu'il y a un revolver dans ma tête », dit-elle.

***

Je discute avec Steph. Sa mère est toujours accro à l'héroïne. « C’est une mère horrible, dit-elle. On se défonçait ensemble. Elle a volé mes affaires. Elle m'a crié dessus. Elle a fait une crise cardiaque parce qu’elle ne trouvait plus sa came. J'ai dû appeler la police pour qu’ils l’emmènent. » Steph a grandi dans une famille d'accueil qu’elle a quittée à l'âge de 15 ans. « C’est là que j’ai rencontré mon mac », poursuit-elle.

« Ce n’était pas un proxénète typique. Il ne faisait pas 2 mètres de haut et n’était pas violent. C'était un blanc de 34 ans. Il ramenait toujours de bons petits plats à la maison. Il ne criait jamais. Il avait parfois un ton dans la voix qui me faisait peur, mais j’étais défoncée, alors je m'en foutais. Nous étions toujours en train de nous câliner et de nous embrasser, c’était mignon, mais parallèlement, il me vendait à des clients. »

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C’est avec lui qu’elle a pris de l’héroïne pour la première fois. Il voulait qu'elle se l'injecte, mais elle a refusé. Elle préférait l'apathie de la méthamphétamine. Le réseau de prostitution de son mac, qui employait une vingtaine de filles mineure, a été démantelé et il a été arrêté. Steph s’est retrouvée seule dans l'appartement.

Elle a aidé la police dans l’affaire. Un détective du service de police de Vancouver a commencé à lui prêter des livres et à l’emmener chez un psychiatre. Il l'a agressée sexuellement, à plusieurs reprises, alors qu'elle était encore mineure. Elle a porté plainte en même temps qu'une autre fille.

« À ce stade, j’ai commencé à prendre encore plus de méthamphétamine, raconte Steph. Parfois, j’étais défoncée pendant dix jours d’affilée. J'avais des crises psychotiques où je délirais complètement. Je croyais que le monde autour de moi avait sombré dans l’oubli. Que moi, j’avais sombré dans l’oubli. J’avais oublié mon nom. »

En mars, le détective a plaidé coupable d’exploitation sexuelle et d’abus de confiance. En août, il a été condamné à 20 mois de prison. Steph, qui avait terminé sa cure quelques semaines plus tôt, a assisté à la condamnation.

***

Je discute avec John, un Australien de 30 ans accro à la cocaïne. Sa mère était héroïnomane et alcoolique. C'était une travailleuse du sexe. Dès son plus jeune âge, il s'est occupé d'elle et de ses trois frères et sœurs. Elle l'appelle « papa ».

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« Je me souviens qu’un jour, elle m’a envoyé à l'école sans pantalon, dit-il. Elle n’avait pas d’argent pour payer l'essence, alors je remplissais le réservoir avec de l'eau provenant d'un tuyau d'arrosage. Avec mon petit frère, on mangeait des bâtonnets de poisson congelés, parce qu’on ne savait pas faire marcher les plaques de cuisson. » Il n'aimait pas les hommes qui entraient et sortaient de la maison. « On se cachait. On ne se sentait pas en sécurité. On ne comprenait pas ce qui se passait, mais on savait que ce n’était pas bien. »

John a bâti un véritable empire grâce à ses nombreuses entreprises de bétonnage et de développement industriel. Il a pris sa retraite à 29 ans. Tout ce dont il a toujours rêvé, c’est de construire une famille, alors il est devenu père au foyer. Après la naissance de son premier fils, il a fallu quatre semaines à sa mère pour venir voir l’enfant. Un an plus tard, à la naissance de son deuxième enfant, sa dépendance à la cocaïne avait empiré. « Je n’avais pas dormi depuis 12 jours. Je suis entré à l'hôpital avec le sentiment d'être un putain de cadavre, se souvient-il. Je n’ai ressenti aucun lien instantané, comme si j'assistais à la naissance de l'enfant de quelqu'un d'autre. » Il a arrêté la coke ce jour-là. Son deuxième fils n'avait que trois semaines lorsqu'il s'est rendu à Hope.

Il allume une camel et coiffe ses cheveux en arrière. « Les gens disent : "Oh, tu as dépensé tant d’argent pour ta dépendance, tu as perdu ceci et cela". Mais la seule chose que j’ai perdue, c’est ce lien avec mes enfants. » Il grince des dents. « Même si la dépendance est plus forte que l’amour, jamais je ne ferai passer une substance avant mes enfants. Je me mettrais une balle dans la tête avant d’en arriver là. »

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On y croit au moment où on le dit.

***

Un nouveau type arrive à Hope : Charlie, 23 ans, Britannique. Je sers du chou dans une assiette quand il s’approche de moi. « Ma mère lit tous tes articles, dit-il. Elle travaille avec des toxicomanes. Elle est elle-même en convalescence. »

Pendant le déjeuner, Charlie m’explique que son père et sa mère étaient tous deux accros à l'héroïne. Sa mère en prenait encore quand elle a su qu'elle était enceinte de lui. Elle s'est lancée dans une longue cure de désintoxication dirigée par des nonnes. Charlie est né là-bas. Ses deux parents sont clean depuis des années. Il a grandi dans les réunions des Narcotiques Anonymes, mais rien de tout cela ne l'a empêché de commencer à prendre du crack. Sa copine lui a téléphoné hier. Elle est enceinte.

Environ deux semaines après mon avortement, alors que je souffrais encore de « produits non évacués », j'ai rechuté. Je saignais toujours, j'étais épuisée et je passais une échographie chaque semaine. J'étais triste, voire déprimée. Même si je savais que l'héroïne avait cessé de fonctionner pour moi, j'ai réessayé, « juste une fois ». J'ai passé les semaines suivantes à vomir. Je vomissais tout ce que je mangeais ou buvais. J'ai perdu six kilos. Mon corps a rejeté l'héroïne, mais jour après jour, j'ai continué à me piquer, déterminée à me défoncer. Je recherchais une échappatoire, mais j’en ai refait une habitude.

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John me montre une vidéo de ses deux fils, qui sont encore bébés. Charlie va être papa. Steph a trouvé une grenouille et l’a appelée Egg. Quant à moi, je remets ma décision en question. Mindful Paul, lors de notre séance hebdomadaire en tête-à-tête, me dit : « Il n'y a pas de choix. » J'ai dit « Oui » à l'infirmière et au médecin. « Tout est inévitable, dit-il. Il n'y a pas d'autre choix que celui qui vous convient le mieux. » Je suis mal à l’aise. Je lui raconte que je suis allée à Hell Garden et que les statues anti-avortement ont attisé mon ressentiment. « Je ne sais pas ce que c'est que d'être une femme », dit-il gentiment.

Être une femme, c'est ça : « Ma mère a subi neuf avortements avant de m’avoir », me dit une nouvelle arrivante, originaire de Bahreïn. « J'ai commencé à prendre de la méthamphétamine, puis de l'héroïne après un avortement, explique Akiko. J'avais 13 ans. » C’est comme ça.

Je raconte à Mindful Paul un moment que j’ai vécu il y a des années en attendant de traverser la route avec mon fiancé. Comment, à ce moment-là, alors que le feu piéton passait du rouge au vert, que le petit bonhomme illuminé commençait à clignoter et que le bip résonnait, j’ai compris que rien n'avait de sens. C'était un moment de joie.

Si rien n’a de sens, alors tout est possible.

Je n’arrive pas à dormir. C’est la pleine lune. Si je n'avais pas avorté, je serais enceinte de sept mois. Je m'imagine avec un gros ventre rond et me souviens que je suis en cure de désintoxication, toujours insomniaque à cause du syndrome de sevrage post-aigu, ou du syndrome post-avortement, ou peut-être que je suis juste triste parce que je pense à un bébé que je croyais ne pas pouvoir avoir.

Dans l’obscurité, je fume quatre Camels et je compte les étoiles.

Hannah est sur Instagram. Lors de la rédaction de cet article, elle séjournait au centre Hope Rehab, en Thaïlande.

Vous pouvez lire les trois premiers épisodes de la série ici.

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