DJ Pituca Putica, la Péruvienne au grand cœur
Photo par Glammy Lee

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Culture

DJ Pituca Putica, la Péruvienne au grand cœur

Entre voguing et soirée queer, la DJ Pituca Putica fait danser ses fans comme à Lima.

Pour bien saisir l’histoire de la jeune Péruvienne, il faut d’abord expliquer l’origine de son nom, qui représente bien les préjugés qu’elle combat à coup de chansons de perreo. Pituca, une expression typiquement péruvienne, réfère à la classe alta, les habitants aisés de Lima richissimes et dédaigneux de la culture populaire émanant des bidonvilles. C’est l’équivalent péruvien de « snob » et « hautain ». Tandis que putica est un diminutif de puta, qui veut dire « pute ».

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Le perreo et le reggaeton, des styles urbains, ont vu le jour au Panama et ont été popularisés à Puerto Rico. Ce style de musique, une sorte de fusion entre dancehall et rap espagnol, était peu apprécié par les gouvernements latino-américains conservateurs et religieux en raison de ses danses lascives et ses paroles suggestives.

Tout change au milieu des années 2000. L’omniprésence du single Gasolina de Daddy Yankee fait en sorte que tous les adolescents, riches ou pauvres, dansent au diapason du reggaeton. « Gasolina a changé l’univers musical pour toujours », explique Pituca, sirotant un verre d’Inca Cola. « Non seulement pour ma génération, mais la chanson a réussi à entrer dans le mainstream de la culture latine. »

Avide de musique et évitant les clubs de Lima à cause du climat homophobe qui y règne, elle participe aux partys undergrounds Meneo, loin des quartiers huppés. « C’était magique, non seulement on pouvait danser dans un safe space, mais c’était sur de la musique qui était quasi proscrite. On brisait deux barrières en même temps. » Les fêtes prennent de l’ampleur jusqu’à franchir le cap de plusieurs milliers de personnes. Elles deviennent les soirées Matadero. Populaires, ces événements continuent de rouler à Lima encore aujourd’hui tout en conservant le côté subversif d’origine. « Malgré le changement constant de lieu, on se suivait tous comme une famille. Ça m’a donné la confiance de suivre mon style et d’assumer que je ne jouerais que du reggaeton dorénavant. »

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Elle commence aussi à afficher plus encore son style vestimentaire, inspiré par ses idoles, Las Culisueltas, un groupe iconique argentin de filles qui a brisé de nombreuses barrières dans l’industrie musicale latino-américaine. « C’était magique de voir des filles badass assumer leur sexualité et leur force à travers des chansons pop. Sans jamais compromettre leur style! »

Le sentiment de communauté étant l’aspect central de son univers musical, Pituca a trouvé difficile de recommencer à zéro lors de son arrivée à Montréal pour ses études universitaires. « Je cherchais un espace pour connecter avec la communauté queer, mais je ne trouvais que des partys de musique électronique. » À coups d’invitation de DJ locaux et de partage de ses mix, notamment avec Never Apart, la DJ a réussi à s’immiscer dans la scène locale, mais ce n’est qu’en organisant ses propres soirées CRZN ( corazon) qu’elle s’est sentie vraiment dans son élément.

Avec les soirées CRZN, qu’elle organise dans différents bars de la métropole, Putica fait plus que se réapproprier le reggaeton, un style musical rempli de machismo : elle le ramène à ses racines populaires. Malgré les thèmes misogynes des clips de reggaeton, ce style de musique incarne le son des bidonvilles en opposition à la pop bien propre de la radio latine. Ses soirées uniques contribuent à l’appropriation de nouveaux espaces pour la communauté LGBTQ issue de l’immigration. C’est en transformant les bars avec des décors à thèmes, une fête à la fois, qu’elle y parvient. « Les queers issus de l’immigration font face à une série de défis uniques à leur expérience et c’était important pour moi de créer un space pour accueillir cette énergie. On met beaucoup d’efforts dans le design des espaces. »

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Photo par Kathia López

Le plus récent CRZN a pour thème l’un des rappeurs favoris de Pituca, le Portoricain Bad Bunny. Ce trappeur de nouvelle génération dont les paroles peuvent d’abord paraître sexistes a récemment fait les manchettes quand un salon de Madrid a refusé de lui peindre les ongles. « En son honneur, le dresscode du party sont les ongles colorés! » Quant aux paroles, Pituca les analyse au second degré : « Les chansons comme Gasolina ou Cuatro Babys (du chanteur colombien Maluma) sont attaquées dans les médias traditionnels, mais en vérité je crois, malgré qu’elles soient crues, qu’elles sont assez neutres et propagent plutôt un message que les hommes et femmes peuvent mener une sexualité libre à parts égales. »

En plus d’être DJ, Pituca participe activement à la scène vogue en s’occupant de la production musicale pour les défilés et de l’animation en tant que MC. « J’ai voulu amener une touche organique et tropicale avec ma musique que je surnomme le vogueton et mon animation en espagnol. » Les jeux de mots et la nostalgie sont une grande partie de l’identité artistique et du branding de Pituca, connue dans le monde du voguing sous son pseudonyme Cuarta Baby. Tout comme son nom de scène (emprunté d’une chanson de Maluma), chacun de ses mixs a un titre qui fait référence à des chansons phares du reggaeton. « Je suis une véritable encyclopédie du perreo, cela fait plus de trente ans que le genre existe et il faut que les gens soient au courant de son évolution! »

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De DJ de partys d’adolescents jusqu’aux compétitions internationales de voguing, Pituca reste ancrée à ses origines. « Le plus important pour moi est de faire respecter l’histoire du reggaeton sans faire de compromis et de m’assurer que ma communauté peut danser en se sentant réellement libre pour le temps d’une soirée. »

Antoine-Samuel Mauffette Alava est internet ici et .