Anthony Bourdain m’a sauvé la vie
Photo via Flickr et les Peabody Awards.

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Culture

Anthony Bourdain m’a sauvé la vie

Il m’a appris à être aimable, à poser des questions et à reconnaître mes torts.

Anthony Bourdain est mort ce matin.

Ça m’a pris du temps à assimiler et, pour être très honnête, j’ai encore beaucoup de mal à y croire. Je me suis fait réveiller par un bombardement de textos de mes amis pour me l’annoncer, et je n’ai pas cessé de pleurer depuis.

Anthony Bourdain a changé ma vie. À plusieurs reprises.

Ma relation avec la nourriture était circonstancielle, lorsque j’étais enfant. Je me faisais à manger parce que mes parents rentraient tard du travail, et mes sœurs avaient constamment une foule d’activités qui les retenaient. Je rentrais donc de l’école et, seul, je me faisais à manger, en essayant de recréer ce que j’apprenais en regardant des émissions de cuisine.

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Un jour, je suis tombé sur No Reservations, l’émission de Tony. Je ne me rappelle plus très bien où il était, quelque part en Asie du Sud-Est. Il mangeait des trucs qui à l’époque me semblaient étranges, avec un plaisir que je ne pensais pas possible. J’ai été immédiatement conquis par cet homme qui parcourait le monde en mangeant partout, pas pour le shock value de goûter du pénis de bœuf en Chine ou des cochons d’Inde au Pérou, mais parce qu’il comprenait que la cuisine traditionnelle d’une région raconte son histoire, sa misère et ses richesses. Alors que les autres chefs de télé agissaient comme s’ils découvraient de nouveaux plats dans des régions éloignées, Tony exposait des traditions. Il s’en câlissait du chef étoilé Michelin de la ville qu’il visitait. Ce qui l’intéressait, c’était les plats que la grand-mère de ce chef cuisinait, donc il allait plutôt chiller avec la grand-mère.

À 15 ans, je me suis rendu à la bibliothèque pour emprunter Kitchen Confidential, le premier livre d’Anthony Bourdain. J’avais toujours eu cette notion d’une cuisine de restaurant comme étant un havre de paix; un ballet parfaitement orchestré par le chef, interprété par des cuisiniers calmes, concentrés et méthodiques. Cette idée n’avait rien à voir avec le monde que me présentait Bourdain, un monde où règnent la drogue, le sexe et le chaos. Un monde qui, au final, ne me semblait pas très loin de celui de la musique, qui avait été jusque-là ma passion principale. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de devenir cuisinier. J’ai commencé à sécher mes cours de l’après-midi pour rentrer chez moi pour cuisiner des repas grandioses. C’était une époque difficile dans ma vie, mais, en cuisinant, je réussissais à échapper à mes problèmes. Je regardais toutes les émissions de Bourdain, je lisais tous les livres qu’il conseillait, les menus des restaurants qu’il visitait. J’ai essayé toutes les recettes de son livre de cuisine Les Halles, la brasserie new-yorkaise où il était le chef cuisinier.

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Je me suis ensuite présenté, CV en main, à la porte de presque tous les restos à Montréal, malgré le fait que je n’avais strictement aucune expérience en cuisine, jusqu’à ce qu’un chef me donne mon premier poste, en tant que commis. Pendant presque une décennie, j’ai travaillé dans l’industrie de la restauration. À chaque moment, Tony était près de moi; il m’a transmis une passion qui m’a sauvé la vie.

Je pensais aussi à Tony lorsque je me suis inscrit à mes premiers cours de dégustation de vin, une autre passion qu’il m’a transmise. Je le sentais près de moi quand je faisais maladroitement tourbillonner le liquide dans ma coupe. Je me demandais quels mots il utiliserait pour en parler, quand je plongeais mon nez dans le verre en essayant d’y détecter des fleurs et des fruits. C’est Tony qui, à travers Twitter, a rendu possible ma rencontre avec le vigneron Ray Walker, qu’il avait invité à son émission sur la Bourgogne; une rencontre qui m’a fait passer de simple amateur de vin à nerd du pinard.

« Quand je mourrai, je ne pourrai décidément pas regretter d’avoir manqué des occasions de passer un bon moment. »

Très vite, le monde qu’avait exposé Anthony Bourdain dans Kitchen Confidential est devenu ma réalité, et ça m’a fait peur. J’adorais mon travail, mais la vie qui venait avec lui me tuait lentement et a complètement détruit ma santé mentale. Il me fallait une sortie de secours. Encore une fois, Tony est intervenu, sans le savoir. Je me suis rendu compte que ce que j’aimais chez lui, c’était sa manière de s’exprimer. Je m’en suis inspiré du mieux que j’ai pu, jusqu’à ce que j’arrive à devenir pas mal derrière un clavier. Il m’a appris à m’exprimer sans fioriture, à écrire avec honnêteté. Je me suis mis à écrire pour plusieurs publications montréalaises, jusqu’à ce que je me retrouve ici, chez VICE. J’ai volé les techniques de Tony, et je les applique chaque jour.

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Vendredi matin, j’ai donc appris qu’Anthony Bourdain s’était suicidé dans sa chambre d’hôtel, à Strasbourg.

Moi, je me tapais des marathons de Parts Unknown, seul dans mon salon pendant des jours, après ma tentative de suicide ratée. Je ne savais pas qu’Anthony avait des tendances suicidaires, lui aussi. C’est difficile à comprendre, vu la manière dont il pouvait arriver à voir le bon côté des choses lorsqu’il arrivait dans des villages frappés par la guerre et la famine. Plus que tout, Tony essayait de nous apprendre à ne pas avoir peur de l’autre : il allait à la rencontre de l’autre pour nous faire voir qu’on est tous l’autre de quelqu’un, et qu’au final, rien ne nous rend plus spéciaux ou supérieurs. Quel autre chef aurait pu inviter le président Obama à venir manger un bún chả et à boire une bière dans une gargote sketchy à Hanoï? Qui d’autre aurait pu se servir d’une émission de cuisine pour exposer les atrocités de la guerre des cartels au Mexique? Il n’y avait qu’un seul Anthony Bourdain, et là, il n’est plus. C’est ça, surtout, qui me rend triste.

L'auteur avec Anthony Bourdain, en 2012.

Tony, on buvait un riesling d’Alsace, le soir où je t’ai rencontré. Tu étais sur le point de partir, mais tu as pris le temps de me parler. Tu m’as écouté en souriant alors que je te racontais à quel point tu as été important pour moi, et comment je ne pourrais jamais t’en remercier adéquatement. Je suis extrêmement triste de t’avoir perdu, mais je suis encore plus content de t’avoir eu dans ma vie.

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Tu es entré dans ma vie à un moment étrange et tu l’as changée à jamais. Pour la majeure partie de ma vie jusqu’à maintenant, tu m’as servi de guide et de mentor. Tu as influencé tout ce que je fais, de ma manière de cuisiner à ma manière d’écrire. Tu m’as appris à être aimable, à poser des questions et à reconnaître mes torts. Je vais continuer à penser à toi quand je fais ces choses-là, et tu continueras d’être avec moi dans mes moments les plus précieux. Tu m’as sauvé la vie.

Si vous ou une personne que vous aimez êtes en détresse, téléphonez au 1 866 APPELLE (277-3553) ou visitez Suicide Action .

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