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Culture

L’« intimité organisée » est le nouveau phénomène bizarre de la Silicon Valley

Des séances de contact visuel aux orgies de câlins, la région de la baie de San Francisco a changé, mais sait toujours être excentrique.
Staring and cuddling
Photos via Shutterstock

L’article original a été publié sur VICE États-Unis.

San Francisco est fière de sa réputation d’avant-poste de la liberté sexuelle, des orgies psychédéliques de Ken Kesey et des Merry Pranksters à l’émancipation des queers. Depuis la révolution sexuelle des années 60, il n’y a aucune ville américaine où les gens sont plus enclins à se dénuder.

On a beaucoup écrit sur la disparition de la culture et du fun qu’aurait cependant entraînée le deuxième boom technologique. Il serait logique d’imaginer qu’une fois les musiciens, les peintres et les écrivains partis, les fêtes à caractère sexuel se sont faites rares. Il est compliqué de réserver du temps pour les orgies quand on a deux emplois pour payer son petit appartement à 4000 $ par mois. Et les futons ne sont pas faits pour les ménages à trois.

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Mais en réalité, loin de disparaître, elles sont devenues plus bizarres, plus organisées, plus fréquentes, et parfois platoniques. Des dîners de speed dating tantrique aux séances de contact visuel, le monde de l’intimité organisée et des fêtes orgiaques bat son plein dans la Silicon Valley.

C’est un monde différent de celui des grandes années de l’amour libre. Tout comme Burning Man est passé d’une activité de plage entre hippies à un festival de plusieurs millions de dollars pour privilégiés héliportés, les activités de nature sexuelle à San Francisco ont été définitivement transformées par le monde de la haute technologie et l’argent.

Un couple dans un parc de San Francisco. Photo : Marko Knezevic pour VICE

Les communautés hippies de San Francisco naissaient ordinairement d’un mécontentement politique et d’un désir de libération sexuelle. Aujourd’hui, la popularité du polyamour découle aussi de la nécessité d’être plusieurs pour payer le loyer. Néanmoins, ceux qui sont arrivés à San Francisco avec le deuxième boom technologique désirent de l’intimité, et les organisateurs d’activités sont plus qu’heureux de leur en proposer. En jetant un coup d’œil sur Eventbrite ou Facebook n’importe quel jour de la semaine, on trouve de nouvelles façons de se rapprocher d’inconnus : conférences sur le tantrisme, ateliers de bondage, séances de câlins, une activité appelée « Heart Fuck », et des « soirées de danse, de rapprochements et de JEUX très spéciaux ». Et ce ne sont que quelques-unes de celles qui ont lieu de jour; il y en a beaucoup d’autres la nuit, en secret.

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L’une de ces activités, portant le curieux nom de « Cacao, Consent et Conscious Dance Party » (« party dansant cacao, consentement et conscience »), implique une absorption rituelle de cacao, après quoi les participants explorent l’obscur « nouveau paradigme de la fine pointe de l’évolution sociale de l’humanité ».

Nick Meador, qui en est l’organisateur, et qui est aussi « professeur de yoga RYT-200, coach de vie transformationnel, producteur holistique et entrepreneur éveillé », me dit qu’il croit que la région « est un bon terreau pour faire l’essai de nouvelles structures sociales et des constellations de communautés », et que la population locale est plus disposée à essayer de nouvelles choses et à sortir des sentiers battus qu’ailleurs au pays. « J’ai beaucoup voyagé et je n’ai jamais vu cette combinaison unique d’occasions de développement personnel, d’initiatives de justice sociale et de volonté d’explorer les tabous et l’inhabituel », m’a-t-il assuré.

Dans une autre activité, ceux qui souhaitent se rapprocher d’autres humains se fixent tout simplement les uns les autres. C’est l’idée derrière la plus grande séance de contact visuel au monde, sur les rives du lac Merritt à Oakland, où l’on plonge dans un état second non pas grâce au cacao, mais à l’ocytocine, une hormone favorisant l’empathie et l’amour, qui serait liée aux contacts visuels.

Allyson Darling, qui y a participé et a écrit un texte sur le sujet, a qualifié l’activité de « plus intime qu’une orgie » dans The Bold Italic , un « magazine web qui célèbre le caractère et l’esprit libre de San Francisco » — dont je suis l’un des rédacteurs principaux.

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« L’ambiance générale de l’événement était… bizarre, m’a-t-elle dit. Des gens socialisaient, ils parlaient et plaisantaient, et, autour d’eux, d’autres, assis par terre, se regardaient dans les yeux. Les objectifs des participants avaient pour origine l’envie d’intimité. Il y a des choses plus intimes que de regarder quelqu’un dans les yeux pendant une durée illimitée, que ce soit avec un inconnu ou non. »

Golden Gate Bridge San Francisco

Golden Gate Bridge photo by Marko Knezevic for VICE.

Je suis arrivé à San Francisco en 2007. Je partais d’une ferme au milieu de nulle part en Angleterre, où un sex party implique des moutons. J’ai choisi cette ville parce que c’est la plus cool au monde. Au fur et à mesure que les start-ups devenaient les plus grosses compagnies de la planète, l’esprit de liberté a semblé se perdre. Mais qu’importe tout l’argent qui inonde la région, on a encore malgré tout la sensation de se trouver dans un endroit où tout découle de l’envie de prendre des risques.

Se promener dans une ville où tout le monde pense qu’il change le monde peut être épuisant. On sent l’orgueil démesuré dans les rues. Mais avec une industrie où les séances de câlins et le microdosage aux champignons magiques sont encouragés au travail, même dans les plus grandes compagnies, imaginer de nouvelles façons de se donner de l’amour semble très normal.

À l’extrémité de la sélection contemporaine d’activités favorisant les rapprochements, il y a des événements hédonistes qui peuvent rassembler jusqu’à 700 personnes pendant parfois quatre jours. Ces rassemblements, organisés par une compagnie de production d’événements anonyme, ont lieu plusieurs fois par année. Ils sont satiriques, ne se prennent pas au sérieux, et, au-delà de l’atmosphère à la Eyes Wide Shut, on y trouve une vaste gamme de créations artistiques psychédéliques.

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Ahmed Kabil, qui y a récemment fait un tour un soir, a décrit dans un article beaucoup lu sur Medium qu’il y avait vu de tout, des photos baroques d’anus aux accouplements de licornes. Les partys font partie de ce qu’il appelle « le florissant undergroud psychédélique de la région de la baie de San Francisco ».

« La contre-culture et la cyberculture sont inextricablement liées dans la région de San Francisco depuis les années 60, et je vois une réaction en chaîne ininterrompue des premières présentations multimédias à grande échelle à l’actuelle contre-culture de la région », m’a-t-il dit. Je lui demandais s’il pensait que la popularité croissante de ces activités répondait à un besoin primitif d’intimité et de débauche face à la prise du pouvoir par les compagnies, ou si tout simplement San Francisco restait San Francisco. « Les technologues qui ont un penchant pour l’utopie communautaire et qui ont la curiosité d’explorer des états de conscience altérés ont toujours fait partie de cet espace, et ça va continuer. »

Cette nouvelle ère de l’intimité se compose presque exclusivement de plaisirs inoffensifs et consensuels. Mais, tout comme le « Summer of Love » de 1967 a été en partie détourné par des proxénètes et des gens mal intentionnés qui cherchaient à se servir du concept de « l’amour libre » comme prétexte pour essayer de se faire tout ce qui bougeait le long de Haight Street, les orgies de câlins sous influence d’aujourd’hui sont parfois présentées comme des activités toxiques et dangereuses, et vues comme un retour à des dynamiques très peu progressistes et misogynes, dans lesquelles des privilégiés de la technologie 2.0 traite des femmes, généralement à un échelon professionnel inférieur, à peine mieux que des jouets sexuels.

Même dans l’innocence d’une séance de contact visuel, les frontières entre connexion, intimité et relation sexuelle peuvent sembler floues. « Je ne sais pas si je le referais, m’a dit Darling. J’ai eu un très beau moment avec une femme plus âgée que moi. On a pleuré toutes les deux. Elle avait une présence très sage et apaisante. C’était une expérience si intime et partagée qu’il était difficile de ne pas être un peu émotive. Quand elle a commencé à avoir les larmes aux yeux, je n’ai pas pu m’empêcher d’être émotive aussi. Je n’oublierai jamais ce moment. Mais les hommes louches dont j’ai croisé le regard et qui m’ont donné le sentiment d’avoir un motif caché ont fait en sorte que l’expérience n’était pas valable pour moi. »

Par conséquent, dans beaucoup de ces activités, on a commencé à fixer des règles pour assurer la sécurité des participants, comme l’interdiction de consommer de l’alcool et des drogues. On y a vu arriver aussi des spécialistes de la réduction des méfaits. Des organisateurs garantissent un équilibre hommes-femmes parmi les participants.

Le jeune adulte typique qui prend aujourd’hui la route vers San Francisco n’est peut-être plus un auto-stoppeur qui fuit une ville conservatrice à la recherche d’art, de liberté de penser et de drogues psychotropes. C’est peut-être plutôt un jeune diplômé d’un établissement réputé qui a survécu à un processus d’embauche de cinq jours dans une grande compagnie du secteur de la haute technologie et qui ne passera qu’une quinzaine d’heures par semaine dans son condo sponsorisé de Mission Bay. L’idée reçue de la mort de l’art et de la culture dans la région a peut-être poussé de nombreux musiciens à s’installer à Los Angeles ou à Portland, et des collectifs d’artistes et des espaces de travail partagé ont peut-être fermé leurs portes en raison de l’invasion d’argent provoquée par les start-ups et les loyers devenus astronomiques. Mais la soif d’avoir du plaisir, d’être original ou d’imaginer de nouvelles façons de se rapprocher n’est pas étanchée pour autant. Que ce soit avec du cacao, des contacts visuels, des câlins ou autres excentricités, la région de la baie de San Francisco — malgré ses défauts — est tout sauf ennuyeuse.

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