Akira fête son 35e anniversaire cette année et on ne s’en remet toujours pas

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Culture

Akira fête son 35e anniversaire cette année et on ne s’en remet toujours pas

De grâce, Hollywood, épargne-nous ton adaptation toute pourrie.

Hollywood n'a jamais fait dans la dentelle, et ce n'est certainement pas avec la très attendue adaptation en prises de vue réelles (c'est à dire quand un animé est adapté en film non animé) d' Akira que l'on changera la donne. Cette facette de l'industrie du film – plus vénale et mainstream tu meurs – se tape depuis des lustres la sale réputation de n'avoir aucun scrupule quand il s'agit de respecter la pérennité originale d'une œuvre. Les exemples en sont nombreux, les contre-exemples le sont moins. Akira, l'une des pépites de la culture manga contemporaine, se retrouve actuellement le cul entre deux chaises, à savoir : préserver son statut intouchable de monument culte de l'animation japonaise ou se faire grignoter par un Hollywood plus boulimique que jamais, avant de se ramasser des statistiques dégueulasses sur Rotten Tomatoes. Un gros fail qui s'apparenterait à une sorte de prostitution et trahison pour de nombreux aficionados, moi y compris, et ça, c'est un gros non.

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Une adaptation qui sent un peu le roussi

En effet, 35 années après sa sortie (1982 pour le format papier et 1988 pour l'animé), l'œuvre de japanimation sci-fi cyberpunk la plus marquante de l'histoire est bloquée dans les rouages d'une mécanique (rouillée) « warnerbrossienne » qui détient les droits d'exploitation depuis 15 ans. Les kamikazes qui voudraient relever ce défi se succèdent. En vain. On imagine cependant qu'à l'aube de l'anniversaire du manga, ce projet, aussi suicidaire qu'il y paraît, devient de plus en plus vrai : nous y sommes presque (ou pas) et son auteur, le maître mangaka Katsuhiro Ōtomo,
semble de plus en plus ouvert à l'idée, mais à la seule condition de ne pas nuire aux éléments fondamentaux de l'oeuvre.

« En ce qui me concerne, j'ai terminé de créer le manga original et ma propre version animée également », a récemment confié Ōtomo à Forbes dans l'une de ses très rares entrevues. « On peut dire que j'en ai fini avec ça et, si quelqu'un veut faire quelque chose de nouveau avec Akira, je suis d'accord. Comme j'ai accepté l'offre pour une adaptation en prises de vue réelles, je suis assez ouvert avec ce que l'on veut en faire. Cependant, je pose une condition majeure à cette future probable version : c'est que je dois voir le scénario et pouvoir l'approuver. » Autant se le dire, le couillu réalisateur occidental qui devra respecter l'authenticité d'une œuvre aussi lourde de sens qu' Akira risque de saigner – et il n'est peut-être pas encore né.

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Malheureusement, tout comme la récente petite déception que l'on s'est tapée avec la discutable adaptation du Ghost in the Shell de Masamune Shirow, il est peu probable que quelqu'un ait aujourd'hui suffisamment de skills et de couilles pour nous assurer une adaptation potable d' Akira. En effet, il sera difficile de retranscrire les qualités techniques et narratives (encore inégalées aujourd'hui) qui ont jadis suinté des planches à dessin d'Ōtomo.

Le succès d'Akira et la démocratisation du manga en occident

Pour de nombreux Occidentaux de la génération des Xenniaux, c'est-à-dire autour de la mi-trentaine, le début et le milieu des années 90 sont synonymes d'apprentissage et de découverte de l'univers manga, de Final Fantasy, de Dragon Quest, du hentai ou autres friandises addictives nippones. Pour ces otakus en devenir, cette période est révélatrice d'une nouvelle lubie qui, dans le cas français, sera rondement menée par les éditions Glénat, par les quelques boutiques d'import situées à Répu et à Belleville et qui nourrissaient tout l'hexagone, par AnimeLand (premier fanzine français orienté manga), mais aussi par le Club Dorothée et sa programmation pro-japanim. Cette émission de télé destinée à la jeunesse française et détestée par tous les profs et parents de l'époque était assez aliénante et bouffeuse de temps. Elle achève tant bien que mal une éducation parascolaire qui devient pour le coup très discutable, la faute à Ken le survivant et aux Chevaliers du Zodiaque , entre autres, et nos parents en ont fait les frais. À toutes les mamans qui daignent lire ces quelques lignes et qui ont connu ces moments difficiles, on est tous désolés (xoxo).

En ce qui concerne Akira , ses premières parutions se font à travers les seinen en décembre 1982 au Japon. La révolution graphique offerte par Ōtomo marque les esprits en deux temps trois mouvements. En plus de séduire les lecteurs, les professionnels et la critique à l'unanimité, le travail d'Ōtomo met une bonne petite claque aux productions tezukaienne et à son esthétique qui avait alors la mainmise sur la BD japonaise depuis les années 50. Certes si l'on kiffe Astro Boy , il est aussi parfois bon de lâcher du lest et de sortir des sentiers battus.

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D'abord en anglais en 1988, puis en français en 1990 (chez Glénat), les volumes d' Akira sont traduits et, en tant que premier manga en français, ils sont le préambule de quelque chose de nouveau pour les jeunes (et moins jeunes) occidentaux. Finie l'époque où le manga était encore inconnu du grand public : c'est l'explosion de la BD japonaise dans la sphère occidentale. De Londres à Montréal en passant par Paris et New York, ce style graphique très particulier, mettant de l'avant des protagonistes aux pupilles anormalement dilatées, rentre dans les mœurs, faisant vaciller la BD occidentale et européenne. Quant à l'animé d' Akira, il sort en 88 dans les salles québécoises et en 91 dans les salles françaises.

Un univers post-apocalyptique qui en dit long sur le Japon du 20e siècle

Pour ceux qui n'ont aucune idée de ce que renferme cette œuvre dite d'anticipation (oui, Ōtomo avait vu juste en y prédisant les Jeux olympiques de Tokyo en 2020), le film met en scène une bande de jeunes motards super badass boostés aux amphétamines qui foutent la merde dans une Néo-Tokyo dévastée et en pleine reconstruction. Trente et un ans après la Troisième Guerre mondiale, la ville est laissée à la merci de voyous, d'une armée qui applique la loi martiale d'une main de fer et d'un gouvernement corrompu à n'en plus pouvoir. Tout semble perdu.

Un soir, alors que les deux personnages principaux, Tetsuo et Kaneda, et leurs potes prennent en chasse un groupe de clowns (bande rivale) sur une bretelle d'autoroute, le gang va se heurter à Takashi, un enfant doté de pouvoir de télékinésie et au ton blafard suivi de très près par l'armée. Tetsuo va alors vivre une descente aux enfers due à un usage abusif de cette force qu'il hérite au contact de cet enfant mystérieux. Ces événements sont le prélude du réveil du grand Akira, une arme biologique et organique ultrapuissante convoitée par l'armée ainsi que le gouvernement.

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Cet univers violent et post-apocalyptique est récurrent dans les productions d'Ōtomo, également connu pour les non moins mythiques Dōmu, Memories ou Steamboy. Cette œuvre révolutionnaire et réactionnaire explore brillamment des thèmes classiques de la science-fiction, comme la manipulation psychique et la contre-utopie. Il aborde également des facettes plus historiques qui sont toujours d'actualités aujourd'hui sur l'archipel nippon, comme la présence militaire, la bombe nucléaire et même le très sombre volet de l'Unité 731. Probablement des aspects à prendre avec des pincettes et très compliqués à poser sur la table pour quiconque n'est pas japonais.

Dans tous les cas, on se demande comment le courageux réalisateur va réussir à se démerder pour gérer la complexité du scénario, des thèmes qui y sont abordés, des personnages et tout simplement de la spécificité des codes très japonais, qui, finalement, font tout l'intérêt de l'œuvre originale. Enfin, comment remplacer la majestueuse BO de l'époque produite par le collectif Geinoh Yamashirogumi (surtout le thème Kaneda <3).

Pas très rassurant quand on voit ce qui est arrivé à notre pauvre Ghost in the Shell, qui, au contact de l'industrie hollywoodienne, a perdu un peu de saveur et parfois même un peu de sens. Cela étant dit, il est clair que le jour où cette adaptation sortira à l'écran, la plupart des fans, puristes réticents ou curieux et bons joueurs, se déplaceront pour voir le résultat. Pour ma part, qu'il soit juste correct ou à chier, j'en serai.

Mots-clés : Akira, Tokyo, Kaneda, Tetsuo, Katsuhiro Otomo, Animé, Neo-Tokyo, Manga, Ghost in the Shell, Japon