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N'importe quoi

Obésité morbide : de 4 à 6 fois plus de risque de dépression

La seule raison pour laquelle il a renoncé à s'enlever la vie, c'était la perspective que quelqu'un ait à s'occuper de son corps.
Photo by Jamie Lee Curtis Taete

Si vous avez déjà regardé l'émission Catfish à MTV, vous savez que le concept est de montrer comment les gens se font prendre en ligne. Des épisodes ont présenté des femmes qui se faisaient passer pour des hommes, des fraudeurs pour des chanteurs professionnels, et une fille pour une ancienne Miss Teen USA dans le but d'impressionner un gars qui lui plaisait. Dans l'un des épisodes les plus intrigants, une fille du Michigan voulait savoir pourquoi son confident de longue date, Matt Lowe, refusait de la rencontrer en personne. En fin de compte, Matt, 29 ans, de Vancouver dans l'État de Washington, est exactement celui qu'il prétendait, à une petite omission près.

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Matt n'a pas mentionné, pendant les années qu'a duré leur relation en ligne, qu'il a atteint un poids extrême : 600 livres. C'est à cause de la honte de son apparence qu'il a évité de la rencontrer et refusé quand les producteurs de Catfish l'ont invité une première fois à participer à leur émission. « Toutes ces caméras m'auraient filmé sous tous les angles, m'auraient suivi dans la rue, auraient attiré l'attention sur moi. En plus, il y a la pression de savoir que des millions de personnes autour du monde allaient regarder l'émission… C'était la chose la plus terrifiante que j'aurais pu faire. » Plus tard, les producteurs l'ont convaincu. Ce n'est pas un secret, l'obésité a pris des proportions épidémiques en Amérique du Nord. Plus d'un tiers des adultes souffrent d'embonpoint ou d'obésité. Parmi eux, certains (4 % des hommes et 8 % des femmes) ont un indice de masse corporelle au-dessus de 40, ce qui est considéré comme de l'obésité morbide. Mais l'obésité n'est pas mieux acceptée socialement pour autant. Même que c'est le contraire : plus le taux d'obésité augmente, plus la discrimination prend de l'ampleur selon les études. L'une d'elles, menée par le Yale Rudd Center for Food Policy and Obesity, montre qu'au cours de la décennie entre 1995 et 2005, le nombre de cas rapportés de discriminations basées sur le poids a augmenté de 66 % aux États-Unis. On a aussi noté que les femmes sont plus susceptibles d'être victimes de discrimination basée sur leur poids que sur leur origine ethnique. « L'obésité est l'une des principales causes de stigmatisation aux États-Unis », affirme Ashley Gearhardt, experte de la dépendance et professeure au département de psychologie de l'Université du Michigan. « Les personnes obèses font davantage l'objet de discrimination et d'intimidation, et sont plus isolées. L'intimidation et les moqueries à propos de l'apparence touchent en particulier les enfants et les adolescents qui font de l'embonpoint. » Et il y a un inévitable coût psychologique. La dépression est courante chez ceux qui souffrent d'obésité et sa prévalence augmente en fonction de la sévérité de l'excès de poids, selon Lucy Faulconbridge, directrice de recherche à la clinique de perte de poids et de troubles alimentaires de l'Université de la Pennsylvanie. « On observe qu'à chaque classe d'obésité, le risque de dépression augmente. Avec l'obésité mortelle, il atteint des proportions alarmantes : de quatre à six fois plus important que chez une personne de poids moyen. » Matt Lowe était non seulement dépressif, mais aussi suicidaire. En 2013, il a publié un message public sur Facebook dans lequel il a révélé le contenu d'une lettre de suicide écrite deux ans plus tôt, quand il avait 25 ans et était profondément déprimé. La lettre montre combien le jugement des autres contribuait à le rendre malheureux : « Je n'arrive même pas à comprendre comment on peut en arriver à peser plus de 600 lb, alors je n'ose pas imaginer ce qui se passe dans la tête des gens qui me voient ou entendent parler de mon poids. » Il dit que la seule raison pour laquelle il a renoncé à s'enlever la vie, c'était la perspective que quelqu'un ait à s'occuper de son corps. « Je ne voulais pas qu'un coroner et ma famille voient ce que j'étais devenu. Je voulais mourir, mais je ne voulais pas que les dernières pensées des gens à mon sujet soient à propos de ce que j'avais fait de moi. » Matt a commencé à avoir des problèmes de poids au début de son adolescence. Au moment d'écrire la lettre, il mangeait de façon incontrôlée. À cause de la honte, il ne se montrait plus en public, se cachait dans sa chambre et jouait à des jeux vidéo. Les rares fois qu'il sortait, il voyait des gens le pointer et ricaner. Les effets de son obésité morbide sur sa santé l'ont rendu encore plus dépressif. Il ne pouvait plus se tenir debout pendant plus de cinq minutes sans ressentir des douleurs persistantes aux pieds et au dos. Et comme l'apnée du sommeil l'empêchait de bien dormir, il se sentait constamment fatigué. À la clinique de Lucy Faulconbridge en Pennsylvanie, on rencontre les personnes obèses morbides pour envisager la chirurgie bariatrique, une opération qui consiste à réduire la taille de l'estomac à l'aide d'un anneau. Selon elle, les problèmes de santé sont la principale source de motivation de la plupart des patients qui souhaitent subir cette chirurgie, devant la stigmatisation. « Ce n'est pas une surprise, comme un lien existe entre l'obésité et à peu près tous les problèmes de santé imaginables. » Mais si une perte de poids peut améliorer la santé physique, elle ne règle pas toujours les problèmes de santé mentale comme la dépression. Une étude parue en octobre 2015, réalisée auprès d'un groupe de patients qui ont subi une chirurgie bariatrique en Ontario pendant six ans, montre que les tentatives de suicide — principalement des surdoses intentionnelles — augmentent considérablement dans les trois ans après l'opération. « L'une des choses qu'on mentionne aux personnes qui se présentent à la clinique, c'est ce que la chirurgie peut faire et ce qu'elle ne peut pas faire. Elle peut vous aider à perdre du poids, mais elle ne peut pas régler vos problèmes de couple, elle ne peut pas faire que votre mère vous aime plus et elle ne peut pas vous donner un emploi. » Matt, qui pèse aujourd'hui 350 lb, dit que sa dépression s'est poursuivie après sa perte de poids. « Je vis avec elle jour après jour. Je pense qu'elle sera toujours là, en moi. La différence, c'est que maintenant je me bats contre elle. » La recherche a soulevé une autre question : l'obésité est-elle la cause ou le symptôme de la dépression? Une étude de l'Université Rutgers-Camden au New Jersey a montré que la dépression chez les adolescentes conduit souvent à l'obésité, mais beaucoup d'autres montrent que le lien de causalité va dans l'autre sens. Lucy Faulconbridge pense que cette apparente contradiction pourrait être causée pas les études actuelles, qui mélangent deux groupes distincts : ceux qui souffrent de dépression à cause de l'obésité et ceux dont la dépression n'est pas liée au surpoids. Donna Phair, psychologue au New Jersey spécialisée dans le traitement des troubles alimentaires, affirme que la majorité de ses patients obèses se disent anxieux, et non dépressifs. Bien que la plupart ne se souviennent pas si l'anxiété a commencé avant la prise de poids, elle croit qu'ils mangent compulsivement à cause de l'anxiété. « Quand on mastique, le cerveau produit de la dopamine et les intestins produisent de la sérotonine, des hormones qui nous font nous sentir bien. Est-ce qu'ils mangent pour se sentir mieux et calmer des troubles en eux? Absolument. » La stigmatisation de l'obésité cause ainsi un cercle vicieux : les gens se sentent mal dans leur peau et se tournent vers la nourriture pour obtenir du réconfort. « Contrairement à ce que des gens pensent, blâmer quelqu'un pour un excès de poids a l'effet contraire de celui voulu et cause plus d'excès alimentaires », explique Ashley Gearhardt. Prétendre que les personnes obèses sont paresseuses, c'est faire soi-même preuve de paresse intellectuelle.

« Ceux qui sont d'avis que "c'est de leur faute" n'ont jamais été aux prises avec l'obésité, estime Lucy Faulconbridge. En fait, une immense quantité de données montre qu'il existe une prédisposition génétique à l'obésité. Je suggère fortement aux gens de faire preuve de compassion et de ne pas présumer qu'ils connaissent les causes des problèmes des autres. »

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