I got high to see if I could legally drive under canada's impaired driving law, vice
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Drogue

Je me suis gelée et j’ai fait un test pour voir si je pouvais conduire

Le gouvernement impose de strictes limites de THC aux conducteurs, mais la plupart des gens ne savent pas ce qu’elles représentent.

L’article original a été publié sur VICE Canada.

Quand le gouvernement du Canada a annoncé les limites de THC imposées aux conducteurs, ma première réaction a été : mais qu’est-ce que ça veut dire?

Je fume du cannabis depuis longtemps, et j’ai l’impression de savoir quand je peux conduire et quand je ne peux pas conduire. J’écris en plus sur le cannabis depuis des années, et pourtant, je n’ai aucune idée de ce que ça veut dire, en pratique, deux nanogrammes de THC par millilitre de sang. Je ne sais pas non plus quelle quantité de cannabis il faut fumer pour l’atteindre, et j’ai constaté que je ne suis pas la seule.

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J’ai donc décidé de jouer les cobayes pour comprendre les nouvelles lois fédérales sur la conduite avec facultés affaiblies.

Mais d’abord, voyons ce que disent ces lois. Quand le gouvernement a légalisé le cannabis en octobre dernier, il a en même temps adopté une série de mesures portant sur la conduite avec les facultés affaiblies après avoir consommé de l’alcool ou du cannabis.

En vertu de ce celles-ci, il existe maintenant de nouvelles infractions consistant à conduire avec une quantité de THC dans le sang dépassant la limite légale. L’une des plus importantes choses à retenir, c’est qu’il n’y a pas de preuve irréfutable que l’on a les facultés affaiblies au-delà de ces limites de THC. Le gouvernement a fixé ces limites arbitrairement, ce qu’il admet.

Voici ces nouvelles infractions et les peines :

  • Avoir plus de 2 mais moins de 5 nanogrammes de THC par millilitre de sang dans les 2 heures suivant la conduite – amende maximale de 1000 $
  • Avoir cinq nanogrammes ou plus de THC par ml de sang dans les 2 heures suivant la conduite – minimum : amende de 1000 $, maximum : 10 ans d’emprisonnement
  • Avoir un taux d’alcoolémie de 50 milligrammes par 100 millilitres de sang et 2,5 mg ou plus de THC par millilitre de sang dans les 2 heures suivant la conduite – minimum : amende de 1000 $, maximum : 10 ans d’emprisonnement

En plus, les gouvernements provinciaux imposent aussi des peines pour conduite avec facultés affaiblies, dont la suspension automatique du permis de conduire et la saisie du véhicule si une personne échoue au test en bordure de la route.

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Ce peut être le test de sobriété normalisé (TSN), soit une série de trois « épreuves » que le conducteur doit réussir, ou un test salivaire pour vérifier si le conducteur a récemment consommé du cannabis. L’appareil de dépistage approuvé par le gouvernement, le Dräger DrugTest 5000, peut détecter du THC dans la salive jusqu’à six heures après la consommation. Il est programmé de façon à ce qu’une personne ayant 25 ml de THC ou plus par millilitre de salive échoue au test.

L’appareil n’indique pas la quantité de THC, et un échec ne signifie pas qu’une personne a les facultés affaiblies. Mais l’échec peut entraîner une peine provinciale, que le taux de THC réel du conducteur soit au-dessus ou au-dessous de la limite légale fixée dans le Code criminel.

Pour que des accusations criminelles soient déposées, un conducteur qui a échoué à un test en bordure de la route doit subir une analyse de sang ou une évaluation effectuée par un expert en reconnaissance de drogues, qui est formé pour évaluer si un conducteur a les facultés affaiblies ou non. Dans le cas d’un échec à cette évaluation, un échantillon de sang ou d’urine sera prélevé.

D’après divers spécialistes et études, on devrait attendre de deux à douze heures après avoir consommé du cannabis avant de prendre le volant. Mais beaucoup de consommateurs habituels et même occasionnels disent que les effets sont loin de durer aussi longtemps.

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Et si la plupart des gens ont une assez bonne idée du nombre de verres de bière ou de coupes de vin au-delà duquel ils ne se sentent plus en état de conduire, il est beaucoup plus difficile de se représenter la limite fixée de THC fixée par le gouvernement. On peut détecter le THC par analyse de sang jusqu’à un mois après la consommation, et le THC étant emmagasiné dans les cellules adipeuses, il reste donc dans l’organisme encore très longtemps après. L’indice de masse grasse, le métabolisme et la puissance de la drogue consommée sont des facteurs pouvant faire varier la période pendant laquelle le THC reste détectable.

À la lumière de tout ça, j’ai décidé de mener une expérience.

Je consomme du cannabis de façon récréative, pour me relaxer, et à des fins médicales, contre l’insomnie chronique. La plupart des soirs, je fume l’équivalent d’un demi-joint, ou je consomme quelques gouttes d’huile de THC. J’estime avoir une assez haute tolérance. Une heure ou deux après avoir consommé – selon la puissance – je me sens tout à fait en mesure de conduire. Mais je me suis demandé si cette impression est conforme aux limites fixées dans les nouvelles lois fédérales.

Gardez à l’esprit que cette expérience n’est réalisée que sur moi, et que les résultats n’indiquent d’aucune manière si une autre personne a ou non les facultés affaiblies après consommation d'une dose équivalente, parce que l’on réagit différemment au cannabis.

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L’expérience

9 h 40 : Simulation de conduite, à jeun

Comme je n’allais pas réellement conduire dans les rues pour cette expérience, j’ai demandé à la compagnie DriveWise d’installer son simulateur de conduite à nos bureaux. DriveWise donne des formations de conduite en Ontario, et je me suis dit que c'était ce qu’il y avait de plus proche de la conduite réelle. Toutefois, quand j’ai essayé le simulateur à jeun, pour avoir une référence, je suis entrée en collision avec une voiture de police et ensuite une ambulance. Je pense que c’est parce que le simulateur était nouveau pour moi. C'est assez déstabilisant.

10 h 15 : Analyse de sang, à jeun

Avant de consommer, je voulais qu'on me fasse une analyse de sang. J’étais curieuse de savoir si l’on détecterait du THC, car je consomme du cannabis assez fréquemment et j’en avais fumé la veille. Eh bien non, rien n’a été détecté.

10 h 30 à 10 h 45 : Consommation de cannabis

Je suis sortie des bureaux pendant environ 15 minutes pour fumer. Je voulais que l’expérience reflète ma consommation dans la vraie vie, alors l’idée n’était pas de fumer à en perdre la carte. Il fallait que je sente bien les effets du cannabis. J’ai fumé de l’indica à 20 %/mg de THC, ce qui est au haut du spectre. Ma vapoteuse a une capacité d’à peu près un tiers de gramme. Quand j’ai eu terminé, je me sentais gelée à environ six sur une échelle de un à dix. De manière générale, je me sentais plus détendue, plus relax. Je n’aurais pas pris le volant.

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11 h 15 : Analyse de sang et simulation de conduite, après consommation

Environ une demi-heure après avoir consommé du cannabis, j'ai donné un deuxième échantillon de sang pour analyse. Ensuite, j’ai réessayé le simulateur de conduite. Je n’ai pas eu d’accident, cette fois, mais je roulais excessivement lentement et j’ai doublé un autobus scolaire dont les feux clignotaient. Le simulateur n’est pas un instrument scientifique conçu pour évaluer si les facultés d’une personne sont affaiblies, et on peut s’améliorer d’une fois à l’autre simplement parce que l’on s’y habitue.

11 h 45 : Test de sobriété normalisé (TSN)

Environ une heure après avoir consommé, un ex-policier et expert en reconnaissance de drogues, Steve Maxwell, m’a fait passer un test de sobriété normalisé. Les effets du cannabis s’étaient déjà considérablement dissipés. Il m’a expliqué que si, à un barrage routier, un policier remarquait une odeur de cannabis ou que mes pupilles étaient dilatées, il pourrait recourir au test de sobriété normalisé pour vérifier si les soupçons sont raisonnables et s’il y a un motif d’arrestation.

Le test est en trois parties. À chacune des trois, il m’a évaluée en cherchant à repérer des « indices » qui montreraient que mes facultés sont affaiblies. Si je présentais trop d’indices, il aurait un motif pour m’arrêter. (Le refus de passer le test entraîne des accusations criminelles.)

Test 1 : Nystagmus horizontal. L’expert tient un stylo devant mon visage et le promène d’un côté et de l’autre, et je dois le suivre des yeux, sans bouger la tête.

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Indices de facultés affaiblies : J’ai présenté deux des six indices possibles, d’après lui, soit un mouvement saccadé des yeux. C’est un indice par œil. Parfois, mon regard allait au-devant du stylo plutôt que de le suivre d'un mouvement continu. Selon l’expert, ce n’est normalement pas un effet du cannabis.

Test 2 : Démarche. Il m’a demandé de faire neuf pas le long d’un ruban adhésif sur le plancher, chaque fois en plaçant le pied de façon à ce que le talon du pied de devant touche les orteils du pied de derrière. Après le neuvième pas, je devais faire un demi-tour sur un pied et faire neuf autres pas vers le point de départ, de la même manière. Je devais également garder la tête baissée et les bras le long du corps, et compter mes pas à haute voix.

Indices de facultés affaiblies : J’ai présenté deux indices sur un total de huit, et deux indices ou plus, c’est un échec. Je me suis servi de mes bras pour garder l’équilibre et je me suis arrêtée pendant plus qu’un instant après le neuvième pas. (Je me suis en fait arrêtée parce que je cherchais comment me retourner sans lever le pied de devant.)

Test 3 : Équilibre. Je devais lever un pied à environ 15 centimètres du sol, me tenir en équilibre sur l’autre pied (j’ai choisi de me tenir sur le pied droit) et compter à haute voix jusqu’à cent en regardant mon pied levé. Je devais garder les bras le long du corps.

Indices de facultés affaiblies : J’ai présenté deux indices sur quatre : je me suis servi de mes bras pour me garder en équilibre, et j’ai mis le pied au sol.

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Même si je n’étais pas parfaitement à jeun en effectuant ces tests, je crois bien que j’aurais été capable de conduire. Je ne suis d’ailleurs pas certaine que j’aurais fait beaucoup mieux à jeun. Il est difficile de garder l’équilibre ainsi. Je me suis aussi demandé comment on s’y prenait avec les personnes qui ont un problème physique ou un handicap.

12 h 15 : Analyse de sang, 90 minutes après la consommation

12 h 35 : Évaluation de l’expert en reconnaissance de drogues

D’après l’expert, mes résultats constituaient un motif d’arrestation. On m’aurait donc prélevé un échantillon de sang ou un expert en reconnaissance de drogues m’aurait évaluée.

Cette évaluation a duré environ une heure quarante-cinq minutes après la consommation de cannabis, et presque une heure après le test de sobriété normalisé. Selon Steve Maxwell, ce délai est représentatif de la réalité, car il faut un certain temps pour amener un conducteur au poste de police.

L’évaluation comporte une entrevue (j’ai déclaré que je n’avais pas pris de drogue), les trois tests que j’avais déjà faits et quelques autres : mesure des signes vitaux, prise du pouls, examen musculaire, examen des bras pour voir s’il y a des marques, examen des pupilles dans une pièce sombre.

Une fois l'évaluation faite, l'expert a déterminé que mes facultés n’étaient pas affaiblies. Même si je présentais encore des indices de facultés affaiblies – mes paupières tremblaient et j'ai posé un pied au sol pendant le test d’équilibre – tout était à peu près normal.

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« Je ne peux pas formuler l’opinion que vos facultés sont affaiblies en ce moment », a-t-il conclu, notant que certaines des parties ne sont pas scientifiquement approuvées : elles ne servent qu’à donner des indices de facultés affaiblies. « Il y a des signes qui montrent que vous avez consommé du cannabis, mais je ne vois pas que vos facultés sont affaiblies. »

À son avis, l'évaluation par un expert en reconnaissance de drogues est ce qu’il y a de mieux pour l’instant pour déterminer si les facultés d’une personne sont affaiblies. « À l’aéroport, s’ils veulent savoir si vous portez des armes, ils vous font passer dans un scanneur et l’appareil le leur dit. On n’a pas ça pour les facultés affaiblies. » Ses conclusions correspondaient à mes impressions : je ne me sentais plus gelée et je me sentais en état de conduire.

13 h 15 : Dernière prise de sang

Pour l’expérience, j’ai aussi donné un échantillon de sang à la fin de l’évaluation. C’était à peu près deux heures et demie après avoir consommé du cannabis.

Résultats des analyses de sang

Qu’ont révélé mes analyses de sang? Bien, que je n’ai jamais été même proche de la limite légale de THC. Une demi-heure après avoir consommé, j’avais 0,5 nanogramme de THC par millilitre de sang, soit quatre fois moins que la limite légale de 2 nanogrammes, et pourtant je me sentais trop gelée pour conduire. Et ça n’a jamais été plus élevé que ça. À ma dernière prise de sang, environ deux heures et demie après, le taux n’était plus que de 0,06 nanogramme de THC par millilitre de sang.

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Par contre, comme j’ai échoué au test que l’on fait normalement passer en bordure de la route, je serais passible en Ontario d’une suspension de permis de trois jours (qui est sans appel) et une amende de 250 $. Les peines augmentent en cas de récidive.

Au Québec, mon permis serait suspendu sur-le-champ pour 90 jours si un test salivaire effectué en bordure de la route révélait la moindre quantité de THC dans mon sang.

VICE a récemment rapporté le cas d’une femme de Halifax qui souffre de sclérose en plaques et consomme du cannabis à des fins médicales. À un barrage routier, six heures après avoir fumé la moitié d’un joint, elle a échoué au test salivaire. Un expert en reconnaissance de drogues a plus tard déterminé que ses facultés n’étaient pas affaiblies. Mais son véhicule a été saisi et son permis de conduire suspendu pour une semaine. En cas de récidive, ce serait une suspension de 15 jours, et la troisième fois, 30 jours.

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Je rappelle que mes résultats dépendent de mes habitudes de consommation et de mon organisme, et qu’ils ne seront pas les mêmes pour une autre personne. Il est possible qu’une personne qui consomme du cannabis à des fins médicales échoue à l’analyse de sang même sans être gelée, parce que la quantité de THC dans son organisme pourrait être plus élevée que la mienne.

Phillip Ajiboro, fondateur de Cognizance Labs, à Windsor, recrute des volontaires pour des essais cliniques basés sur l’haleine en vue de mieux connaître le lien entre la consommation et les facultés affaiblies.

« Les consommateurs de cannabis doivent savoir quels sont les effets des différents produits sur eux », dit-il. C'est important notamment en raison des lois fédérales strictes en matière de conduite avec les facultés affaiblies par le cannabis. Elles sont entrées en vigueur avant que la population comprenne bien des notions comme la concentration de THC, les souches, les effets du cannabis comestible par rapport à ceux de la fleur séchée ou d'autres types de cannabis.

« On a radicalement besoin de plus d’essais cliniques communautaires pour étudier les effets des produits, des souches et des méthodes de consommation du cannabis, estime Phillip Ajiboro. L’ignorance ne fait pas le bonheur. »