Priya Ahluwalia upcycled fashion
Photographie Allessandro Raimondo. Image courtesy of Ahluwalia Studio.
Mode

face à la crise climatique, l’industrie de la mode va-t-elle (enfin) passer à l'action ?

« La maison est en feu. »

« Nous n’avons pas le choix, notre planète est en train de brûler, » prévient Dr Martin Frick, membre de la direction de l’UNFCCC (un département des Nations Unies exclusivement dédié au dérèglement climatique), lors de la 10ème édition du Sommet de la Mode à Copenhague. Le sommet de Copenhague est loin d'égaler les remous provoqués par le discours de Davos de Greta Thunberg, l'activiste suédoise à l’initiative des grèves scolaires récemment en couverture d’i-D, mais il a placé l’urgence climatique au cœur de sa réflexion. Pourquoi ? Parce que nous n'avons plus que 10 ans pour atteindre les buts fixés par les Nations Unies avec l’accord de Paris : limiter la hausse des températures à 1,5 degrés celsius.

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« Nous avons le devoir d'être audacieux, il ne nous reste plus que dix ans pour inverser la courbe de la crise du climat » affirme Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable pour le groupe de luxe Kering (Yves Saint Laurent, Balenciaga, Gucci). Pourtant, alors que l'urgence n'a jamais été aussi palpable, les décisions importantes ne cessent d'être repoussées. En l'espace de deux jours, le sommet de Copenhague s'est donc changé en plateforme proposant aux entreprises des solutions pour affronter cette crise, leur permettre de s'engager et de fixer des échéances. Le géant Nike a offert un manuel de la création durable pour permettre aux designers de se référer à une norme commune, Google a annoncé une collaboration avec Stella McCartney destinée à mesurer l’impact environnemental de l’industrie de la mode et François-Henri Pinault (PDG du groupe Kering) a révélé avoir été chargé de créer une coalition de chefs d’entreprises et de leaders de l’industrie de la mode par le gouvernement français. Bref, de nombreux acteurs se sont servi du sommet pour faire valoir leur projet de développement durable. Pourtant, malgré ces initiatives, l’industrie – des créateurs aux PDGs en passant par les consommateurs - peut et doit faire plus.

Certains moments se sont révélés frustrants. D'innombrables hommes en costumes proprets ont fait honneur à la culture d’entreprise à travers des discours totalement dénués d'engagement effectif - de longs moments à parler pour parler, à faire la promotion de leurs entreprises et à s'accaparer la parole en vertu de leurs fonctions. C'est bien simple : nous n’avons tout simplement plus le temps pour ça. « Lors du premier sommet il y a 10 ans, seulement quelques PDG avaient compris l’importance de l'investissement dans des modes de production durables, » déclare Eva Kruse, présidente de Global Fashion Agenda. « Heureusement, les opinions changent et le développement durable est désormais important pour la direction des entreprises, elles le prennent de plus en plus en considération dans leurs plans commerciaux et économiques. » De plus en plus certes, mais pas assez.

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Le rapport Pulse of the Fashion Industry 2019, publié par Global Fashion Agenda juste avant le sommet (un cabinet de conseil basé à Boston qui fait aussi partie d’une coalition en faveur du développement durable) montre qu'alors que l’industrie de la mode a amélioré ses performances au plan social et environnemental l’an passé, l'évolution est plus lente que les années précédentes et l’industrie est en expansion de manière générale : un pas en avant, dix pas en arrière. Les estimations suggèrent que d’ici 2030, l’industrie du vêtement et de la chaussure se sera développée d’environ 81%, et passera donc de 61 tonnes produites à 102 millions de tonnes – l’équivalent de plus de 500 milliards de t-shirts supplémentaires, ce qui exercera une très forte pression sur les ressources planétaires. Finalement, l’industrie - et l'humanité de manière plus générale - pourrait bien se trouver au bord du précipice.

Le rapport Pulse of the Fashion Industry 2019 accable le monde de la mode, et montre que 40% de ses entreprises ne prennent toujours pas au sérieux la question du développement durable. Les éditeurs du rapport exhortent les chefs d’entreprise à s’y intéresser davantage et à proposer des changements plus radicaux. « Les entreprises sont arrivées à la limite de ce qu’elles peuvent accomplir en s'isolant les unes des autres explique Morten Lehmann, co-auteur du rapport. Un nouveau paradigme est nécessaire, les marques doivent travailler ensemble et partager leurs solutions. Autrement, la situation ne s’améliorera pas assez rapidement pour prévenir le désastre. » « Nous ne pouvons régler les problèmes les plus urgents de l’industrie et de la planète que si nous commençons à agi ensemble, affirme Eva Kruse. Il est nécessaire que des dirigeants téméraires accélèrent les changement et réussissent à impliquer les hommes politiques. »

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« De nombreuses personnes se disputent la position de leader et souhaitent être les premières à proposer des idées novatrices, mais le temps semble manquer. Nous devons agir tous ensemble, » affirme Wolfang Blau, président de Condé Nast International. « Le développement durable, c’est d’abord de placer l’avenir de nos enfants au-delà de nos propres rivalités » a déclaré Paul Polman, membre de la Chambre internationale de Commerce et de la B Team, lors d’une conférence qui a déclenché une standing ovation. « Vous avez gagné le loto de la vie et vous n’avez rien fait avec. C’est notre devoir de servir les 98% restants qui sont moins chanceux que nous. Pour résoudre les problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui, nous n’avons pas besoin d’envoyer les gens sur Mars pour trouver des réponses, nous en avons la plupart sur Terre. Ce qui nous manque, c'est la direction adaptée et la « simple » volonté humaine d’agir. »

Mais pour le consommateur moyen, les considérations les plus importantes précédant un achat sont le style et le prix, « tout le reste ne compte pas vraiment, » note Emmanuel Chirico, directeur de PVH pendant le sommet. « Mais nous recevons de plus en plus de questions de la part des consommateurs : à propos de la traçabilité, de la souffrance animale et des émissions de carbone remarque Marie-Claire Daveu. Les commerciaux comprennent maintenant que c’est quelque chose de très important. Même les vendeurs qui travaillent dans nos boutiques posent des questions. » De manière similaire, le rapport Pulse of the Fashion Industry 2019 montre que les acheteurs s'intéressent de plus en plus aux enjeux éco-responsables des marques, 75% de consommateurs indiquant que la responsabilité écologique est extrêmement ou très importante à leurs yeux.

« Le futur de la planète Terre est en jeu, on ne peut plus être paresseux » affirme la créatrice Katharine Hamnett au cours d'un entretien sur scène avec Tim Blanks. Katherine Hamnett a passé 40 ans de sa carrière à se battre pour faire du monde un endroit plus agréable. Désoramis, c'est notre tour de nous poser les questions difficiles. Pour paraphraser le puissant discours de Davos, il faut agir à la mesure de la crise à laquelle nous faisons face. Comme si la maison était en feu, car c'est réellement le cas.

Cet article a initialement été publié sur i-D UK.

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