Un Ontarien de 27 ans se bat pour avoir le droit de mourir
Toutes les photos : Alyson Hardwick/VICE News

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Santé

Un Ontarien de 27 ans se bat pour avoir le droit de mourir

Adam Maier-Clayton a 27 ans et souffre d'une maladie mentale. Le Canada ne permet pas qu'un médecin l'aide à se suicider, alors il compte le faire seul.

L'article original a été publié sur VICE News.

Adam Maier-Clayton pose cinq flacons de médicaments sur la table dans un restaurant dans la banlieue de Windsor, en Ontario. Le jeune homme de 27 ans regarde à travers la fenêtre, vers le bar où travaillait il y a quelques années. C'était avant que la douleur le condamne à rester presque en tout temps au lit.

Chaque jour, il avale un mélange d'au moins 15 cachets. Parfois plus, notamment quand il doit parler à des gens plus longtemps que d'habitude, conduire sa voiture ou aller à l'épicerie. Ces temps-ci, il a ajouté une puissante dose d'huile de cannabis médicinal à son dosage. Mais selon lui, c'est sans effet. Comme tout ce qu'il a déjà essayé.

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« J'ai pris une dose supplémentaire de Témesta aujourd'hui, parce que je m'attendais à la douleur, dit-il. Normalement, je suis K.O. »

Au premier abord, difficile de voir que quelque chose ne va pas. Adam est sociable, extraverti et, de toute évidence, il s'entraîne. Mais il passe la plupart de ses journées chez lui, avec son père, et se sent comme si son corps avait été brûlé à l'acide. Au fil des ans, il a reçu des diagnostics complètement différents : trouble obsessionnel compulsif, anxiété grave, trouble dissociatif. Les tics physiques qui ont commencé pendant l'enfance ont empiré jusqu'au stade de douleurs brutales partout dans le corps. À cause de l'absence de diagnostic pour cette douleur physique, il pense souffrir d'une maladie mentale invisible.

Adam Maier-Clayton, 27 ans, né à Windsor en Ontario, souffre d'une grave maladie mentale. Il souhaite que le gouvernement canadien étende sa loi sur le suicide assisté aux personnes qui souffrent de maladie mentale.

« C'est un peu comme si j'étais un homme de 27 ans en bonne forme physique dans le corps d'un homme de 85 ans. Je n'arrive pas à fonctionner », assure-t-il.

C'est pourquoi il prévoit de s'enlever la vie, probablement à l'aide de médicaments. Il a même échangé avec des revendeurs du coin pour trouver une forte dose d'opiacé qui pourrait le libérer de sa douleur. « Je n'ai pas de date précise en tête, mais je peux dire que 2017 sera probablement ma dernière année. »

Entre-temps, Adam est devenu le représentant des personnes souffrant de problèmes de santé mentale dans le débat sur le suicide assisté au Canada. L'un des plus jeunes à prendre part aux échanges qui portent surtout sur les plus âgés. Il consacre l'énergie qui lui reste à pousser le gouvernement à modifier sa loi sur le suicide assisté, afin que des personnes dans situation, aux prises avec une maladie mentale extrême, soit incluses.

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Dans la loi C-14 actuelle, seuls les Canadiens majeurs qui souffrent de problèmes de santé graves et irrémédiables sont admissibles à l'aide médicale à mourir.

Depuis son entrée en vigueur en juin 2016, des centaines de personnes s'en sont prévalues. Toutefois, nombreux sont ceux qui voient leur demande refusée, notamment s'ils souffrent d'une maladie mentale.

Les ministres de la Santé et de la Justice qui ont élaboré la loi sont opposés, et depuis longtemps, à l'inclusion des personnes aux prises avec un problème de santé mentale, bien que le sénat ait un avis contraire. Selon les ministres, c'est un groupe vulnérable qui doit être protégé.

Les Pays-Bas, la Suisse et la Belgique ont autorisé l'aide médicale à mourir pour les patients souffrant de troubles de santé mentale, dont la dépression, et les auteurs d'une étude menée aux Pays-Bas ont mis en garde les pays voulant suivre leur exemple.

Leur étude, publiée dans la revue JAMA Psychiatry, montre que la moitié des personnes souffrant de problème de santé mentale qui ont eu recours au suicide assisté aux Pays-Bas citaient la solitude dans les raisons de vouloir mourir et refusaient des traitements qui auraient pu les aider.

Le gouvernement canadien étudie désormais la question. Il a notamment annoncé le 13 décembre trois études indépendantes sur les demandes d'aide médicale à mourir de « mineurs matures », ainsi que celles de personnes souffrant de démence, d'Alzheimer ou de troubles de santé mentale. On ne s'attend toutefois pas à ce que ces études soient conclues avant 2018.

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Adam Maier-Clayton ne pense pas que la loi sera modifiée comme il le voudrait. Même si c'était le cas, il sera trop tard pour lui. C'est pour cette raison qu'il ne participe pas au recours collectif de la British Columbia Civil Liberties Association. Celle-ci vise à corriger les manquements de la loi, ainsi que d'autres problèmes juridiques.

« C'est une bonne et une mauvaise chose, estime-t-il. Je me sentirais piégé si je devais me battre jusqu'au bout. Ce seraient des années d'horribles douleurs. »

La maison de Adam Maier-Clayton, à Windsor, dans l'Ontario.

Adam marche en direction de la maison où il vit avec son père et sa grand-mère, sur une rue couverte de neige à quinze minutes du centre-ville. Des enfants jouent dans la rue et font semblant de se faire renverser par l'une des voitures stationnées.

Il est venu en voiture avec son amie Catrina. Elle va passer un peu de temps avec lui, à lui faire la lecture, ce qu'il n'arrive plus à faire depuis mai l'an dernier. Comme parler longtemps ou écrire, c'est devenu trop douloureux. Il pourra tenir environ une demi-heure avant que la douleur le gagne.

« Excusez-moi, dit-il en ouvrant la porte d'entrée. Cette maison n'est pas exactement à mon goût. » Ils tournent vers sa chambre. Une bougie parfumée embaume le couloir décoré avec des chandeliers muraux et de fausses fleurs multicolores.

Graham Maier-Clayton vérifie les médicaments de son fils.

Nous sommes bien loin de la vie mouvementée qu'il menait lorsqu'il était employé dans une banque près d'Ottawa, où il habitait avec sa mère avant que leur relation se détériore. Il semblait destiné au succès après avoir obtenu son diplôme en administration au Collège algonquin. Il rêvait de travailler en finance.

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Son père, Graham, dit qu'il n'avait jamais réfléchi à l'aide médicale à mourir avant qu'Adam commence à en parler, il y a deux ans. « J'espérais que les médecins trouvent une solution, dit-il. Je ne l'encourage pas, mais je comprends. Il a été beaucoup plus fort que je l'aurais été à sa place. Je ne vais pas lui rendre la vie plus difficile. Tous les médecins disent que mon fils est en mesure de prendre ses décisions. Je le sais aussi. Pourquoi est-ce que la population ne le comprend pas? »

Il y a des jours où Adam va si mal qu'ils doivent communiquer à l'aide de signes, plutôt que de mots.

« Au cours de la dernière année, il a été capable de faire de moins en moins de choses, poursuit Graham. Sa situation s'est empirée et sa douleur revient beaucoup plus vite. Il me dit que ça ne pourrait pas être pire, mais ça le devient. »

Adam s'allonge sur le lit double qui occupe presque tout l'espace de sa chambre. Il y a une nature morte au mur et de gros pots de poudre de protéine sur une tablette près du pied de son lit. Une commode avec des oreillers, de l'eau de Cologne et un carton de lait vide occupe le reste de la chambre.

« C'est juste un foutu placard, cette chambre », lance-t-il avant d'ouvrir son ordinateur portable. Catrina s'assoit en face de lui.

Il porte un bracelet Livestrong jaune au poignet droit, mais tient à dire qu'il n'a aucune admiration pour Lance Armstrong. Ce bracelet représente sa philosophie. « On peut se trouver face à une situation insurmontable, mais il faut rester fort jusqu'à la fin », explique-t-il.

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Il ouvre son Peaceful Pill Handbook en version numérique, un manuel publié par des médecins en 2006 sur les moyens de s'enlever la vie. Il l'a acheté après s'être joint à Exit International, un groupe sans but lucratif qui lutte en faveur du suicide assisté, créé par le médecin australien Philip Nitschke. Comme la plupart des membres ont plus de 75 ans, Adam est le cadet.

Il se rend au chapitre qui explique comment différents médicaments peuvent accélérer la mort. Catrina prend le portable et regarde. « Ce sont les histoires que je lis pour m'endormir », plaisante-t-il avant de s'allonger.

Catrina essaie de bien prononcer le mot « barbiturique », puis commence à lire. « Une surdose de barbiturique peut diminuer l'activité cérébrale si fortement que la respiration cesse et la personne meurt. Les barbituriques sont également bien absorbés par voie rectale, et quelques pays commercialisent des sortes de suppositoires », poursuit-elle.

« Ce ne serait pas mon premier choix », l'interrompt Adam avec le sourire. « J'essaie de partir avec dignité! »

***

Toutefois, la loi l'a forcé à prendre des décisions risquées. Depuis quelque temps, il est en contact avec des dealers et cherche à importer des substances illicites, sans penser aux conséquences.

« J'ai toujours évité les activités illégales ou les mauvaises actions. J'ai essayé d'être une bonne personne », résume-t-il. « La pire chose que j'ai jamais faite a été de fumer du pot trois fois. »

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Aujourd'hui, Adam pense à des substances puissantes comme le carfentanil, un tranquillisant pour de gros animaux sauvages. Récemment, elle a causé la mort de dizaines de personnes dans la plus grande crise de surdoses jamais vue au pays.

Il s'est déjà procuré un sac de cachets de Stemetil, un médicament qui empêche de vomir, ce qui assure que tout médicament pris ensuite pour s'enlever la vie ne remonte pas.

« C'est ma police d'assurance pour une mort digne et paisible, parce que je sais que le gouvernement s'en fiche », tranche Adam.

Son histoire a provoqué un grand tollé : de nombreuses personnes qu'il ne connaît pas lui ont montré leur soutien, alors que d'autres l'ont accusé d'être narcissique et de vouloir de l'attention. Sa boîte de messages Facebook est inondée de plus de 1000 messages non lus.

« Beaucoup de gens me jugent et disent que je dois essayer d'autres traitements ou faire appel à Jésus, dit-il. Je comprends leurs raisons, mais c'est ma vie et c'est mon choix. »

Sur son compte Facebook, il y a un message audio laissé par un jeune homme de 24 ans en Irak. Il dit à Adam qu'il souffre de psychose et n'arrive pas à vivre avec la réalité. « Je pense à m'enlever la vie, mais je ne sais pas comment. Personne ne m'aide. J'ai besoin de conseils. »

Adam affirme recevoir souvent des messages semblables, mais il n'y a pas grand-chose qu'il puisse faire à part les écouter.

« Beaucoup de personnes avec des problèmes de santé mentale peuvent prendre la parole, mais ils ne s'en croient pas capables, pense-t-il. À cause de la stigmatisation, ils préfèrent se taire. Si quelques-uns parlaient publiquement, je n'aurais pas besoin de rester ici. »

Dans une sorte de tentative désespérée de trouver les causes de ses grandes douleurs, Adam attend les résultats d'un laboratoire américain qui lui diront s'il est atteint ou non de la maladie de Lyme. Cette infection bactérienne, qui se propage à l'aide des tiques, est particulièrement difficile à détecter et à traiter au Canada.

« Je sais que ça n'en a pas l'air, mais s'il y a une chose sur laquelle j'aimerais insister, c'est que je ne milite pas en faveur de la mort ou du suicide. Je suis en faveur des traitements, explique-t-il. Mais après deux ans sans aucun progrès, je pense que c'est assez. »

Son père et lui ont prévu magasiner les pierres tombales dans les prochaines semaines.