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Drogue

La ministre responsable de la légalisation du cannabis répond à nos questions

Lucie Charlebois revient sur les modalités du projet de loi adopté par Québec.
Photo : Jacques Boissinot/La Presse Canadienne

Le Canada est à un peu plus de six mois de la légalisation du cannabis, si tout se passe selon les plans du gouvernement de Justin Trudeau. Le gouvernement du Québec a déposé son projet de loi le 16 novembre dernier, après avoir sondé la population et des dizaines d’experts lors de consultations publiques.

En gros, on sait maintenant que les citoyens de plus de 18 ans pourront acheter du cannabis en ligne, ou dans une des 15 succursales de la Société québécoise du cannabis qui ouvriront en juillet. Les Québécois pourront donc se trimbaler avec 30 grammes d’herbe et en garder jusqu’à 150 grammes à la maison. Il sera aussi légal de fumer dans les lieux publics. Et contrairement à ce que prescrit le gouvernement fédéral, il sera interdit dans la province d’en faire pousser à la maison.

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L'approche du Québec est l’une des plus restrictives de toutes les provinces. Et le passage à Tout le monde en parle de la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, a montré que l’architecte du projet de loi est loin d’avoir passé son cégep le joint au bec.

Avant d’entamer le dernier sprint, on en a discuté avec la principale intéressée.

VICE : Vous avez dit à de nombreuses reprises qu’Ottawa était trop pressé de légaliser et que vous manquez de temps. Mais ça fait plus de deux ans que Justin Trudeau est élu, et la légalisation n’est pas une surprise. Vous avez déposé votre projet de loi il y a deux semaines. N’est-ce pas vous qui êtes en retard?
Lucie Charlebois : Il fallait bien avoir le projet de loi fédéral avant de créer le nôtre. Et le projet d’Ottawa n’est même pas adopté par le Sénat encore. On a fait un forum de citoyens avant d’écrire notre document, pas le contraire. On a rencontré les affaires municipales, les communautés autochtones. On n’a pas chômé! Et contrairement à d’autres provinces, jusqu’à maintenant, on a fait plus que de mettre nos intentions sur la table. On a déposé un projet de loi après avoir rencontré 200 experts et plus de 300 groupes citoyens. C’est pas peu dire.

Espérez-vous que le sénat retarde le projet?
Je souhaite que le gouvernement fédéral remette la mise en œuvre du projet de loi à plus tard. Mais, dans tous les cas, on va être prêts. Mais avec plus de temps, on peut faire mieux. Pour permettre aux médecins de se préparer, pour perfectionner les appareils de détection, pour faire plus de prévention. Mais je ne dirai pas quoi faire aux sénateurs.

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Plusieurs acteurs du milieu s’inquiètent du fait qu’il risque de manquer de cannabis au Québec en date du 1er juillet, sachant qu’il n’y a que deux producteurs autorisés dans la province. Est-ce que ça se peut?
On va faire l'acquisition du cannabis où il va y en avoir. On va favoriser le marché québécois, c’est certain, mais on va s’ajuster et aller dans d’autres provinces si on en manque.

Où va s’approvisionner la Société québécoise du cannabis?
La société va faire l'acquisition de cannabis sur le marché. Dans notre projet de loi, on a mis une disposition qui nous permet d’émettre des permis de production. Mais, pour l’instant, on va s’en remettre à l’expertise de Santé Canada, parce qu’on n’a pas le temps.

Vous avez dit à Tout le monde en parle que le cannabis du marché noir peut contenir du fentanyl. Même Santé Canada reconnaît que c’est farfelu. D’où tenez-vous cette affirmation?
Dans les consultations, des gens m’ont dit que ça arrivait. Les gens me le répètent, donc ça doit arriver. Le fentanyl, ça peut se trouver en plusieurs formes. Mais je le répète, je ne suis pas une consommatrice, donc je ne le sais pas.

Le projet de loi québécois interdit la culture personnelle. Mais en 2017, la cour fédérale a reconnu que les patients ayant une prescription médicale pouvaient faire pousser leur propre cannabis. La production à la maison de cannabis médical existe donc au Québec. Comment allez-vous faire pour faire cohabiter les deux?
Les règles entourant le cannabis thérapeutique vont continuer à exister. Nous, on ne réglemente que le cannabis récréatif.

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Avez-vous demandé un avis juridique par rapport à l'interdiction de la culture personnelle, alors qu’Ottawa veut le permettre?
Oui, on a des avis juridiques. La population nous demande d’être prudents et c’est ce qu’on fait. Il ne faut pas banaliser la culture du cannabis. Des adolescents vont se trouver dans des maisons où l’on fait pousser du cannabis. L’application de la loi fédérale n’est pas évidente. Les municipalités du Québec nous ont dit qu’elles n’ont pas les moyens d’appliquer la loi fédérale sur la culture personnelle. Et ce n’est pas comme si les gens ne pourront pas faire l’acquisition de cannabis.

La Fédération médicale étudiante du Québec affirme que les étudiants ne sont pas assez formés pour affronter la légalisation à venir, et ce, à cause du Collège des médecins qui refuse de reconnaître le cannabis en tant que médicament. Comment régler cette impasse à la veille du 1er juillet?
En ce qui concerne les médecins, les policiers et les infirmières, ils devront avoir une formation adéquate. C’est un produit illégal présentement, mais c’est déjà largement consommé. Il va falloir que le Collège réagisse lorsque ça va être légal. Ce n’est pas un médicament, mais ça prend un minimum de formation.

En mettant l’âge légal pour se procurer du cannabis à 18 ans, est-ce qu’il y a un risque que le Québec devienne une destination touristique pour les jeunes de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, où l’âge de consommation a été fixé à 19 ans?
S’ils veulent l’acheter chez nous, qu’ils viennent. Mais je ne crois pas qu’il va y avoir une affluence du côté des autres provinces. On veut changer le marché illicite en marché légal. On ne veut pas créer de nouveaux consommateurs. Et les employés de la SQC vont avoir une formation pour sensibiliser les clients.

Vous avez mentionné que seulement 15 boutiques ouvriront leurs portes en date du 1er juillet. C’est peu non?
Il y a différents scénarios et celui de 15 boutiques est le plus conservateur. On projette d’en ouvrir plus. La SCQ est une filiale de la SAQ. Elle a une expertise dans le déploiement de boutiques. Il y a un modèle qui existe. Mais on ne fera pas de promotion et il n’y aura pas de carte Inspire.

Le gouvernement fédéral a annoncé au mois de novembre qu’il voulait sonder la population d’ici le 20 janvier au sujet de son approche en matière de réglementation , ouvrant la porte aux producteurs artisanaux et à la vente de produits comestibles, notamment. Qu’en est-il pour le Québec?
On se donne une opportunité de changer la loi et y faire des amendements. Mais pour l’instant, il n’y a aucun produit dérivé. Ils ont déposé ce document cette semaine. On apprend les affaires à la miette, mais il faut réagir tout de suite. Pour l’instant, c’est le cannabis frais, séché et l’huile qui seront permis. C’est tout. Si les gens veulent le transformer, ils ont le droit. C’est comme la sauce à spaghetti, on ne peut pas savoir ce que les gens mettent dedans à la maison. Mais si vous faites des muffins au pot et que vous en vendez aux autres, vous êtes dans l’illégalité.

Simon Coutu est sur Twitter .