FYI.

This story is over 5 years old.

Sexe

J’ai été sexteuse professionnelle

Les hommes grisonnants avec qui j'échangeais présentaient de timides portraits qui contrastaient avec leurs solennelles érections.
Photo : Flickr

Le chemin du pigiste est semé de toutes sortes de graines.

C'est ce que j'ai appris en démissionnant, le torse bombé d'idéaux, de mon job à fauteuil à roulettes en Argentine. Après cinq ans dans un bureau, il était grand temps que je déploie mes ailes de nouveau, je n'étais pas venue si loin pour cesser de rêver. Finie la monotonie laborale, ma liberté et/ou mon asservissement valaient bien plus qu'un salaire, pensai-je trotskistement.

Publicité

J'ai donc commencé à écumer les petites annonces à la recherche d'une paye sans préoccupations. Ce serait loin d'être le premier emploi incongru que j'occupe. J'ai vendu des joueurs de soccer à des Belges, j'ai été bouncer sur la rue Ontario, j'ai trimé du pot en masse : je n'étais pas à un job-qu'on-omet-dans-son-cv près lorsque Craigslist m'a suggéré « native French creative writers wanted for an adult website ». Les faits ont vite fait de révéler que la partie « native French creative » du descriptif était facultative. C'est ainsi que je suis devenue sexteuse norvégienne professionnelle.

En gros, le job du site de rencontres consistait à adopter divers profils de jeunes femmes aussi lubriques que fictives et à générer des conversations avec des baby-boomers scandinaves en manque. Chaque fois qu'ils appuyaient sur Send, on leur débitait entre 1,50 $ et 2,50 $, selon s'ils envoyaient du texte ou une photo. Pendant trois heures par jour, je me transformais en agente zl_650 et je m'assoyais au futon avec mon ordi sur les genoux à aguicher Andreas, Divus6, Olav, Biben, Getlaid, Buddygammel, Sofus 1605 et autres interlocuteurs qui auraient tous pu s'appeler Richard et figurer dans un cadre debout sur un piano à Belœil.

Pour ces preux chevaliers, j'étais Lilja, au pubis complètement rasé, 25 ans, amatrice de golden showers, affectueuse, qui aime dormir en cuillère. Ou encore Gaby, 38 ans, poitrine généreuse, récemment divorcée, qui ne veut rien de sérieux, fan de jeux de rôle et de sexe anal. Pour le client suivant, je me métamorphosais en Smoothgirl, puis Joto, Jaffinns, Linusen, Hunter, Jane777, Gratisknull, Girls, Olga, Veronika et ainsi de suite. Google Translate me relayait les grivoiseries de mes interlocuteurs en anglais et norvégianisait mon dirty talk. Translate. Copy. Paste. Send.

Publicité

Les hommes grisonnants avec qui j'échangeais présentaient de timides portraits qui contrastaient avec leurs solennelles érections. Le renvoi du flash par leur gland lustré était sans appel. Souvent, la composition des photos reçues oscillait autour du thème de l'éjaculation et des ongles striés, décor salle d'ordi. De mon côté, je ronronnais des remerciements traduits que j'accompagnais de clichés fournis avec les faux profils. Une chatte nacrée en plan rapproché ou un fessier huilé en forme de cœur étaient autant de témoignages de gratitude.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des inframondes : j'étais en passe d'oublier mes soucis à coups de mots doux et de fiévreuses promesses, et ces baby-boomers se rapprochaient d'une éventuelle ardente rencontre. En fait non, pas du tout. Et c'est là que réside la faute morale qui a mis fin à une pas si prometteuse carrière en gérontoporno virtuelle scandinave.

J'étais censée envoyer 25 messages sexy et cohérents de 75 caractères minimum à un vaste portfolio de coquins nordiques, mais mon niveau de productivité était presque nul. Je profitais plutôt des conversations avec les usagers pour prendre plein de captures d'écran que j'envoyais en pièce jointe avec des titres trompeurs à mes amis.

Le problème ne résidait donc pas tant dans mes conditions de travail, mais plutôt dans le fait que ces hommes s'attendaient réellement à ce que je peigne leur moustache avec mon beaver dans la salle de bain du traversier de Bergen. Ils voyaient la fellation avec vue sur le Parlement que j'allais leur administrer dans la grande roue d'Oslo. J'étudiais chacune des fiches de mes personnages féminins comme une comédienne, avec une attention particulière à la géographie pour élaborer des mensonges vraisemblables.

Publicité

J'entretenais leurs faux espoirs pour deux piasses de l'heure, une misère même en Argentine. C'est le salaire minimum d'un pays où, en 2014, 40 pour cent de la population vivait avec moins de 10 dollars américains par jour. En une heure de job, je pouvais me payer deux litres de lait, une forty de bière, 8 rouleaux de papier toilette de mauvaise qualité, deux capotes ou autant d'empanadas. Il m'en manquait encore un peu pour me partir des REER.

Globalement, c'était un job minable : rémunération dérisoire, stimulation douteuse et surtout retour des tracas.

Le déferlement de graines que je voyais au quotidien m'amenait à oublier qu'à l'autre bout de ces verges, il y avait des personnes. Ces personnes, outre bonne quantité de liquide séminal, déposaient leurs attentes et leurs épargnes dans le site. De mon côté, la surabondance libidineuse avait fini par aplanir ces hommes jusqu'à l'état binaire, saturation anesthésiante. Au moment de rabattre l'écran d'ordi à la fin des trois heures quotidiennes, je recommençais à percevoir les bruits ambiants, le vrombissement du frigidaire me sortait de mon abrutissement, comme le soleil en pleine face à la sortie d'un after.

La bonne nouvelle, c'est que Dieu existe et que mon ancien employeur bat de l'aile. Pour ma part, ma brève expérience comme sexteuse professionnelle pour populations susceptibles à l'arnaque m'a légué ces quelques apprentissages :

Read the small print. Il existe des tas de sites et d'apps gratuits, faciles d'accès et simples à utiliser pour aînés, cadets, benjamins et richards. Vérifiez s'ils préviennent que certains profils peuvent être fictifs.

Si, en utilisant une de ces apps, les messages reçus sont grammaticalement accidentés et ressemblent à la transcription d'une liste d'ingrédients en code morse, il y a de fortes chances que l'interlocuteur ne soit pas un bon prospect. Ça pourrait très bien être une journaliste pigiste québécoise pas rapport en Argentine qui écrit des bêtises dans Google Translate et qui envoie tes dick pics à ses amis entre deux empanadas.

Oubliez les scrot shots : il n'y a vraiment aucun angle flatteur pour ça.

Tout le monde veut du sexe dans sa vie : toi, moi, ta mère, les touristes suréquipés qui arpentent le Vieux-Port avec une canne télescopique, ta bibliothécaire, les autres bibliothécaires, les acteurs qui interprètent de méticuleux artisans qui construisent des voiliers dans des bouteilles en verre dans les annonces d'assurance-vie. Ce n'est qu'en levant les tabous que l'on peut mettre fin à ce type d'escroquerie.