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Élections ontariennes

Nous voici devant Doug Ford

Le frère de Rob, l'ancien maire de Toronto, est désormais premier ministre en Ontario. Faudra s'y faire.
Photo: Nathan Denette/La Presse Canadienne

L'article original a été publié sur VICE News.

Doug Ford voulait entrer.

C’était en 2012, il était conseiller municipal de Toronto et se trouvait à Chicago. Il accompagnait le maire, son frère, feu Rob Ford. Le maire Ford devait rencontrer son homologue de Chicago, Rahm Emanuel. Il avait été entendu que le conseiller Ford n’assisterait pas à la réunion. Mais ce dernier a insisté et il est entré. Il n’est sorti que lorsqu’un employé du maire de Chicago le lui a finalement demandé.

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Cet incident, que relate Mark Towhey, ex-directeur de cabinet de Rob Ford, dans son livre Mayor Rob Ford: Uncontrollable, illustre la dynamique entre les deux frères que beaucoup ont remarquée : au cours du mandat de Rob Ford, l’une de ses plus grandes vulnérabilités, c’était le copilote : Doug. Il montre aussi que Doug Ford, le plus sortable mais plus culotté des deux frères-sosies, s’est toujours imaginé au pouvoir.

Maintenant, quatre ans après avoir échoué à devenir à son tour maire de Toronto, il y est, et en tant que premier ministre de l'Ontario. Hier, son Parti conservateur a pris le pouvoir, et il est majoritaire. Cette victoire signale une montée du populisme en Ontario, en écho à Trump aux États-Unis. D’ailleurs, quand il a été élu chef du parti en mars, les parallèles entre les deux sont apparus instantanément et on ne les compte plus depuis.

Ford, comme Trump, a un penchant pour les slogans simplistes et a basé sa campagne sur sa propre personne, sans s’attarder aux détails de ses grandes promesses. Il s’est présenté comme le seul politicien qui travaille pour le monde ordinaire. Il peste contre l’establishment, dénigre publiquement les médias, veut réduire la taille de l’État. À l’image de Trump à l’endroit de Hillary Clinton, en avril Ford a laissé entendre que l’ex-première ministre Kathleen Wynne devrait être en prison, avec l’ancien chef de cabinet David Livingstone, condamné pour son implication dans une affaire de corruption. C’est pourtant Ford qui s’est retrouvé mêlé à controverse après controverse durant la campagne, des allégations de fraude à la poursuite de la veuve de son frère contre lui, en passant par une candidate de son parti qui a louangé un groupe terroriste. Cependant, rien de tout cela ne semble avoir eu de conséquences pour lui.

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« Il sait ce que ressentent toutes les communautés, ce en quoi elles croient, ce qu’elles vivent… Cette famille, c'est des gens normaux. Ils ne se comportent pas comme des millionnaires au-dessus des autres. Ils sont normaux, ils touchent toutes les communautés », nous a récemment expliqué Abukar Ahmed, un partisan de Ford.

« Doug Ford est un homme d’affaires, et c’est de ça que l’Ontario a besoin en ce moment », dit Christine Liu, qui s’est publiquement opposée au cours d’éducation sexuelle, que Ford a promis de revoir. « Il connaît son affaire, il sait comment réduire les coûts, il sait comment ouvrir l’Ontario aux entreprises. Doug Ford, si vous voulez que je le décrive en un mot, c’est l’intégrité, ce que Kathleen Wynne a complètement perdu. Elle dit une chose et en fait une autre. »

Tout comme Trump, le chef du Parti conservateur ontarien a exploité la colère des citoyens et promis de l’action. Il est hostile envers les journalistes, jugeant que les reportages sur lui ou sa famille sont des chasses aux sorcières. Quand le Globe and Mail a présenté une enquête en profondeur sur son passé de revendeur de haschisch, il a rétorqué que c’était une fabulation (il nie les allégations et n’a jamais été officiellement accusé). Durant sa campagne, il a rarement accepté de répondre aux questions ou accordé une entrevue.

Ford a effectué un seul mandat de conseiller municipal, n’a aucune expérience en politique provinciale. Ayant été à la tête de la compagnie d’emballage et d’étiquetage qu’avait fondée son père, il s’est donc, comme Trump, vanté de son sens des affaires et s'en est servi comme preuve qu’il sait diriger un gouvernement et gérer des milliards de dollars. Bien que de nombreuses questions aient été soulevées à propos de ses compétences en affaires, aucune ne lui a causé plus d’ennuis que la poursuite en justice engagée par Renata Ford, veuve de Rob Ford.

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Quelques jours avant l’élection, Renata Ford ainsi que ses deux enfants ont poursuivi le candidat au poste de premier ministre pour 16,5 millions de dollars. Ils affirment que lui et son frère aîné, Randy, les ont privés de millions de dollars qui leur étaient dus. Mme Ford allègue de plus que, sous la direction de Doug Ford, la société familiale, Deco Companies, a perdu des millions de dollars. Il a refusé de s’exprimer à propos de ces accusations, mais a assuré que leur fausseté serait prouvée en cour et que la compagnie allait très bien.

Ford a dans le passé parlé en termes élogieux de Donald Trump et dit qu’il aurait voté pour lui. « Absolument qu'il respecte les femmes, avait-il assuré en 2016. Il y a des millions de femmes qui ont voté pour lui. Alors toutes ces femmes sont stupides? Je ne pense pas. » Aujourd’hui, Ford il rit de la comparaison et dit se ficher du président. Il affirme que sa famille est en politique depuis bien plus longtemps que Trump. Son père a été élu député provincial en 1994 et, pendant des années, la famille a fait partie de cercles conservateurs, en particulier à Etobicoke, dans la banlieue torontoise, là où les frères Ford ont grandi.

En 2010, quand Rob Ford a été élu maire, il a obtenu un poste de conseiller municipal, et ç’a été le début de la période la plus chaotique dans l’histoire de la politique municipale à Toronto. Malgré un conflit d’intérêts qui a presque conduit à l’expulsion de Rob Ford, son admission d’avoir fumé du crack après avoir menti à ce sujet pendant des mois, entre autres scandales, la Ford Nation est restée soudée.

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La combativité et les remarques spontanées de Doug Ford lui ont aussi causé des ennuis dans le passé. « Il peut aller au diable, je m’en fous », a-t-il déclaré au Toronto Sun, en réaction à une poursuite déposée contre lui par le père d’un enfant autiste en raison de commentaires offensants au sujet d’une maison pour enfants autistes d’Etobicoke. « Ce n’est pas normal en démocratie. C’est le jihad total contre nous maintenant. » En 2011, il a lancé à un manifestant contre la pauvreté de se trouver un job. Il a aussi déclenché une dispute publique avec l’ancien chef de police de Toronto, Bill Blair, en accusant les policiers de faire couler de l’information au Toronto Star et Blair de chercher à se venger après que son contrat n’a pas été renouvelé. En 2014, un candidat à la mairie l’avait accusé d’avoir blasphémé grossièrement et de l’avoir injurié lors d’une poignée de main après un débat houleux.

« Doug est un bully. Il se met en colère rapidement et, quand on s’oppose à lui, il rage et tente directement d’intimider, il menace de violence physique ou d’une autre forme de punition ou de représailles, a écrit Towhey dans son livre. À ma connaissance, il n’a jamais eu recours à la violence physique contre qui que ce soit, par contre. »

Ford a rejeté cette description. Selon lui, il essaie seulement de se porter à la défense de son frère et des contribuables. Il répète d’ailleurs souvent qu’il ne fait que défendre les intérêts des contribuables. Dans cet esprit, il s’est notamment vanté à répétition d’avoir permis à Toronto d’économiser 1,1 milliard de dollars quand lui et son frère étaient en politique municipale, en dépit du fait qu’il n’était pas maire et qu’il a été prouvé que l’affirmation était fausse.

À titre de conseiller municipal, Ford a œuvré à confier à de grandes compagnies des projets publics. Il a par exemple voulu qu’une compagnie revitalise la rive du lac Ontario ou construise la plus grande grande roue du monde, un projet qui ne s’est jamais matérialisé. Il a cherché de petits moyens de réduire les dépenses municipales, comme en privatisant la collecte des ordures, et a offert de payer de sa poche pour des projets publics : il a offert 50 000 $ pour la revitalisation des parcs urbains.

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Mais d’une façon, Ford et Trump, du moins en surface, sont différents. Plutôt que de présenter les migrants et les personnes de couleur comme des criminels et des violeurs, Ford a continuellement cherché à les courtiser pour obtenir leurs votes. C’est son avance dans les quartiers où vivent principalement des immigrants qui lui permettrait d’être élu, avaient prédit les firmes de sondage. Cette hypothèse selon laquelle la population immigrante serait responsable de son élection a cependant été contestée par ceux qui font observer que la majorité des électeurs de la province sont blancs et vivent dans les régions rurales.

Quoi qu’il en soit, il est élu, et, à titre de premier ministre conservateur de la province la plus populeuse au pays, son arrivée change considérablement la donne en politique, et pas seulement en Ontario, car on doit s’attendre à ce qu’il soit également un acteur sur la scène fédérale.