Le prosélytisme religieux en prison, selon Amanda Knox
Illustration de Jennifer Kahn

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Société

Le prosélytisme religieux en prison, selon Amanda Knox

Aux États-Unis, les détenus sont fortement incités à se soumettre à une idéologie religieuse pour mieux se réinsérer, ou se soigner.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Katie McKibben et la cour supérieure du comté d'Orange, en Californie, sont d'accord sur une chose : en juillet 2013, McKibben, 25 ans, a violé son assignation à résidence après un troisième délit de conduite en état d'ivresse. Elle souffre d'alcoolisme, ne parvient pas à s'en tirer seule et a besoin d'aide. C'est là que prend fin le consensus.

Selon la cour, McKibben a suivi, pendant 90 jours, un programme de réhabilitation au sein de la Villa, un établissement pour femmes situé à Santa Ana. Là-bas, d'août à novembre, McKibben a bénéficié de l'aide dont elle avait besoin. Lors de ses contrôles réguliers, elle a salué l'influence positive du programme. Point.

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Selon McKibben, « rien n'est plus faux ». Lors de la prononciation de sa peine, elle a en effet accepté de suivre un programme de réinsertion, mais s'est opposée à la Villa pour deux raisons. Premièrement, l'établissement était plein à craquer. Deuxièmement, la Villa ne proposait qu'un programme en 12 étapes reposant uniquement sur la foi. McKibben s'identifie comme une humaniste séculière. Elle a demandé au juge une solution non-religieuse, mais sa requête a été rejetée. « Le juge s'est entretenu avec mon agent de probation, qui a dit : "Non. Elle doit suivre ce programme. C'est là qu'on envoie tout le monde et c'est comme ça que ça marche" », se rappelle McKibben.

McKibben a passé 37 jours dans la prison du comté d'Orange avant qu'une place ne se libère à la Villa. Elle était enfermée dans sa cellule 22 heures par jour. « Ici, tout le monde reste dans sa cellule à se demander comment il a pu tomber aussi bas », déclare-t-elle.

Quand McKibben a enfin été transférée à la Villa, son immense chagrin a laissé place à une immense pression. « Lors de mes contrôles réguliers, la cour s'attendait à ce que je me montre reconnaissante envers le programme de réhabilitation. Toute appréhension était perçue comme une résistance et une entrave au passage à l'étape suivante du programme. »

Les premières semaines, elle a exprimé un certain soulagement. « Je commençais à me sentir mieux, se souvient-elle. J'étais sobre. Pour être honnête, j'étais surtout heureuse de ne plus être en prison, et peut-être que ça a été pris, à tort, pour de la reconnaissance. »

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Car reconnaissante, elle ne l'était pas. À la Villa, elle était sujette à un prosélytisme incessant. « On priait plusieurs fois par jour, explique-t-elle, avant et après chaque repas, avant et après chaque session. » On l'obligeait également à suivre des conférences où d'anciens toxicomanes « expliquaient qu'ils avaient été sauvés et que nous avions besoin d'être sauvés nous aussi », et à assister à des « célébrations de rémission » dans une église évangélique d'Anaheim. Dès qu'elle se présentait comme étant une humaniste séculière, les réactions étaient glaciales. « Ils n'aimaient pas ça, se rappelle-t-elle. Ils m'ont fait comprendre que l'acceptation de Jésus-Christ était la seule alternative possible. »

Leur modèle en 12 étapes repose sur la reconnaissance d'une force supérieure. « Votre force supérieure peut être une poignée de porte, déclare-t-elle, mais le tout est de croire en quelque chose d'autre qu'en vous-même. »

L'athéisme, l'agnosticisme et l'humanisme séculier ne sont pas reconnus en tant qu'idéologies de réhabilitation par les conseillers de la Villa, qui ont attribué le refus de McKibben de croire en une force supérieure à son « esprit alcoolique ». Par conséquent, McKibben a vécu dans la crainte d'être renvoyée en prison. « La peur était immense – à la moindre erreur, on vous renvoie en prison, explique-t-elle. Et si vous n'aimez pas le programme, la seule option qu'il vous reste est la prison. »

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Lorsque j'ai téléphoné à la Villa, une porte-parole m'a affirmé que le programme n'est en aucun cas exercé sous la contrainte. Les addicts « adhèrent au programme de leur plein gré. Personne ne peut les forcer, ni leurs parents, ni leur agent de probation. Nous leur offrons les outils qui les guideront vers leur rémission. S'ils n'en veulent pas, alors ils continueront sans doute de boire et consommer de la drogue. C'est aussi simple que ça. »

C'est bien là le cœur du problème. Les seuls outils que la Villa met à disposition, en plus du modèle en douze étapes, sont les textes fondateurs des Alcooliques Anonymes, à savoir Le Gros Livre et Les Douze Étapes et les Douze Traditions. Le programme de la Villa n'est pas adapté aux addicts qui refusent de croire en une force supérieure.

Ce n'est qu'après avoir quitté la Villa que McKibben a fait de vrais progrès. « J'ai l'impression que ma guérison a vraiment commencé quand j'ai quitté le programme », déclare-t-elle, expliquant qu'elle a par la suite découvert une communauté d'humanistes séculiers sobres et assisté à des rencontres organisées par l'organisation à but non-lucratif Center for Inquiry, à Hollywood.

L'histoire de McKibben montre à quel point l'athéisme et l'agnosticisme sont déconsidérés au sein du système pénitentiaire américain – et ce, en dépit du droit à la liberté religieuse contenu dans le premier amendement. Lors d'une affaire récente, l'État de Floride a refusé la libération conditionnelle de Barry A. Hazle Jr., un détenu athée qui avait renoncé à participer à un programme de réhabilitation qui reposait sur la foi. Au lieu de se voir proposer une option séculière, Hazle a été contraint de purger le reste de sa peine au California Rehabilitation Center, une prison d'État à Norco, Californie. Hazle a porté plainte pour privation de ses droits et s'est vu accorder un dédommagement de 2 millions de dollars pour emprisonnement injustifié.

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Les détenus ne sont pas tenus de mentionner leur affiliation religieuse en intégrant le système carcéral, si bien qu'il est difficile de connaître le nombre exact d'Américains athées et agnostiques actuellement en détention. Selon le Pew Center, près de 23 % des Américains se disent athées, agnostiques ou « rien en particulier ». On dénombre actuellement 2,3 millions de détenus aux États-Unis, sans compter les 4,5 millions d'individus en liberté conditionnelle ou en période de probation. Si, à l'instar de la population générale, 23 % de ces détenus ne s'identifient pas comme étant religieux, ils représentent autant de recrues potentielles.

Mais les détenus séculiers font-ils réellement l'objet d'une discrimination systématique au sein du système judiciaire et carcéral ? Ou bien Katie McKibben et Barry A. Hazle Jr. sont-ils des cas isolés ?

Les études n'ont, à ce jour, pas prouvé que les programmes basés sur la foi au sein et en dehors des prisons étaient plus efficaces pour réduire la récidive que les programmes séculiers. En réalité, « les directeurs de prisons voient [la réinsertion basée sur la foi] comme un opiacé, car cela donne aux détenus une chose à laquelle se raccrocher », m'explique le Dr Frank Datilio, de la Harvard Medical School. « Ils prient au lieu de regarder la télévision. Ils lisent la Bible au lieu de jouer aux cartes. » Ce n'est pas tant de la réhabilitation, il s'agit plutôt de « passer d'une dépendance à une autre ». Selon lui, la dépendance à la religion est une alternative à la dépendance à la drogue, à l'alcool, à l'affiliation aux gangs et à la violence. En outre, la religion facilite le travail des autorités pour ce qui est de gérer les détenus.

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C'était la même chose à Capanne, la prison italienne où, entre 2007 et 2011, j'ai été emprisonnée pour un crime que je n'avais pas commis. Là-bas, le seul traitement fiable et non-médicamenteux disponible comprenait la messe, l'étude de la Bible et une heure de discussion hebdomadaire avec un groupe de religieuses et de moines franciscains. Le reste du temps, j'étais enfermée dans ma cellule.

Pendant l'heure de discussion, nous apprenions des histoires bibliques, comme la parabole du Fils prodigue, via des projets artistiques, des projections de films et des mises en scène dans lesquelles nous appliquions ces histoires à notre propre vie. Ça prenait principalement la forme d'activités et de jeux – un jour, un moine a imité une dinde en se mettant à quatre pattes. Le sous-texte était parfaitement clair : voici le modèle que vous devez imiter, l'idéologie à laquelle vous devez adhérer, le chemin que vous devez suivre pour retrouver une bonne conduite.

Aujourd'hui, les institutions religieuses ont un meilleur accès aux populations des prisons américaines que les organisations séculières. Si toutes les prisons étatiques et fédérales emploient des aumôniers, elles n'en font pas de même avec des conseillers ou des éducateurs. Les établissements pénitentiaires qui fournissent un accès aux deux sont « extrêmement rares, déclare Nicholas Little du Center for Inquiry. Mais c'est comme ça que fonctionne le système. Les autorités pénitentiaires savent bien qu'il est inacceptable de faire de la discrimination envers des minorités religieuses. Le problème, c'est que les individus athées ou agnostiques n'entrent pas dans ce cadre-là, car ils revendiquent ne pas croire. »

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De même, rien de plus facile que d'être endoctriné quand on vivote dans un vide informationnel. « En prison, les détenus ont beaucoup de temps pour réfléchir, et ils se tournent souvent vers les questions fondamentales de la vie, déclare Little. Si la seule personne à qui ils peuvent parler est l'aumônier, ils vont parler à l'aumônier. Ce sont des gens qui se trouvent dans une situation de confinement ; leur accès aux livres est limité, mais leur accès à la Bible ne l'est jamais. Que penseraient les autorités pénitentiaires si vous leur disiez : "Je ne veux pas de la Bible. Je veux un exemplaire de Pour en finir avec Dieu de Richard Dawkins." ? »

Le personnel pénitentiaire a tendance à voir les détenus religieux d'un meilleur œil que les non-religieux – la religion permettrait d'acquérir nombre de qualités telles que l'autodiscipline et l'altruisme. « Dans le système pénitentiaire pennsylvanien, les détenus sont récompensés pour leur étude de la Bible, déclare le Dr Frank Datilio. Ils sont logés dans des bâtiments différents. Ils ont de meilleurs boulots. Ils reçoivent plus de nourriture. » Et les directeurs des établissements pénitentiaires « mettent à disposition plus d'endroits où étudier la Bible ».

Pendant ce temps, « la route est barrée pour les associations séculières qui aimeraient travailler avec les prisonniers, ajoute Little, ou pour les prisonniers qui essayent de mettre en place des groupes séculiers eux-mêmes ». La discrimination envers les prisonniers athées est perpétuée pour des questions de précaution et de préjugés religieux. Les directeurs, quant à eux, se soumettent aux règles. « Ils savent qu'ils doivent assurer aux prisonniers l'accès à la Bible et au Coran. Mais ils n'ont jamais considéré le fait que les prisonniers non-religieux voulaient avoir accès à des livres non-religieux, déclare Little. C'est un problème auquel les catholiques, s'ils ont besoin de parler à quelqu'un, ne feront jamais face. »

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Katie McKibben s'est logiquement sentie isolée. « Les détenus croyants avaient les moyens de soulager leur peine, me dit-elle. Quant à moi, je rêvais d'avoir un ami à qui parler, un ami qui aurait pu comprendre mon chagrin sans recourir au prosélytisme ; une sorte d'humaniste qui aurait pu m'écouter et m'apporter son soutien et ses conseils. Le fait de n'avoir personne à qui me confier m'a vraiment perturbée. »

Même les criminels les plus endurcis peuvent être vulnérables à l'endoctrinement religieux. « Les prisons, en particulier les prisons américaines, sont des endroits violents et dangereux, me raconte Little. Les prisonniers sont donc prêts à s'identifier à la première personne qui leur montre un peu de compassion. »

Don Saulo, l'aumônier de Capanne, était toujours affublé d'un sourire triste, et chaleureux. Chaque matin, il rendait visite aux prisonniers et les saluait par leur prénom. Chaque semaine, nous passions plusieurs heures ensemble dans son bureau à chanter et jouer des chansons des Beatles à la guitare, à discuter de philosophie, de littérature et de musique, à pleurer ensemble quand j'étais consumée par le désespoir. Dans ce monde minuscule et isolé, où j'étais souvent soupçonnée et méprisée, émotionnellement et intellectuellement négligée, il était mon seul ami. Et même s'il m'offrait souvent des conseils en rapport avec la religion, il ne m'a jamais jugée comme étant moins morale du fait de mon athéisme. Une vieille nonne, en revanche, m'a dit que je ne valais pas mieux qu'un animal étant donné que je ne croyais pas en Dieu.

Mais les aumôniers et les volontaires ne sont pas tous aussi scrupuleux que Don Saulo. Pour beaucoup, la prison est le parfait endroit pour convertir de futurs croyants. Après tout, quoi de mieux qu'un public captif, isolé et vulnérable sur le plan émotif ? Dans son guide évangélique, Prison Ministry: Understanding Prison Culture Inside and Out, Lennie Spitale, détenu devenu pasteur, écrit : « Je ne connais pas de terreau plus fertile pour l'Évangile aux États-Unis que nos prisons. [La prison] est une ruche entourée de barbelés, peuplée d'âmes éperdues et conscientes d'avoir fait quelque chose de mal, et qui désormais ne cherchent qu'à se repentir. »

Les méthodes de conversion décrites par Spitale sont semblables à celle des sectes : isolement, débilitation, culpabilisation et endoctrinement. Les prisonniers vulnérables à travers les États-Unis sont fortement incités – sinon forcés, comme l'a été McKibben – à se soumettre, contre leur gré, à une idéologie religieuse. Pas à cause d'un complot diabolique, mais à cause d'une discrimination non intentionnelle envers les idéologies séculières, et d'un manque d'options.

Les prisonniers séculiers pourront profiter des privilèges de leurs compagnons de cellule croyants quand le système judiciaire reconnaîtra que la religion n'a rien à voir avec la conformité sociale – et que Dieu n'est pas le seul chemin vers la réhabilitation.

À présent, Katie McKibben est sobre. Elle veut faire comprendre aux gens qu'ils ont d'autres solutions. « Il y a plusieurs moyens de mener une belle vie, avance-t-elle. Les gens n'ont pas à croire en une force supérieure pour cela. »