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N'importe quoi

On a demandé à ceux qui ont des diplômes qui semblent inutiles s’ils regrettent leur choix

Comme le taux de chômage au Canada stagne à environ 13 %, le risque d'être cassé et de devoir retourner vivre chez ses parents augmente, et il est d'autant plus indispensable d'avoir des compétences commercialisables.
Si jeunes et si remplis de promesses. Photo : University of Winnipeg sur Flickr

Comme le taux de chômage au Canada stagne à environ 13 %, le risque d'être cassé et de devoir retourner vivre chez ses parents augmente, et il est d'autant plus indispensable d'avoir des compétences commercialisables.

L'université est-elle vraiment la solution? Des gens remettent en question la valeur des études supérieures et, en pratique, il est probablement vrai que tous les diplômes ne sont pas égaux. On considérera par exemple un diplôme en administration des affaires plus utile pour décrocher un emploi qu'un diplôme en sémiologie.

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Par ailleurs, selon Statistique Canada, les droits de scolarité ont augmenté de 40 % dans la dernière décennie. Si l'on accepte de traîner une lourde dette, aussi bien être un jour en mesure de gagner un revenu à tout le moins suffisant pour la rembourser. VICE a rencontré des hommes et des femmes qui possèdent des diplômes considérés comme les plus inutiles pour voir comment ils s'en sortent dans le vrai monde.

Skyler Oxley, 35 ans
Philosophie à l'Université Concordia

VICE : Pourquoi la philosophie?
Skyler Oxley : J'avais 19 ans et j'étais remplie de désespoir existentiel. Je me suis dit que des études en philosophie m'aideraient à comprendre la vie et seraient intéressantes.

En fin de compte, c'est le cas?
Oui et non. Ça m'a certainement aidé à éclaircir des questions que je me posais sur la vie et à me rendre compte qu'on est nombreux à se poser les mêmes questions. Mais je n'ai pas eu de réponses à ces questions. Je me sens encore confuse, mais peut-être juste moins seule.

Quelles étaient tes plus grandes questions?
Je suppose que c'était « pourquoi est-ce que tout ça existe? » et « qu'est-ce que je suis censée faire pendant que j'existe? ».

Justement, est-ce que tu t'es déjà demandé ce que tu ferais avec ton diplôme dans le vrai monde?
Pas autant que j'aurais dû. Mes parents n'arrêtaient pas de me prévenir de ça.

Qu'est-ce qu'ils disaient? Est-ce qu'ils ont payé tes études?
Ils avaient l'air à la fois contents de me voir étudier quelque chose qui m'intéressait et inquiets parce qu'ils savaient à quel point les perspectives d'emploi étaient mauvaises. Ils disaient des choses comme « qu'est-ce que tu feras après? » et « tu devrais commencer à penser à acquérir des compétences ». Et oui, ils ont investi parce que j'étais jeune et, comme j'ai aussi travaillé pendant mes études, je n'ai pas eu besoin de prêts.

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Que fais-tu aujourd'hui?
Après la philo, je suis retournée à Vancouver et j'ai travaillé au Chapters. Il me semblait qu'il y avait beaucoup de diplômés en arts qui travaillaient en vente au détail. Je suis retournée à l'Université, à McGill, dans un programme de deux ans en travail social. Je travaille maintenant dans le domaine de la santé mentale depuis huit ans. J'ai aussi fait une maîtrise à l'Université de Toronto en psychologie du counseling.

Wow, t'as fait de longues études.
Oui, beaucoup trop. En fait, je suis gênée d'avoir obtenu trois diplômes.

Là où atterrissent beaucoup de diplômés en arts, apparemment. Photo : G.e.o.r.g.e sur Flickr.

Jessica Barrett, 33 ans
Beaux-arts, spécialité danse contemporaine, Grant MacEwan College et Simon Fraser University

*VICE : Pourquoi avoir choisi la danse?*
Jessica Barrett : J'en ai fait toute ma vie et je suis allée dans des écoles primaires et secondaires de beaux-arts. Quand j'ai été sur le point d'avoir mon diplôme du secondaire, je ne savais toujours pas ce que je voulais faire après. J'ai voulu prendre une année sabbatique, mais mon père n'aimait pas beaucoup l'idée, et c'était lui qui payait mes études selon le règlement de divorce. Ensuite, ma professeure de danse du secondaire m'a suggéré de continuer la danse au niveau collégial.

Ça t'a plu?
À l'université, non. J'ai aimé le collège, j'ai adoré, même. Mais à l'université, je me suis sentie perdue. J'ai continué seulement parce que j'étais rendue à la moitié du chemin pour avoir un diplôme, ce bout de papier qu'on est censé avoir.

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Comment t'es-tu sentie quand tu l'as obtenu?
Bah. C'était super banal. Je ne suis même pas allée à la réunion. J'ai trouvé l'université impersonnelle et froide, inutile. Ou peut-être que personne ne m'a expliqué la marche à suivre. Par exemple, comment choisir les bons cours et des professeurs inspirants.

Où t'es-tu retrouvée ensuite?
J'ai enseigné la danse et travaillé à Lululemon. J'ai économisé pour faire un voyage en Amérique du Sud. J'ai fait quelques chorégraphies et d'autres performances. Environ deux ans après avoir eu mon diplôme, je me suis inscrite au Langara College, comme étudiante « adulte » en journalisme. J'avais 25 ans. Je pense que je me suis rendu compte que mon diplôme, pas juste le mien, mais celui de la plupart des autres aussi, n'avait tout simplement aucune valeur du point de vue de l'emploi.

Un diplôme universitaire en danse, ça n'a pas vraiment de sens. Photo : alyssa.becker sur Flickr

Sachant ce que tu sais maintenant à propos du collège et de l'université, ferais-tu différemment?
Non. Je pense qu'une partie de moi est triste de ne pas avoir plus profité de l'université, parce que je suis super privilégiée d'avoir eu la chance d'y aller et des parents qui ont payé mes études. J'aimerais avoir insisté pour prendre une année sabbatique et découvrir ce qui m'intéressait. Et pour être un peu moins jeune. C'est très jeune, 17 ans, dans cet environnement, et si je n'étais pas allée au collège d'abord, je me serais perdue là-dedans. Même à 20 ans, j'ai trouvé que c'était aliénant. Les universités sont jusqu'à un certain point des garderies d'adultes avec lesquels on ne sait pas quoi faire.

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Jesse S., 37 ans
Religion comparée, mineure en étude des civilisations du Moyen-Orient, Université de Toronto

VICE : Ton parcours est assez… unique. Pourquoi t'es-tu intéressé à ce domaine?
Jesse S. : J'ai simplement suivi mes passions. Mon oncle est un spécialiste de l'étude de la Bible reconnu. Il m'a certainement influencé, même s'il n'a jamais reconnu mes efforts. J'étais, et je suis toujours, intéressé par ce qui fait avancer les gens et par notre façon de voir le monde autour de nous. Je voulais aussi secrètement obtenir ce diplôme pour lancer un groupe religieux. Je n'y suis jamais arrivé, mais au moins j'ai les qualifications.

Quelle sorte de groupe religieux?
Ç'aurait été un groupe de bienfaisance, pas les cultes malintentionnés qui exploitent leurs membres et exigent qu'ils donnent toutes leurs économies et leurs possessions matérielles au leader du groupe.

Comme les pastafariens?
Bien sûr.

Pendant tes études, est-ce que tu t'es demandé si ce que tu apprenais servirait à quelque chose dans le monde réel?
Non, pas vraiment. J'étais entouré de centaines d'autres étudiants des humanités qui n'auraient pas de diplôme très pratique. On était dans le même bateau. La force du nombre, n'est-ce pas?

Tu as aimé tes études?
Oui, l'université a toujours une grande valeur à mes yeux. Même si, vers la fin de mes études, j'ai compris qu'aller étudier le bouddhisme sur une plage d'Hawaï pour ma maîtrise — ou faire une retraite dans des caves avec les sādhus en Inde, un rêve d'enfance — pourrait ne pas être pas l'utilisation la plus profitable de mon temps, ma soif d'apprendre était authentique.

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As-tu payé tes études?
Non.

Que fais-tu aujourd'hui?
Je suis un spécialiste du marketing numérique, en particulier des médias sociaux. Avant, j'ai été journaliste spécialisé en arts, culture et art de vivre.

Rien qui soit lié à tes études.
C'était un diplôme en culture. Je travaille en culture. C'est plus ou moins basé sur mes études.

Graham Reeder, 25 ans
Écologie humaine, College of the Atlantic

VICE : Qu'est-ce que c'est, l'écologie humaine?
Graham Reeder : Mon diplôme, c'est : ¯\_(ツ)_/¯. L'écologie humaine est un programme interdisciplinaire que j'ai créé. J'étais surtout attiré par l'idée de pousser les arts libéraux à leur extrême, de décider fondamentalement de ma trajectoire universitaire en concevant mon propre programme d'études.

Intéressant. C'était bien?
Oui, j'ai adoré ça. C'est frustrant parfois : il y avait des étudiants qui ne suivaient qu'un tas de cours d'introduction et ne foutaient rien pendant des années et se sont retrouvés avec un diplôme identique au mien. C'est injuste, mais j'ai fait la paix avec ça. Savoir que j'ai eu à me rendre moi-même apte au travail d'une façon différente m'a forcé à me lever le cul et faire des choses cools. Ce que j'ai fait. J'ai maintenant CV plus impressionnant après quatre ans que bien des diplômés en sciences ou en politique de grandes universités.

Donc, quand tu as obtenu ton diplôme, tu te sentais près pour le marché du travail?
Oui et non. Je pense que j'avais un ensemble de compétences solide pour le marché du travail, mais il me manquait quelques bons contacts comme ceux qui sont allés dans de grandes universités. Donc j'étais près, mais j'ai eu du mal à y entrer.

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Le College of the Atlantic a l'air plutôt cool. Photo : Facebook

As-tu payé tes études?
J'imagine que c'est un gros facteur. J'avais une bourse pour mes quatre années là-bas. Je pensais aller à l'Université de Toronto, j'avais une bourse d'admission et une bourse du millénaire, mais c'était quand même trop à cause du coût de la vie, et parce que je n'avais pas vraiment d'économies ni une famille riche pour me soutenir.

Que fais-tu aujourd'hui?
Je suis retourné à l'université l'an passé, surtout parce que ce que je faisais n'était pas ce que je veux faire toute ma vie. J'étudie en urbanisme à la faculté d'études environnementales de l'Université York, et je serai diplômé en études environnementales : encore un diplôme assez inutile sur papier. On dirait que c'est une habitude chez moi.

As-tu une carrière précise en tête? Veux-tu être urbaniste?
Pas au sens officiel. Je voudrais être un conseiller politique pour les villes et les zones urbaines dans leur planification pour les conséquences des changements climatiques. Un emploi qui n'existe pas vraiment encore dans la plupart des villes, mais qui existera bientôt. C'est un peu étrange de miser sur notre échec collectif à arrêter les changements climatiques pour bâtir ma carrière, mais on y est.

James W., 38 ans
Littérature anglaise et cinéma, Université de Toronto

VICE : Comment as-tu fait ton choix?
James W. : C'est juste arrivé, en quelque sorte. J'avais fini le secondaire, je ne savais pas ce que je voulais faire dans la vie, alors je me suis inscrit à n'importe quoi : histoire de l'art, biologie, espagnol. À un certain point, je pense qu'il y a eu des cours sur les Anglo-saxons. J'ai gardé le cinéma et l'anglais. Mais je ne pense pas que les cours sur les Anglo-Saxons m'auraient été beaucoup moins utiles.

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C'était bien? Le cinéma et l'anglais. Pas les cours sur les Anglo-Saxons.
Bien sûr. C'étaient des domaines qui m'intéressaient. Soyons clairs, je n'ai pas appris à faire des films : j'ai appris à regarder des films. En quoi est-ce que Terminator est en réalité Jésus? De quelle façon Maryline Monroe est juste un gros pénis qui parle? Par exemple.

Honnêtement, est-ce que ton diplôme te sert dans le vrai monde? Ou est-ce qu'il a juste fait en sorte que ce soit pénible de regarder un film avec toi?
Ça a fait que je déteste les films intellos. Il y a une limite au nombre de séances à regarder de la crème glacée fondre pendant trois heures qu'on peut regarder. Pour ce qui est du travail, ce n'était pas un atout fantastique. Je suis retourné pour faire une maîtrise en journalisme. Celui-là est plutôt utile.

Intéressant. Dans les listes des diplômes les plus inutiles, le journalisme est souvent mentionné. Comme ça s'est passé pour toi?
J'ai travaillé pour des journaux avant leur extinction. J'ai fait un stage, obtenu un emploi, plus tard lancé une entreprise. C'est encore utile quand je dois convaincre des gens que je peux écrire.

As-tu payé tes études?
Ouais. Avec des emplois et des bourses. J'ai terminé le premier cycle avec 3000 $ en surplus. Tour gratuit à l'Université de Toronto et de l'argent pour la chambre. C'était une bonne affaire.

Même même si tu as eu un diplôme un peu frivole, si c'était à refaire, tu ne ferais rien de différent?
C'est certainement plus facile avec un diplôme que sans diplôme. Ou, au moins, des études postsecondaires. J'ai un ami qui s'est arrêté après le secondaire. Il est dans la trentaine, il est brillant, il a de l'expérience de travail et des compétences utiles, mais les quelques papiers qui lui manquent le handicapent toujours. Si je devais tout recommencer, j'irais dans des domaines utiles comme le droit ou la médecine. Ma vie serait beaucoup plus simple. Les bacs en arts, c'est stupide. Sans rancune, bacs en arts.

Les entrevues ont été éditées à des fins de style et de clarté.

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