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Culture

Noémie D. Leclerc nous explique pourquoi son roman « Darlène » est indescriptible

« C’est pas un drame, c’est pas une comédie, c’est juste la vie, point. C’est un beau mélange de drôle et de marde qui arrive chaque jour. »
Crédit photo / Gabriel Lapointe

« Je suis venu te dire que tu peux changer », chante Hubert Lenoir [Chiasson], l’auteur-compositeur-interprète de 23 ans qui lançait le 2 février dernier Darlène, un album-concept aux mélodies accrocheuses et aux influences multiples. Sorte de Bowie québécois, boucle d’oreille et rouge à lèvres à l’appui, Hubert Lenoir dit vouloir tracer le « coming of age d’une génération ». Mais la proposition esthétique de Darlène ne se limite pas à la musique. L’album de Lenoir s’insère plutôt dans un projet multidisciplinaire plus vaste auquel se greffe également un roman, Darlène, lancé lui aussi le 2 février dernier et écrit par Noémie D. Leclerc, 21 ans, gérante et amoureuse de l’artiste.

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Noémie D. Leclerc y raconte son histoire, celle d’une jeune femme en quête d’émancipation qui habite en banlieue de Québec, là où elle et Hubert se sont rencontrés. Si son roman parle d’un désir de changement après « une décennie à marcher dans les mêmes rues, à descendre les mêmes escaliers, à commander de la slush au même dépanneur », il témoigne aussi d’une forme de romantisme pour la culture grand public et fait écho aux thèmes développés dans les chansons d’Hubert.

J’ai joint Noémie pour parler avec elle de son roman, de philosophie DIY, de l’émission Salut Bonjour et de bien d’autres choses.

VICE : Avec Darlène , le livre comme l’album, toi et Hubert aviez l’ambition de tracer le portrait de votre génération. Qu’est-ce qui la définit?
Je suis en plein dedans. Je pense que ça prend un certain recul pour la décrire. Il y a plein de monde comme moi, comme Hubert et même peut-être comme toi, qui veulent juste se battre contre quelque chose, ils sont fâchés, juste un p’tit peu en tabarnak. Ils ne savent pas contre qui ou quoi, ils ne savent pas pourquoi non plus, mais c’est ce qui les définit peut-être.

Dans le fond, tu parles d’une colère que les gens ressentent, même s’ils ne connaissent pas nécessairement son origine?
Oui pis tu sais, ce n’est pas une colère contre la société, c’est juste une envie de vivre quelque chose de fort, de vivre une sensation forte. On a l’impression qu’on n’appartient à rien, qu’on n’a pas de fondement. Les seules racines qui nous restent, c’est l’endroit où on est né. Pis souvent, on finit par déménager, alors après ça… on est qui? Moi, j’ai une chaîne dans le cou et j’ai l’impression que c’est ma famille. Je la garde avec moi. Peu importe avec qui je parle, peu importe où je suis, c’est mon fondement. J’ai l’impression qu’on s’en cherche, des chaînes dans le cou. Juste une, pas lourde. Pour nous rappeler [d’où on vient].

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Je vois dans votre projet une approche très DIY. C’est même toi qui signes le design de ta propre couverture et de la pochette de disque d’Hubert.
Tout le livret de l’album aussi. Ma photo d’auteure, c’est Hubert qui l’a prise. Toutes les photos que tu vois sur Facebook sont aussi de nous, sauf les deux photos de presse qu’on utilise, parce qu’à un moment donné, on ne peut pas utiliser des selfies comme photos de presse. C’est tout à fait volontaire.

Avec votre parti pris DIY, c’est comme si vous disiez que l’art était accessible à tous, peu importe les moyens économiques, techniques ou les études qu’on a. Je me trompe?
Aujourd’hui, il y a beaucoup d’artistes reconnus et propulsés par les médias qui ont grandi avec des parents dans le milieu artistique. C’est sûr que, quand t’as un bagage culturel extrêmement riche, après ça, c’est plus facile de se lancer en art. Mais cette éducation-là n’est pas à la portée de tous. C’est pas parce que t’as pas beaucoup lu de livres dans ta vie, ou écouté peu de musique que ça veut dire que l’art n’est pas fait pour toi. […] C’est un peu ça qu’on essaie de dire avec Darlène.

Le personnage principal de ton roman revendique la culture de masse comme une partie importante de son identité.
Dans le livre, Darlène n’a pas vraiment de réflexion [sur la culture de masse], elle ne porte pas de jugement. Elle ne se demande pas si c’est correct. Je voulais laisser cette portion-là, le « c’est-tu-correct-ou-ce-l’est-pas », au lecteur. Ce que je sais, c’est que j’écoute Denis Lévesque et que, tous les matins, j’écoute Salut Bonjour. Parallèlement à ça, je vais aussi voir des shows, je vais au cinéma.

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Oui, j’ai senti que, dans ton roman, il y avait vraiment une appréciation sincère de la culture pop, un réel amour pour Denis Lévesque, par exemple. Pas de distance ironique.
Faut arrêter de creuser le fossé entre ce qui est intellectuel et ce qui ne l’est pas. Darlène, c’est volontairement un pont entre deux mondes. Hubert, sa famille est de gauche, tandis que ma famille est de droite. Souvent, les opinions de ma mère ressemblent à celles de Jeff Fillion. En fait, la plupart du temps. C’est volontaire de vouloir joindre ces deux mondes-là, et c’est là que Hubert et moi on s’est rejoint.

Parlant de famille, dans ton roman, qui s’inspire grandement de ta vie, tu traces un portrait pas toujours rose de ton entourage. Est-ce que ça prend du courage pour écrire sur les gens qui sont proches de soi?
Ç’a été difficile. Montmorency, où j’ai grandi, c’est encore ma terre natale. Ma mère est déchirée entre la fierté de savoir que j’ai écrit un livre et le fait que le livre parle d’elle, de la famille. Reste que c’est la fierté qui gagne. Elle veut que je vienne dédicacer des livres au salon de coiffure où elle travaille. Quand j’en dédicace, j’imagine les madames lire mon livre et voir ma famille dépeinte sous toutes ses coutures, qui sont parfois croches en esti. Je trouve ça dur.

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Toi et Hubert, vous aviez l’ambition de faire une œuvre totale, multiple, un « opéra post-moderne ». D’ailleurs, le personnage de Darlène aime les films qui « parlent de la vie comme d’un tout » et mentionne le film À l’ouest de Pluton , qui est un de mes films préférés. Qu’est-ce que ça veut dire de « parler de la vie comme un tout »?
Tu as vu À l’ouest de Pluton. Quand tu sors de ce film-là, tu ne peux pas dire de quoi ça parle. Ça te transmet un feeling, mais y a pas de mots pour le décrire. Quand on a sorti Darlène, je me creusais la tête. Je cherchais le qualificatif pour décrire notre projet. C’est pas un drame, c’est pas une comédie, c’est juste la vie, point. C’est un beau mélange de drôle et de marde qui arrive chaque jour. […] Tu sais, les jeunes dans À l’ouest de Pluton sont perdus. Ils sont en banlieue de Québec, ils font juste errer pis rire, et c’est profondément triste. C’est indescriptible, mais ça se doit de rester comme ça.

Donc, une œuvre qui parle de la vie comme un tout, ce serait une œuvre indescriptible?
C’est mon feeling, et c’est vers ça que je m’enligne quand j’écris.