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Etudes

Des étudiants nous expliquent pourquoi ils consomment des smart drugs

Les smart drugs atteignent leur sommet de popularité auprès des étudiants universitaires en période de fin de session.

Selon des consommateurs réguliers, ces drogues permettent réellement de mieux performer à l'école. Le danger qui y est associé est cependant souvent banalisé.

Psychostimulants, nootropes, psychotropes, smart drugs… une variété de termes pour décrire ces substances qui optimisent certaines capacités du système nerveux central. En clair, sous l'effet des smart drugs, le cerveau est hyperstimulé par des processus chimiques qui décuplent la concentration, la mémoire ou bien diminuent les effets de la fatigue.

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L'automne dernier, alors que la fin de session approchait, une amie a proposé à Émilie*, 23 ans, quelques-uns de ses comprimés. C'est comme ça que l'étudiante en finances à l'UQAM s'est mise à prendre du méthylphénidate, mieux connu sous le nom de Concerta, psychostimulant comparé aux amphétamines qui est normalement prescrit pour les personnes atteintes de troubles du déficit de l'attention (TDA).

La jeune femme a toujours beaucoup entendu parler de ces smart drugs qui circulent dans les couloirs de son université. « Je connais pas mal de personnes qui en prennent ou qui en vendent », avance-t-elle.

Après avoir constaté que la drogue l'aidait vraiment à mieux étudier, elle a voulu obtenir sa propre dose, sans avoir à passer par le marché noir de l'UQAM.

Pour ce faire, il lui a suffi de se présenter à son CLSC et d'exagérer ses réponses à un questionnaire pour diagnostiquer de possibles troubles d'attention. « En cinq minutes, je sortais de là avec une prescription pour six mois, pour une dose plus forte que mon amie qui a vraiment un TDA », témoigne Émilie. Depuis, le Concerta fait partie de sa routine d'étude lorsqu'un examen approche.

Christophe* est lui aussi étudiant universitaire. Bien qu'il n'ait aucun trouble neurologique, pour l'aider à étudier, il utilise de la Vyvanse (un psychotrope qui s'apparente au Concerta et au Ritalin) depuis presque trois ans. En plus d'en consommer régulièrement, l'étudiant partage parfois ses pilules avec ses amis, mais affirme n'en avoir jamais vendu.

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De la concentration en comprimés. Vraiment?

Justement sous l'influence d'une dose de 36 mg de Concerta au moment de parler des effets de la médication, Émilie explique que « ça aide à faire le vide dans [son] esprit ». Pour elle, l'effet se fait ressentir 30 minutes environ après avoir pris la pilule et ne dure à peu près que cinq heures. Pour d'autres, son action peut se prolonger jusqu'à 12 heures.

C'est le cas d'Alexandre*, étudiant en gestion, qui a découvert les smart drugs par l'entremise d'amis de McGill, il y a plus d'un an. « Là-bas, tout le monde en médecine et en droit est sur ces drogues-là », avance-t-il. Avant d'en essayer, il ne croyait pas que ces pilules fonctionnaient. « Pour un exam, j'avais des trucs à apprendre par cœur alors j'en ai pris. J'ai eu A+ », raconte l'étudiant de 28 ans. Maintenant, « au besoin », il prend du Concerta pour réviser et en ressent les effets toute la journée. « Tu vois vraiment la différence, ça te calme et ça améliore clairement la rétention d'informations. »

Émilie parle elle aussi d'une « zone de calme » à laquelle elle accède quand le Concerta kick in. Elle décrit une sensation d'éveil décuplé, une impression que son cerveau est beaucoup plus conscient de tout ce qui se passe autour d'elle. Cela lui permet d'être plus concentrée sur ses travaux lorsqu'elle étudie, mais lui cause aussi d'être très facilement distraite par tout ce qui l'entoure. « J'ai besoin d'être dans le silence pour que ça ait un effet optimal, sinon je ne peux pas vraiment me concentrer et l'effet s'annule », dit l'étudiante de l'École des sciences de la gestion (ESG).

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Ses résultats scolaires se sont nettement améliorés depuis qu'elle consomme des psychostimulants. Émilie soutient que sa cote Z a grimpé et qu'elle est passée de notes tournant autour de C+ à des B+ ou A-. D'après elle, il est possible de tracer une ligne distincte entre sa scolarité avant et après les smart drugs.

Même constat du côté de Christophe, qui ajoute se sentir aussi plus motivé pour étudier, ce qui l'a aidé à considérablement augmenter sa moyenne. Pour lui ainsi que pour Émilie, pas question d'arrêter ces drogues tant qu'ils n'auront pas obtenu leurs diplômes.

C'est d'ailleurs la nécessité d'empocher ce fameux diplôme qui les motive à avoir recours aux psychotropes. « Moi, si je n'ai pas de bonnes notes, je ne peux pas accéder à la maîtrise, et sans maîtrise, je suis finie », déclare Émilie. Selon l'étudiante, si les exigences n'étaient pas aussi élevées, la pression serait moins lourde à porter et les jeunes adultes n'envisageraient même pas de prendre des smart drugs. « Mais j'ai besoin d'avoir mon foutu diplôme à la fin de mes études. »

Les contrecoups des smart drugs

Vendus sous ordonnances seulement, les psychostimulants semblent pris très à la légère par la communauté étudiante qui en consomme, comme s'il ne s'agissait pas d'une « vraie » drogue. Peu de recherches témoignent de ses effets à long terme, surtout sur un jeune cerveau qui n'a pas besoin de cette stimulation.

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Deux chercheurs américains attestent, dans un article pour le journal neuroscientifique Frontiers, des dommages possibles de l'utilisation de psychostimulants. La recherche conclut à un risque de « développement et/ou [de] potentialisation de comportements addictifs », ainsi que d'altération permanente de la plasticité cérébrale. Autrement dit, se doper aux smart drugs risque à long terme de rendre accro et d'empêcher le cerveau d'apprendre correctement par lui-même.

Professeur agrégé à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal, Jean-Sébastien Fallu atteste lui aussi des risques incontestables de la consommation de ces drogues. « À petite dose, il y a peu de danger, mais lorsqu'on parle d'un usage répété, on fait face à un plus grand risque », avance l'expert en toxicomanie. Ayant réalisé diverses recherches sur les drogues de performance durant les 15 dernières années, M. Fallu a pu constater l'évolution du phénomène et selon lui la prise de psychostimulants à des fins non médicales est en hausse. « Les données ne sont pas très précises, mais il y a une claire augmentation », affirme-t-il, associant cet accroissement à une charge de travail trop lourde et des contextes sociaux et professionnels trop exigeants et compétitifs.

L'UQAM et l'Université de Montréal affirment que la consommation de drogues de performance n'est pas un motif tangible de ceux qui consultent leur service de soutien psychologique. Il n'y a cependant pas de données spécifiques quant à l'utilisation de smart drugs chez les étudiants des deux institutions.

Émilie dit avoir vécu une période de sevrage après ses examens finaux, la session dernière, lorsqu'elle a arrêté d'un coup de prendre sa dose régulière de Concerta. « Tout l'effet que la pilule m'a apporté, tout ce que ça m'a permis de calmer, ça a quintuplé quand j'ai arrêté », décrit-elle. Pendant plus de deux semaines, elle a éprouvé des crises de panique et est devenue particulièrement irritable. « J'avais vraiment les nerfs à vif. »

De plus, son corps semble s'être habitué à la drogue. « J'ai une dose plus élevée que certains qui ont un vrai TDA, mais maintenant je le sens de manière pas mal moins prononcée », raconte Émilie, qui ne craint cependant pas un risque d'addiction.

Le danger est pourtant bien réel. « Le down de ces pilules est quand même rough », témoigne Alexandre, qui dit se sentir « comme de la marde » quand l'effet du Concerta se dissipe. D'après des experts, plusieurs étudiants continuent de consommer pour ne pas ressentir ce down, mais aussi parce qu'ils ont le sentiment de ne plus pouvoir étudier sans l'aide de psychotropes. « C'est pas une bonne chose, ces drogues-là, affirme Alexandre. C'est mauvais pour toi, point. »

* Les noms ont été changés pour protéger l'anonymat des personnes citées.