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Flous juridiques et injonctions contradictoires : du rapport des femmes à la sexualité en prison

On s’est entretenu avec la sociologue Myriam Joël, la première chercheuse à avoir travaillé sur la sexualité des femmes dans les prisons françaises.

Corps musclé par une pratique assidue du MMA, veste en similicuir et franc-parler : à première vue, on imagine sans peine Myriam Joël enquêter sur les prisons françaises, nouer des liens avec des détenues et sympathiser avec leurs surveillantes. Et c’est précisément ce que cette sociologue fait depuis plus de dix ans. « Si j’ai autant de facilité à travailler en milieu carcéral, c’est parce que je n’ai jamais pris parti », m’explique-t-elle dans le café du 20e arrondissement où s’est déroulé notre entretien. Dans le cadre de ses recherches, Myriam Joël a interviewé des dizaines de détenues et d’acteurs du milieu carcéral – qu’ils soient surveillants, gradés ou bénévoles. Son livre, La Sexualité en prison de femmes, publié aux Presses de Sciences Po en septembre dernier, reprend et enrichit sa thèse soutenue en 2012 à l’université Paris Nanterre. La sexualité y devient le support d’une analyse plus large sur le genre et les rapports de domination. Au sein de l’institution carcérale bien sûr, mais aussi en dehors – la prison agissant selon elle comme un miroir de la société. On lui a posé quelques questions pour en savoir plus sur son sujet de recherche.

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VICE : En prison, la sexualité a une place paradoxale. Elle existe – au parloir, par exemple – et n'est pas vraiment interdite. Dans le même temps, le Code pénal interdit aux détenus « d'imposer à la vue des actes obscènes ou susceptibles d'offenser la pudeur ». D'où vient ce flou ?
Dans notre société, l'idée que la sexualité puisse être réglementée gêne profondément. Une des conséquences directes, c'est que la sexualité est taboue. Ce tabou est entretenu par un certain nombre de normes : elle ne doit pas de donner à voir, à réfléchir, à penser. C'est la même chose en prison : on ne réglemente pas la sexualité, mais son expression.

C’est un problème, non ?
Si tu t’intéresses au point de vue des détenues, elles auraient intérêt à ce que ce soit défini de manière formelle. Mais ça mettrait fin à des formes de négociations existantes avec les agents pénitentiaires, des formes de fonctionnements qui laissent parfois plus de libertés.

Mais cela n’ouvre pas la porte à des abus ? À du favoritisme envers certaines détenues ?
Pas en prison pour femmes. C'est sûr qu'au-delà du sexe, les surveillantes vont être plus conciliantes avec une détenue agréable, mais personne ne va accorder de parloir ou laisser les détenues avoir des rapports pour ces raisons. Il faut bien comprendre que les surveillantes ressentent une gêne par rapport à la sexualité. Elles se retrouvent au parloir, avec des couples qui ont des rapports sexuels et ne savent pas comment réagir. Elles sont prises entre deux feux : la norme sociale qui les pousse à ne pas s'immiscer dans cette intimité et le cadre disciplinaire qui caractérise leur métier. Elles auraient intérêt à ce que ça soit plus encadré. Les directeurs ont plus intérêt à ce que les détenues puissent avoir une activité sexuelle. Ça évite les problèmes. Il y a une vraie dissonance entre le discours de certains cadres et celui des non-gradés, plus proches du terrain. Ils ont une approche pragmatique, pas idéologique de la sexualité. Les surveillants qui s'occupent des parloirs vont par exemple dire : « C'est mignon, mais qui va s'occuper de ramasser les capotes ? »

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Plus que les règles formelles, tu observes que le contrôle sur la sexualité s’exerce avant tout par les paires…
En arrivant en prison, je me disais que l'administration pénitentiaire serait la première structure de contrôle. Mais en réalité, les règles formelles arrivent en dernier recours. Le contrôle s'exerce d'abord entre détenues. Une nana qui va se laisser aller, ne plus prendre soin d'elle, on va lui dire qu'elle doit se reprendre en main. Mais si elle fait trop, qu'elle met une jupe un peu trop courte, on va le lui reprocher aussi. C'est un équilibre permanent.

Les mêmes injonctions paradoxales qu’à l’extérieur, en somme ?
Exactement. On attend des femmes qu’elles assument des rôles familiaux et non sexuels. Qu’elles soient de bonnes mères et de bonnes épouses, exactement comme à l’extérieur.

Au-delà de la sexualité, comment s’expriment ces discriminations de genre ?
Une situation récurrente, c'est que les femmes sont toujours considérées comme manipulatrices. Les surveillants vont te dire que les mecs sont violents, mais que voilà, ce sont des bonshommes, ils vont droit au but. Les murs des prisons sont poreux et s'imprègnent de ce discours qu'on retrouve beaucoup à l'extérieur. Les femmes vont toujours être suspectées d'avoir une stratégie, d'instrumentaliser les gens. Un homme qui se plaint de maux de tête aura facilement accès à des médicaments. Alors que les douleurs exprimées par les détenues vont souvent être minorées. Certains soignants disent que les femmes se plaignent en permanence, ils estiment qu'ils pratiquent la « bobologie ». Parfois, des drames peuvent subvenir : des cancers non diagnostiqués par exemple. Mais c'est difficilement quantifiable.

Une des conclusions qui m’a le plus marqué dans tes travaux, c’est que la prison aurait un rôle protecteur, voire émancipateur pour les détenues. En gros, elles arriveraient, grâce à l’incarcération, à se libérer de la domination masculine. Comment ça se fait ?
Les professionnelles et les bénévoles du quartier femmes ont tous un peu conscience des parcours de vie très difficile des détenues. Les intervenants pensent souvent que les détenues sont des victimes des hommes. L’idée de les aider à se sortir de ces rapports de domination transcende l’ensemble des acteurs. Il y a une prise de conscience qui se fait en prison, certaines détenues te disent par exemple : « Quand je sortirai, plus jamais je me laisserai dominer par les bonshommes ». Mais souvent, les nanas sont un peu perdues. Elles ont du mal à accepter qu’elles soient dominées. Sur la sexualité, elles sont souvent prises à défaut de ne pas avoir réussi à s’imposer par le passé comme sujet sexuel. La conséquence de cette attitude protectrice, c’est que les détenues aspirent à une sexualité égalitaire. Ce n’était pas forcément le cas avant. Le problème, c’est que la prison véhicule souvent l’image d’un homme dangereux. Elles sont encore une fois prises entre deux injonctions contradictoires. Elles doivent se méfier des hommes tout en faisant confiance à leurs conjoints.

Sur le long terme, est-ce que la prison permet vraiment de s’affranchir de ce modèle de domination ?
Objectivement, je me dis que ça doit être difficile à l’extérieur. En prison, les femmes sont protégées. Elles voient peu les hommes, les surveillantes interviennent si des hommes sont très machos. Mais je reste dubitative sur l’après, quand elles se retrouvent seules.