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Culture

Deux militants antigentrification nous expliquent ce qui ne va pas à Hochelag

Je suis « gentrifieure » et je ne le savais pas
Crédit photo: Alexandra Viau

À toute heure du jour, les promenades Ontario sont vivantes. Point névralgique d'Hochelaga-Maisonneuve, on y croise toutes sortes de monde; des étudiants, des mères de famille, des enfants, des vieux, des addicts, des mendiants, du monde bien ordinaire et, si vous êtes chanceux, peut-être même le gars qui promène son énorme serpent sur ses épaules.

Cette semaine, je m'y suis rendue sous un soleil éclatant siroter un café sur la terrasse de l'iconique Atomic Café, entre passants, vélos et camions. J'y rencontrais deux militants d'Hochelag' qui se dressent contre la gentrification du quartier, deux anticapitalistes qui se battent pour qu'on reconnaisse des droits aux gens défavorisés.

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Pourquoi les rencontrer? D'une part, parce qu'ils ont organisé deux journées d'action festives samedi et dimanche, un festival et une manifestation, et que je voulais comprendre leur démarche.

D'autre part, parce qu'à travers les vitrines de commerces saccagées, les commerçants effrayés, les quelques gestes politiques et les études incomplètes, il me semble qu'on entend bien peu les voix de ceux qui veulent endiguer les effets négatifs de l'embourgeoisement du quartier.

Et que, comme la gentrification est réelle, il faudrait bien la comprendre.

Se rencontrer et échanger, réellement

*Samuel et *Audrey ont mis sur pied la plateforme web Chlag.info pour articuler un discours politique sur la gentrification qui n'est pas arrimé à celui des élus.

En fin de semaine, ils attendent les habitants du quartier pour offrir une alternative aux assises sur la gentrification que tiendra l'arrondissement, dimanche. Le processus prévu par la mairie de l'arrondissement est essentiellement politique, dénonce les deux militants du Chlag, un move stratégique en vue des élections de l'automne prochain.

Audrey et Samuel ont prévu toutes sortes de panels, où prendront la parole des travailleuses du sexe, des consommateurs de drogues, des voix du quartier vulnérables qui ont été oubliées dans le cortège d'études de l'INRS, commandé par l'arrondissement.

Ils le disent d'emblée : leur festival n'est pas une invitation à se justifier, à demander des coupables.

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« Beaucoup de gens se sentent personnellement attaqués par la question. Ils sentent qu'ils ne sont pas les bienvenus dans le quartier. Je trouve que c'est dommage, parce que ça permet aux gens de se victimiser, d'éviter de voir les problèmes sociaux auxquels ils participent. Et on y participe tous. C'est pour ça qu'on aimerait que tout le monde en parle de bonne foi », explique Audrey, le regard brillant.

C'est quoi le problème à Hochelaga-Maisonneuve?

Audrey et Samuel dénoncent un nettoyage social induit par la construction de condos et l'arrivée des gens plus fortunés. Samuel met en lumière les conséquences possibles de la construction d'un peu plus de 200 condos sur la rue Sainte-Catherine, sur le terrain du concessionnaire automobile Goyette auto.

« Si tu mets des condos dans un endroit les plus criminalisés, pauvres du quartier, si tu mets 200 yuppies là-bas, qu'est-ce qui va se passer? Tout le monde va se mettre à chialer, appeler tout le temps les flics, les travailleuses du sexe et les consommateurs de drogue, ceux qui habitent le quartier et qui font leurs trucs, ils vont juste se faire tasser, comme ça se passe partout. Leur but, c'est de lisser le quartier », dénonce Samuel.

« Tout le monde veut habiter dans un endroit agréable, avec des arbres…, ajoute Audrey. Idéalement, il n'y aurait pas de seringues dans la rue, et il n'y aurait pas de problème dans le monde. Mais le problème quand on lisse un environnement comme ça, c'est qu'on ne combat pas les inégalités. On fait juste les invisibiliser et se complaire dans un confort qui est faux. »

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Ils déplorent également l'offre commerciale du quartier, ces nouveaux restos, bars et boutiques branchés et onéreux que les gens en situation précaire ne peuvent se payer, qui ne répondent pas à leurs besoins, et qui les excluent de la vie de quartier. Ces gens auraient plutôt besoin de banques alimentaires, de soutien communautaire et de logements abordables, martèle Audrey.

Si vous les questionnez à ce sujet, les deux militants en ont, des pistes de solution. Ils voudraient plus de logements sociaux - et le demandent depuis longtemps-, que l'on mette un frein définitif aux condos et qu'on instaure un gel rétroactif de la hausse des loyers, par exemple.

C'est réalisable, un gel rétroactif?, demande-je avec curiosité. « Il n'y a rien d'envisageable sans mouvement social, parce que l'arrondissement lui-même n'a pas le pouvoir de faire ça, relativise Samuel. Ce serait au palier gouvernemental supérieur. »

« Tant qu'on n'arrivera pas à regarder les inégalités en face, on n'arrivera pas à aider les gens moins nantis, à avoir des conditions d'existence dignes pour tout le monde, explique Audrey. Je n'ai pas envie de mettre mes objectifs de lutte comme des objectifs réalisables. Je pense que c'est important d'avoir une part d'utopie dans le travail politique qu'on fait. C'est en étant imaginatif et créatif qu'on continue à mener cette lutte au système capitaliste d'exclusion sociale, et à tous les systèmes qui participent à créer la pauvreté. »

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Que dit la science sur la gentrification dans Hochelag?

Le débat polarise le quartier, et force est de constater que nombre de citoyens accueillent à bras ouverts les transformations amenées par la gentrification, ou se questionnent sur leurs répercussions.

La science s'est pourtant penchée sur le sujet; si les multiples études de l'INRS sur le cas particulier d'Hochelag ont été rendues publiques le mois dernier, des chercheurs s'intéressent au phénomène depuis des décennies.

La gentrification est définie comme un « processus à travers lequel des ménages de classe moyenne ou supérieure peuplent des quartiers "en crise", localisés à proximité du centre des grandes villes […], remplaçant la population qui y réside ».

Ce ne sont pas les plus fortunés qui amorcent un tel changement. En premier viendront les gentrifieurs de type « pionnier » que sont les étudiants, les artistes et les intellectuels; des personnes riches en capital culturel mais qui ont peu de ressources financières, qui concurrencent les plus démunis dans la recherche de loyers à bon prix. - c'est d'ailleurs la raison qui m'a poussée à vivre dans le quartier lors de mes études, et je fais partie de ceux qui ont depuis eu le coup de foudre pour Hochelag'.

Au fil du temps, ces gens « rendent souvent les espaces centraux plus désirables aux yeux d'une population plus aisée », écrit le chercheur Alexandre Maltais. Plusieurs facteurs de changement auront un impact sur le quartier, dont la transformation de l'offre commerciale et la conversion de logements locatifs en copropriétés. Le tout entraîne une hausse des valeurs foncières, ce qui a un effet sur le prix des loyers.

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On observe durant la première phase de gentrification des déplacements forcés; les plus pauvres sont vulnérables aux hausses de loyer, aux conversions de logements locatifs en condos, aux évictions, et on assiste à leur exode vers d'autres quartiers plus éloignés, mais aussi plus abordables.

Est-ce le cas en ce moment dans Hochelag? Les auteurs d'un rapport notent la difficulté d'évaluer les déplacements forcés des populations défavorisées, mais il y a un sentiment d'insécurité indéniable qui s'est insinué dans la population.

« On finira tous par être évincés », craint un participant lors de la tenue de groupes de discussions d'habitants du quartier, par l'INRS.

« Si les loyers sont encore abordables [à Hochelaga-Maisonneuve], l'inquiétude est grande face à la hausse des valeurs foncières », indique ce rapport. Il y est question de l'imminence des évictions.

« La rue Ontario se renippe, mais des commerces qui étaient considérés comme des institutions disparaissent », relève-t-on plus loin.

Difficile de nier la transformation du quartier. Alors qu'il n'y avait qu'environ 500 condos en 1997, 20 ans plus tard, leur nombre est passé à 4000. Une bonne part était auparavant des logements locatifs, précise-t-on.

« Les nouveaux commerces participent au changement d'ambiance du quartier, à la gentrification en quelque sorte, et accentuent finalement la pression à la hausse sur les coûts de loyer », notent des chercheurs.

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Lorsque le processus de gentrification est enclenché, il progresse, observe-t-on dans plusieurs villes d'Amérique du Nord. Les premiers acteurs de la gentrification, les gens de classe moyenne, n'auront éventuellement plus les moyens de vivre dans le quartier, et sont remplacés par des gens plus fortunés encore.

À Montréal, « tous les quartiers sont plus polarisés qu'autrefois et cela est aussi vrai dans les anciens quartiers gentrifiés que dans ceux récemment gentrifiés, d'où l'importance d'agir rapidement pour contrer les effets plus négatifs de ce phénomène. »

Si c'est l'INRS qui le dit…

Le rassemblement festif aura lieu le 6 mai au parc Hochelaga à 12h.
La manifestation débutera le dimanche 7 mai à 11h, au Parc Lafontaine.

*Noms fictifs. Les militants ont choisi de ne pas se nommer car ils craignent le profilage des forces policières.