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Culture

Au cœur de la scène skate sud-coréenne

À seulement 60 kilomètres de la zone démilitarisée, il y a autant de spots de skate que de skateurs.
Toutes les photos sont de Jin Yob Kim

Cet article a été initialement publié sur VICE US.

À seulement 60 kilomètres de la zone démilitarisée, Séoul est la seule ville qui compte autant de spots de skate que de skateurs. Cette proximité avec le Nord peut sembler éprouvante, la menace imminente de la guerre y est une réalité constante depuis des années (malgré un net apaisement des tensions entre les deux pays récemment). Lorsqu'on leur pose la question, les skateurs sud-coréens reconnaissent le danger que représente leur voisin du Nord, mais soulignent qu’il s’agit simplement de l'environnement dans lequel ils ont grandi. « Je suis né en 1994, quelques semaines avant la mort de Kim Il-sung, et ça a toujours été comme ça » , m'explique un étudiant en ingénierie de 24 ans originaire de de Chuncheon. « Bien sûr que les tests me font peur, mais j'essaie de ne pas trop y penser. En même temps, que puis-je faire d'autre ? »

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Au lieu de cela, les skateurs s’inquiètent beaucoup plus des problèmes à l'intérieur de leurs propres frontières. Il existe une expression populaire parmi les jeunes, Hell Joseon, qui se traduit grossièrement par « La Corée est une société proche de l'enfer et sans espoir ».

« Hell-Joseon : Je suis surpris que vous n’en ayez jamais entendu parler », rigole Kim Youngjoon, fondateur de Candlroute, une marque de skate sud-coréenne, quand je l'interroge à ce sujet. Car le fait est que, même en tant qu'étranger, il est difficile de ne pas en entendre parler. Bee-Jay, un skateur coréen-singapourien, m'explique que l’expression Hell-Joseon signifie que « la vie est tout simplement très difficile pour les Coréens qui ne sont pas nés avec une cuillère en or dans la bouche. Elle reflète notre insatisfaction face à l'état actuel de la société coréenne. Il se passe beaucoup de choses formidables ici, mais je m'inquiète souvent pour mon avenir, et je ne suis pas le seul à le faire. »

Bien que la Corée ait été considérée comme une réussite économique, c'est aussi un pays dont l'ancien président a récemment été mis en accusation pour des allégations de corruption massive impliquant des dirigeants de Samsung, un ancien ministre et des responsables universitaires. Comme me l’explique le producteur de vidéos Min-ji, « ce sont surtout les pressions sociétales et familiales plus globales qui pèsent sur les Coréens. C'est toujours une société hiérarchique avec beaucoup d'attentes impossibles et très peu d'espoir. » Le suicide est la quatrième cause de décès la plus fréquente dans le pays - le taux le plus élevé dans le monde industrialisé. Min-ji mentionne Kim Jonghyun, une star de la K-pop que beaucoup soupçonnent de s’être suicidé en décembre 2017. « Même lui ne voyait pas d'issue à ses horaires de travail insensés et aux clauses sévères de son contrat. »

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Les jeunes Coréens désenchantés recherchent maintenant des moyens d’échapper à la pression sociale. Beaucoup profitent des visas de travail et emménagent provisoirement au Japon ou en Australie ; d’autres font du skateboard. Comme me l’explique Jin Yob Kim, fondateur du magazine de skate The Quiet Leaf, basé à Séoul : « Pensez aux valeurs profondément enracinées du confucianisme, aux difficultés de la guerre et de la pauvreté, à la suppression et à la dénonciation par les forces d’occupation, au désir d'indépendance économique, aux tendances patriarcales et hiérarchiques susmentionnées, à l'urbanisation, à la numérisation, etc., et comparez tout cela au mode de vie antisocial et “laissez-faire” du skateboard. » Bien sûr, le skateboard va bien au-delà de ça. L'activité et le mode de vie qui en découlent servent de contrepoids au contexte socioculturel et politique relativement conservateur du pays.

Depuis que Ko Hyojoo est devenue une sensation du monde de la mode après que ses vidéos de « danse » en longboard sont devenues virales en 2016, de plus en plus de filles se lancent dans le skateboard. Les écoles de skate, y compris celles gérées par One Star et le skate shop Tussa, sont fréquentées par autant de filles que de garçons. C'est quelque chose d’énorme dans une société où l’inégalité entre les genres est aussi forte, et où le féminisme est encore un tabou.

Un skateur queer originaire de Daegu, la quatrième plus grande ville de Corée du Sud, remercie la scène skate pour être relativement accueillante : « Même si l'homophobie imprègne tous les aspects de la société coréenne, je me sens en sécurité parmi les skateurs. Il arrive que des skateurs m'interpellent et se moquent, mais c'est principalement parce qu'ils sont mal informés au sujet des personnes queers. Ma sexualité est moins un problème ici qu’elle le serait au travail. » Il a demandé à ce que je ne dévoile pas son nom, « Pas parce que j'ai peur de ce que mes amis skateurs pourraient penser (la plupart d'entre eux savent qui je suis de toute façon), mais à cause des conséquences que cela pourrait avoir sur mon statut social et professionnel. »

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Même si la scène skate sud-coréenne reste petite, elle a connu une croissance rapide. Après tout, cela fait seulement six ans qu'un skateur coréen s'est qualifié pour la première fois lors d’un événement professionnel international. Alors que les skateparks étaient pratiquement inexistants au milieu des années 1990, il existe désormais plus de 75 skateparks, tous construits par la même société de construction, ESP Korea.

À la fin des années 2000, à mesure que le skateboard est devenu populaire, les marques américaines comme Thrasher et Supreme (et leurs contrefaçons) le sont devenues aussi, notamment parmi les artistes de K-pop et, par extension, de leurs fans. Mais pour la créatrice de vêtements Kim Youngjoon, cette tendance est également emblématique de la street culture en Corée : « L'industrie de la mode en Corée va trop vite et a une courte durée d'attention. Elle change dès que les artistes K-pop commencent à porter de nouvelles choses. Ces derniers temps, Thrasher a beaucoup d’impact sur la mode de rue, même si 60 % de ceux qui la portent ne savent même pas que Thrasher est, à l’origine, un magazine de skate… Le plus drôle est qu’aujourd’hui, les skateurs coréens ne portent plus de sweat-shirts Thrasher. »

Au lieu de cela, ils se tournent plutôt vers des marques locales comme Kadence Skateboards et Candlroute, précisément parce qu'elles ne sont pas sur l’apanage des idoles de la K-pop et du K-drama. La scène skate coréenne, en d'autres termes, façonne plus que jamais sa propre identité.

Sander Holsgens est sur Twitter.