FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Sextortion : comment vous masturber devant la webcam peut vous exposer aux arnaqueurs

Le département américain de la Justice rapportait en 2016 que c’est « de loin la menace contre les mineurs en plus forte croissance ».
blogtrepreneur.com/tech

L'amour n'a peut-être pas de prix, mais ça peut quand même être coûteux de le chercher.

À l'occasion de la Saint-Valentin, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Federal Bureau of Investigation (FBI) ont tous deux publié des mises en garde contre la sextortion. La police fédérale estime qu'en 2016, 17 millions de dollars avaient été volés à des Canadiens par l'entremise de sites et d'apps de rencontre. Le FBI rapporte l'histoire d'une dame qui s'est fait escroquer 2 millions de dollars par un homme qui prétendait vouloir l'épouser et qui l'a convaincue d'investir dans un projet immobilier sans risque en Afrique.

Publicité

Le département américain de la Justice rapportait en 2016 que c'est « de loin la menace contre les mineurs en plus forte croissance » et INTERPOL affirme que le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Australie sont les pays les plus touchés. Devant cette menace grandissante, la GRC a publié une mise en garde au sujet la sextortion, conseillant aux internautes canadiens de ne pas se plier aux demandes des criminels, de désactiver tous leurs profils publics le plus vite possible et de signaler l'incident à la police.

Pendant ce temps-là, Tinder annonçait une hausse de 10 % du nombre d'abonnements dans la semaine avant la Saint-Valentin et a l'an passé enregistré 1,7 milliards de swipes sur son app le 14 février, soit 300 millions de plus qu'au cours d'une journée moyenne. L'entreprise a même payé la bière à des dates Tinder mardi soir. Bref, la quête d'amour en ligne a plus que sa part d'adeptes.

D'habitude, les arnaqueurs et les bots sur les sites de rencontre sont assez faciles à repérer. Comment alors s'y prennent les hackers d'aujourd'hui pour continuer à soutirer autant d'argent à leurs victimes? On est bien loin des stratagèmes douteux et clairement sketchy des arnaqueurs nigériens du début des années 2000, se faisant passer pour de riches entrepreneurs voulant vous faire don de millions de dollars en échange d'un numéro de carte de crédit.

L'arnaque la mieux connue dans l'univers numérique est sans doute celle du « prince nigérien », qui est elle-même une variation du prisonnier espagnol, dont les origines remontent à la Révolution française. L'exécution est plutôt simple : on envoie un message à la victime potentielle, en disant, par exemple, qu'un membre éloigné et très riche de sa famille est emprisonné outre-mer, et qu'il est prêt à partager une partie de sa fortune avec elle si elle consent à payer la caution du prisonnier et les pots-de-vin nécessaires à sa libération et son rapatriement. La nature implicitement illégale de la fortune du membre de la famille et le climat social fortement caractérisé par la corruption politique dans le pays de détention expliquent pourquoi c'est à nous et pas à un autre que le prisonnier se confie.

Publicité

Les fraudeurs nigériens le faisaient déjà par la poste dans les années 80, alors que le pays jouissait d'une forte économie basée sur le pétrole et les investissements douteux de compagnies étrangères. Le collectif de fraudeurs nigériens à l'origine de cette arnaque s'est même vu décerner le Prix IG (l'anti-Prix Nobel) de la littérature en 2005, pour avoir « familiarisé des millions de lecteurs à une riche variété de personnages » fictifs.

Avant, c'était donc un peu plus facile à repérer, il y avait des red flags : les faux personnages habitaient souvent outre-mer, demandaient des sommes d'argent bizarrement précises et, sur internet, refusaient sous toutes sortes de prétextes d'envoyer des photos ou de skyper . Aujourd'hui, les gens sont plus informés et par conséquent plus difficiles à prendre. Alors plutôt que d'exploiter l'empathie pour extraire des sous, les fraudeurs se tournent vers le point le plus faible de l'humain : ses pulsions sexuelles.

Une connaissance a accepté de me parler de son histoire de sextortion, tant que je ne l'identifiais pas. Appelons-le Fred. Dans le cas de Fred, tout a commencé sur Facebook, quand une personne inconnue lui a demandé d'être son ami. Après plusieurs semaines d'échange, ils ont commencé à flirter et ils ont plus tard eu des échanges de nature sexuelle par webcam (la personne derrière le faux profil prétendait habiter plus loin dans le nord du Québec).

Publicité

Après avoir amassé une certaine quantité de vidéos de Fred en train de se masturber,  l'arnaqueur lui a réclamé plusieurs centaines de dollars, sans quoi il menaçait de tout publier sur Facebook, en plus d'envoyer les vidéos à sa famille et à ses amis.

Le département américain de la Justice rapportait en 2016 que la sextortion est « de loin la menace contre les mineurs en plus forte croissance » et INTERPOL affirme que le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Australie sont les pays les plus touchés. Devant cette menace grandissante, la GRC a publié une mise en garde au sujet la sextortion, conseillant aux internautes canadiens de ne pas se plier aux demandes des criminels, de désactiver tous leurs profils publics le plus vite possible et de signaler l'incident à la police.

Avec le recul, Fred se rend compte qu'il était une cible parfaite. Célibataire depuis peu et rendu à un âge où la pression commence à se faire sentir pour s'accoupler – des renseignements qu'il avait postés dans son profil Facebook public à différentes occasions –, Fred était vulnérable aux pièges semblables.

Il a pris une chance et a refusé de payer, mais avoue avoir passé plusieurs semaines à douter et à s'inquiéter, même s'il a signalé à Facebook le profil frauduleux, effacé son propre compte et changé d'adresse courriel. Fred n'a heureusement « rien entendu depuis ».

Tout le monde n'est pas aussi chanceux. Il y a deux ans, Yanick Paré, un jeune d'Asbestos, âgé d'à peine 18 ans, s'est suicidé après un incident semblable. Sandra Roy, une jeune franco-ontarienne, voulait supposément entretenir avec Yanick une relation, après l'avoir invité à joindre son réseau d'amis sur Facebook. À cause de la distance, les deux ne se sont jamais rencontrés. Ils se parlaient depuis un bon moment et ont eu des séances intimes par webcam. Un jour, « Sandra » a annoncé à Yanick qu'elle avait enregistré leurs échanges vidéo et que, s'il ne lui envoyait pas un paiement, elle publierait la vidéo en ligne et l'enverrait à tous ses proches, en racontant qu'il s'était masturbé devant une fillette de 9 ans pour le faire passer pour un pédophile. Se sentant pris au piège, Yanick lui a d'abord envoyé 300 $, soit presque toutes ses économies, mais ce n'était pas assez. « Sandra » en voulait plus.

Publicité

Désespéré, Yanick a écrit une lettre expliquant la situation et s'excusant à ses proches puis s'est enlevé la vie. « Sandra » étant quelqu'un qui tient ses promesses, elle a envoyé les vidéos à la famille et aux amis de Yanick… après sa mort.

Après une enquête menée par la Sûreté du Québec (SQ), la GRC et Interpol, Sandra a été retrouvée. Il s'agissait en fait de deux Burkinabés, dont un mineur, habitant en Côte d'Ivoire, qui utilisaient un faux profil Facebook avec des images d'une même jeune femme trouvées sur internet. Ce stratagème fonctionnerait très bien au Québec.

Bien que les cyberarnaqueurs tentent de très souvent de soutirer de l'argent, d'autres demandent des faveurs ou des services. « Ça peut en venir à des demandes en mariage parce que quelqu'un veut déménager au Canada, de l'aide avec des papiers », explique la caporale Camille Habel, relationniste à la GRC.        « Ça peut être n'importe quoi que la personne peut vouloir.  Il faut toujours se rappeler qu'on se fait utiliser. »

Pour l'instant, il existe très peu de statistiques sur la sextortion, ce qui avantage les criminels. Puisqu'on leur demande normalement des sommes assez modestes pour un adulte occidental moyen, les victimes finissent souvent par simplement payer la rançon et sont trop gênées pour raconter leur histoire aux autorités. Aussi, le crime peut être classé dans différentes catégories, car il n'est pas nécessairement sexuel. Le matériel recueilli sert surtout de levier financier pour le criminel. On sait cependant que 71 % des victimes ont moins de 18 ans et que tous les accusés derrières les faux profils de femmes sont des hommes.

Billy Eff est sur Twitter.