Êtes-vous vraiment mort si vos cellules continuent à vivre ?

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Êtes-vous vraiment mort si vos cellules continuent à vivre ?

« Suis-je mon foie, mon estomac, mon rein ? Tous ces organes fonctionnent encore après la mort. »

Cet article a été publié par Motherboard France.

Le corps humain compte un peu plus de 37 milliers de milliards de cellules. Elles composent la peau, le cerveau, le foie, les muscles, et tous les autres organes. Elles forment la matière que vous considérez – à juste titre – être "vous".

Lorsque vous mourrez, toutes ces cellules ne meurent pas avec vous. Nombre d’entre elles continuent à faire leur travail pendant des heures, voire des jours après que votre décès ait été prononcé. Certaines sont même plus actives que lorsque vous étiez vivant ; c’est l’observation étonnante d’une étude publiée la semaine dernière dans Nature Communications. Comprendre ce que font les cellules après la mort de leur hôte permet de mieux appréhender le comportement cellulaire en général, mais aussi de prédire l’heure de la mort de manière précise, entre autres applications pratiques en médecine légale.

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Roderic Guigó, biologiste computationnel et co-auteur de l’étude, n'avait pas pour objectif de développer un nouvel outil pour la police scientifique lorsqu'il a entamé ses recherches. Il passe ses journées à se demander pourquoi l'activité des cellules est sujette à tant de variations : comment les cellules de l'épiderme se différencient-elles des autres, sachant qu’une cellule du foie possède exactement le même matériel génétique qu'une cellule de la peau ? Pour répondre à cette question, Guigó s’est intéressé à l’expression des gènes : même si chaque cellule contient l’intégralité du génome de l'organisme, seuls certains gènes sont “activés” ou exprimés par une cellule donnée. C’est ainsi que différents types de tissus abritent des cellules qui peuvent être très différentes les unes des autres.

Les chercheurs disposent de plusieurs méthodes pour déterminer si un gène est oui ou non activé au sein d'une cellule. L’une de ces méthodes consiste à rechercher des signes de transcription, la première étape de l’expression génétique. Des segments d’ADN sont copiés sur une molécule appelée ARN, qui produit une protéine destinée à remplir une mission spécifique au sein du corps.

Guigó explique que l’étude de l’expression génétique repose en grande partie sur l'examen d’échantillons de tissus post-mortem. « Ils sont essentiels en biologie, affirme-t-il. On analyse des échantillons prélevés sur des personnes décédées. On ne s'intéresse pas vraiment à l’expression génétique dans la mort, mais bien à l’expression génétique dans le vivant. De fait, l'un informe l'autre »

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La nouvelle étude de Guigó et son équipe a permis d'étudier plus de 7 000 échantillons tirés de 36 types de tissus prélevés sur 540 donneurs. Grâce à l'examen de l'ARN, ils ont pu déterminer le niveau d'expression génétique des cellules concernées. « Nous avons découvert que chaque type de tissu évoluait selon des patterns spécifiques après la mort, explique-t-il. Ce qui se passe dans le cerveau, ce qui se passe dans la peau, ce qui se passe dans le muscle, tout cela est très différent. » Les chercheurs ont également découvert, avec une certaine surprise, que le corps ne "meurt" pas de manière uniforme : au niveau de certains organes, quelques gènes s’exprimaient avec plus d’intensité qu'auparavant.

Peter Noble est microbiologiste à l’université de Washington. Il n’a pas participé à l’étude, mais ses recherches passées lui ont permis de découvrir des comportements cellulaires similaires chez les animaux. À l’origine, lui non plus ne s’intéressait pas à l’expression génétique après la mort : lui et ses coéquipiers venaient juste de découvrir une nouvelle méthode de calcul de l’expression génétique et souhaitaient la tester.

Un collègue de Noble, de l’Institut Max Planck pour la biologie de l'évolution, lui a expliqué que son labo avait abandonné le modèle du poisson-zèbre et adopté les souris pour l'ensemble des études animales. « Nous nous sommes dit que tous ces cadavres de poisson pouvaient nous servir », m’explique Noble

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En 2017, les chercheurs ont découvert que, comme chez l'humain, certains gènes s'exprimaient davantage après la mort de l'animal. « Nous pensions que les opérations de transcription génétique étaient abandonnées très rapidement après la mort, ça semblait logique, explique Noble. Et c’est vrai, 99% des gènes sont inactivés. Pourtant, les 1 ou 2% restant connaissent une augmentation du volume de transcription. »

L’année dernière, Noble a publié ses résultats : chez le poisson-zèbre comme chez la souris, 1 063 gènes gagnaient en activité jusqu’à 96 heures après la mort. La plupart de ces gènes connaissaient un pic d’activité dans la première demi-heure suivant la mort, tandis que d’autres attendaient 24 heures, voire 48 heures. « J’ai été médusé par ce résultat, explique-t-il. C'était inattendu. Quand j’en ai parlé autour de moi, on m'a pris pour un fou. »

Noble et son équipe ont baptisé le phénomène « le crépuscule de la mort », une expression qui qualifie un organisme qui n’est plus en vie, mais qui n'est pas encore une dépouille en décomposition : il est en transition entre ces deux états.

Il est peu surprenant que certains des gènes identifiés par Noble connaissent un pic d’activité, en particulier ceux qui sont impliqués dans la cicatrisation, la réponse au stress ou l'apoptose, par exemple. Cependant, l’activité d’autres gènes semblait plus surprenante. « Ce qui était vraiment intéressant, c’est que certains de ces gènes étaient impliqués dans le développement, affirme Noble. Et plus particulièrement, le développement embryonnaire. »

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Quand Noble a entré les résultats de l’étude dans une base de données sur le cancer, il a également découvert que nombre des gènes actifs post-mortem étaient associés au cancer. Le chercheur pense que cette découverte pourrait nous aider à comprendre les conséquences d'une greffe d'organe, qui est associée à une augmentation du risque de cancer chez le patient. On pensait jusque là que ce phénomène était d'origine immunologique, mais Noble estime que ces gènes pourraient être les responsables de cancers inopinés.

Dans la nouvelle étude, Guigó n’a pas découvert de phénomène d'expression des gènes du développement post-mortem. Reste qu’il a tout de même eu quelques surprises. Dans plusieurs types de tissus, le gène responsable de la production d’une protéine qui transporte l’oxygène est devenu très actif, par exemple. Pourtant, on atteindrait le phénomène inverse dans la mesure où la quantité d'oxygène présent dans le corps chute après cessation de l'activité respiratoire. Guigó suppose que les cellules sentent le manque d’oxygène et réagissent en augmentant la production de la protéine en question. Les chercheurs ont également observé une prolifération de l’enzyme responsable de la production d’ARN, la molécule qui amorce l’expression génétique.

Guigó affirme qu’en dépit des différences observées entre les différents tissus, ils possédaient suffisamment de points communs pour envisager des applications en médecine légale. Celle-ci dispose déjà de plusieurs méthodes d’estimation de l’heure de la mort : mesure de la température du corps, évaluation de la rigidité cadavérique, mesure de divers niveaux d’éléments chimiques, observation d'insectes nécrophages, etc. Il y a toujours de la place pour des méthodes plus précises cependant.

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Noble a publié un article dans lequel ses découvertes sont utilisées pour calculer l’heure de la mort à l’aide des modèles de transcription génétique observés chez le poisson-zèbre et la souris. L’équipe de Guigó a créé un logiciel ayant permis de calculer l’heure de la mort de 129 personnes en se basant sur les caractéristiques du décès de 399 individus. Son fonctionnement repose sur le calcul de l'augmentation ou de la diminution de l’activité des gènes.

« Le logiciel a découvert, par exemple, que dans le sang, les gènes impliqués dans la production d’ADN, la réponse immunitaire et le métabolisme voyaient leur activité décroître, mais que ceux qui étaient liés aux réponses au stress étaient plus actifs, ce qui signifie que la personne en question était morte environ six heures avant que le corps ait été mis au froid », écrit Science.

Reste la question originale de Guigó : avec tout ce que nous savons des changements qui agitent le corps après la mort, pouvons-nous encore utiliser des tissus morts pour étudier des tissus vivants ?

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« Si nous savons quels gènes changent après la mort, nous pouvons les contrôler et obtenir des informations utiles à partir des échantillons post-mortem, explique-t-il. En apportant les corrections nécessaires, nous pouvons obtenir une très bonne représentation de l’expression génétique dans le vivant. »

Au final, savoir que le corps continue à fonctionner après la mort n’est pas un scoop, affirme Guigó. Ce qui compte, c’est de comprendre pourquoi nous pouvons prélever des cœurs et des foies de personnes décédées et les greffer sur une autre personne. Il n'en est pas moins que les variations inattendues de l'expression génétique sont fascinantes.

« Certaines parties du corps sont toujours en vie quand le décès est prononcé, explique Guigó. Qu’est-ce que ça signifie ? C’est une question qui ne concerne peut-être pas la science. Quelle est la différence entre la mort d’un individu et la mort des parties qui constituent l’individu ? Suis-je mon foie, mon estomac, mon rein ? Tous ces organes continuent de fonctionner après la mort. Ils sont vivantes, mais je suis mort. En vérité, la vie peut être définie comme l'action coordonnée de toutes ses parties, et la mort comme la fin de cette coordination. »