On a regardé un match de l’Impact avec des membres des Ultras

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On a regardé un match de l’Impact avec des membres des Ultras

« On n’a pas l’habitude de parler avec les médias. Souvent on leur parle, pis ce qui ressort n’est vraiment pas représentatif des Ultras. »

Le match est vieux d'à peine cinq minutes qu'il faut rapidement se rendre à l'évidence : l'ambiance au Stade Saputo n'a rien à envier à celle du Centre Bell. C'est en grande partie grâce au tintamarre produit par les partisans de la section 132. C'est la rentrée au Stade Saputo, et les Ultras prennent d'assaut leur tribune habituelle, tout juste derrière le filet. Plus de 1700 partisans sont ici pour accueillir l'Impact dans ce deuxième match à domicile – la première rencontre a eu lieu au Stade olympique – mais la majorité des décibels produits proviennent de ce petit enclos de fiers partisans.

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C'est en Italie que le concept des Ultras est apparu; il s'est par la suite décliné sous différentes formes dans les différents stades de soccer de la planète. L'une des variations repose sur l'identification politique de ces groupes : certains s'affichent clairement à gauche, d'autres à droite. Pour eux, si le sport et la politique sont indissociables, il arrive même que la dimension sportive soit reléguée au second plan, au profit de la plus grande cause. L'un des exemples les plus frappants est survenu en 2013, lors des manifestations en Turquie. Trois groupes d'Ultras rivaux ont laissé sur le terrain leurs différends afin de s'unir dans une mobilisation contre le premier ministre turc. Cette alliance était d'autant plus improbable que les trois groupes ne partageaient pas nécessairement les mêmes idéaux politiques. Les Ultras ne sont pas des cousins éloignés des Hooligans, ces fanatiques à la réputation violente et aux tendances de droite. Certains groupes d'Ultras, comme en Italie, adoptent aussi une posture raciste : par exemple, certains supporters du club de Lazio ont été associés à l'extrême droite. La version montréalaise des Ultras, elle, ne veut rien savoir pantoute de tout ça. Elle se définit comme apolitique, la question nationale du Québec n'étant pas étrangère à cette décision. C'est qu'afin de rallier les fans, lors de la création du groupe, il était préférable d'éviter le débat souverainiste-fédéraliste. Pour preuve, aucun drapeau national n'est admis dans la tribune, appelé le kop. Une caractéristique unit cependant tous les Ultras de la planète : leur philosophie de supporters indéfectibles. Celle-ci se manifeste par un dévouement total lors des matchs, mais aussi par un véritable décorum à respecter. Parce que, oui, pour entrer dans la section 132, il faut respecter certaines règles Alexandra, une des rares femmes dans le groupe, explique : « Si tu viens ici, tu lâches ton téléphone. Tu peux prendre une photo… mais tu dois continuer à chanter pendant! Il faut être prêt à chanter pendant 90 minutes. »
Elle est la première femme à avoir occupé le rôle de « capot » lors d'un match de l'Impact. Le « capot », c'est la personne à l'avant, équipée d'un mégaphone, qui lance les cris. Renonçant à regarder la partie, ce chef d'orchestre lance « Aux armes! Aux armes! » et instantanément, le reste de la tribune reprend le chant.

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Malgré la rigidité des codes, le tout se déroule dans une ambiance sympathique qui rappelle presque les colonies de vacances.

Autre étiquette à respecter : le code vestimentaire. Les perruques et la peinture au visage, codes appartenant surtout au football américain, sont prohibées.

« Là, on tolère ton t-shirt de Radulov parce que c'est quand même Montréal… mais disons, quelqu'un qui se pointait l'année dernière avec un chandail de Drogba avec Chelsea, on se moquait un peu de lui. On encourage Montréal, pas une autre ville, pas un seul joueur. »

C'est d'ailleurs la base de la mentalité Ultras : l'unité derrière la ville. Il n'y a pas de place pour l'individualité, c'est l'équipe qui prime. Mathieu fait partie de Front Commun, un groupuscule au sein des Ultras. Il aborde en ce sens : « Quand Drogba est arrivé, on s'inquiétait du type de partisans qu'il allait attirer au Stade. On était contents de voir la popularité de l'équipe augmenter, mais on se demandait si les nouveaux venaient encourager le club ou Drogba. Et cette année, maintenant qu'il est parti, on remarque justement une foule moindre. » Un groupuscule au sein du groupe Avant le match se rassemblent au Bar 99 les représentants de la section 132 pour discuter et boire une bière. Même aux matchs en matinée. Mais attention à bien nommer les choses : ce rassemblement n'est pas un tailgate. « Les Ultras ont leur propre culture. La peinture sur le visage, les tailgates… ça fait partie de la culture américaine, on voit ça au football, au hockey. Nous, plutôt, on se réunit tous ici. »
Tous sont réunis ici, oui, mais en deux groupes distincts, séparés par les étages du bar.
Il y a les Ultras, plus haut. Plus bas, une dizaine de membres de Front Commun se sont rejoints. Même s'ils représentent une unité lorsque vient le temps d'entonner des chants, en marge, ils abordent bien différemment leur implication partisane. Lors de la création des Ultras, les membres de Front Commun ont vu la décision d'être apolitique comme une occasion ratée. Pour eux, le sport est un moteur de sensibilisation et d'éducation populaire. « Selon nous, le sport et la politique sont indissociables », indique Mathieu, grosse bière à la main.

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Sur leurs vestes, bannières et drapeaux, on lit des messages politiques tels que « LOVE FOOTBALL, HATE RACISM », « AGAINST MODERN FOOTBALL » ou encore le logo antifasciste, qu'ils ont eu bien de la difficulté à faire entrer au stade en raison d'une politique sur l'affichage. « Au début, les gardes de sécurité essayaient de nous l'enlever, mais ils ont abandonné. » « C'est drôle un peu », souligne Mélanie, seule femme du groupe présente, « l'Impact et la MLS font elles-mêmes de la politique dans leurs campagnes, lorsqu'elles font la promotion de droits LGBT ou dans des campagnes contre le racisme. On fait la même chose, mais comme on a l'air un peu punk, c'est non? » La MLS n'en est pas à une incongruité près, selon Front Commun. « Juste l'exemple des fumigènes, c'est drôle comment la ligue contourne le sujet », soulève Francis. « Le Stade veut pas qu'on en rentre, mais après ils sont bien contents de les utiliser dans leurs publicités pour vendre des billets… » Est-ce qu'ils ont un peu l'impression d'être casseux d'ambiance, avec leurs messages politiques? « Des fois, ça passe croche. Mais on a une approche pédagogique. Nous aussi on est des fans de sport! On veut pas ruiner l'expérience pour personne. Et quand on fait ça avant les matchs, ça passe bien. Habituellement. » Habituellement? « Notre première action, on était pas prêts. C'était le 1er mai, dans un match contre Toronto, qui coïncidait avec la Journée des travailleurs. On avait une banderole "L'ennemi le 1er mai : au Stade, Toronto FC; à la job, les patrons". On a pris la parole et on a eu des regards. Ça a jeté un frette. Depuis on s'organise mieux. »

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Du côté des Ultras, on assure que ces interventions ne dérangent pas… tant qu'elles demeurent courtes. « Ça prend de tout pour faire un kop », exprime Alexandra. « Personnellement, un message politique, ça ne me dérange pas… mais ça dépend de sa durée et du moment choisi. »
Elle justifie la neutralité du groupe mère par un souci d'ouverture : « Peu importe ta position politique, ton orientation sexuelle, ton ethnie, ton idéologie, si tu es prêt à venir encourager l'équipe on veut t'accueillir! »

Peu importe l'idéologie? Même disons une personne ouvertement hitlérienne? « On est supposés être apolitiques, pas idiots. On est contre le racisme. Les racistes sont pas les bienvenus, on se réserve un droit de discernement. On a pas de contrôle, mais c'est évident qu'on peut intervenir individuellement si on entend parler de choses qui ont pas de bon sens. On a aussi une conscience sociale : à Toronto l'an dernier il y avait une affiche très sexiste illustrant une femme aux couleurs de l'Impact qui faisait une fellation à un partisan de Toronto. Ici, ça n'aurait jamais passé. D'ailleurs à Toronto, il a failli y avoir des débordements à cause de ça dans les estrades. » Parlant de débordements, les Ultras ont par le passé fait parler d'eux à Montréal pour leur utilisation de fumigènes. Mais est-ce que cette pratique doit vraiment être associée aux Ultras?

« Officiellement, les Ultras n'en utilisent pas », de répondre Alexandra avec un sourire en coin. « Après, si certains décident d'en utiliser dans notre tribune, on a pas le contrôle. » L'organisation a mis une solution à la disposition des supporters qui souhaitent utiliser les fumigènes, jugés dangereux par les autorités. « D'autres groupes ont eu accès à une machine homologuée, plus sécuritaire selon eux. Le club leur en prête une, mais nous on veut rien savoir de ça », indique Mathieu. Même son de cloche chez Alexandra, qui refuse de voir les Ultras marchander leur indépendance vis-à-vis du club.

Lors d'un match à Toronto en 2011. Photo gracieuseté de Front Commun

Les Ultras et la MLS : une relation compliquée
« C'est notre petit côté rebelle. On veut démontrer que le sport appartient aux individus, pas à l'industrie », explique Mathieu. Ces propos font écho à AGAINST MODERN FOOTBALL, devise emblématique des Ultras partout dans le monde, qui appelle à retirer le sport des mains des puissances économiques pour le redonner au peuple.

Suivant cette prémisse, il va de soi que les relations entre la MLS et les Ultras n'ont pas toujours été au beau fixe. La structure de la MLS est loin de plaire aux membres de Front Commun.
« Ailleurs, il y a des systèmes de relégation. Si les équipes veulent rester dans les ligues supérieures, elles doivent être bonnes. Ici, il y a juste un critère pour rester en MLS : avoir du cash. » À la base, le système d'opération de la MLS semble incompatible avec la mentalité Ultras. De par sa structure unique d'« entité simple », la MLS garde un contrôle sur le mouvement d'effectif des équipes. Ainsi, quand un joueur se joint à la ligue, il le fait en signant un contrat avec elle, et non pas avec un club. La MLS se réserve même le droit de décider pour quelle équipe s'aligneront des nouveaux venus en demande. À quoi ressemblerait la ligue idéale des Ultras de Montréal, donc? Mélanie lance spontanément : « C'est sûr qu'une ligue autogérée, avec une organisation à l'horizontale, correspondrait plus à notre vision du soccer idéal. » Pour atteindre cet idéal, est-ce que les supporters de Front Commun sont prêts à accepter que cela se fasse au détriment de la qualité du spectacle? Une ligue aussi atypique aurait certainement de la difficulté à attirer des joueurs professionnels, par exemple. Mélanie réfléchit un instant : « On est conscients de certaines de nos contradictions. Ce serait bien que l'Impact appartienne véritablement à la population de Montréal. En attendant, au risque de sonner réformiste, ce serait au moins de pousser le club pour qu'il reconnaisse au maximum sa particularité locale, par exemple en priorisant le talent dans sa cour. » Finalement, les membres de Front Commun et des Ultras se rejoignent idéologiquement contre le même postulat : le soccer n'appartient pas à une industrie et c'est aux partisans d'agir en supporters, et non pas en consommateurs-spectateurs, pour se le réapproprier.