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Où vont vos affaires quand vous êtes déportés des États-Unis

En février dernier, les États-Unis et le Mexique ont signé un nouvel accord de rapatriement qui tient compte, pour la première fois, des possessions.
Photo : Jason Outenreath

David Hill ne sait jamais sur quoi il va tomber quand il catalogue les possessions et effets personnels d'immigrants en voie d'être déportés. Chandails, bas, ceintures sont courants. Ensuite, des objets qui ont une valeur sentimentale : bagues de mariage, chapelets, dessins d'enfants. Les articles qui le saisissent le plus sont les cartes d'étudiants d'écoles américaines. David ne connaît que peu de détails à propos de ceux qu'il aide, mais ces cartes lui montrent que la personne bientôt déportée avait une vie aux États-Unis.

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« Je n'ai pas ma carte d'étudiant du secondaire dans mon portefeuille. Je n'ai pas besoin de prouver que j'ai ma place ici, dit-il. Mais elle est importante pour eux. C'est une preuve qu'ils ont leur place ici. »

David vit à Nogales, une ville divisée en deux par une frontière. D'un côté, c'est l'Arizona et de l'autre, le Mexique. Son temps est partagé entre son travail de réviseur pigiste et celui de chef du projet Property Recovery Assistance avec l'organisation bénévole No More Deaths, qui vise à retrouver et retourner les possessions perdues au cours de la déportation. « Ce sont des personnes qui ne peuvent pas facilement remplacer ce qui est perdu. »

David Hill (à gauche) de No More Deaths aide un client de l'organisation. Photo : Sœur Maria Engracia Robles Robles

L'organisation a lancé le projet en 2008, quelques années après que les États-Unis ont commencé à engager des poursuites contre les immigrants illégaux. Une fois arrêtés par les autorités, ces derniers disposent généralement de 30 jours pour récupérer leurs possessions auprès de Customs and Border Protection (CBP). Mais, au lieu d'être simplement emmenés de l'autre côté de la frontière, ils s'exposent maintenant à une peine de prison. La majorité d'entre eux sont libérés plus de 30 jours après leur arrestation, de sorte que leurs possessions — argent, cartes, téléphones, médicaments, etc. — sont souvent détruites.

Un agent de CBP nous a affirmé que les possessions sont conservées 30 jours après la libération et la déportation, et que c'est à la personne déportée de faire appel à un agent du consulat mexicain pour les récupérer. Mais David et d'autres témoins affirment qu'en pratique, cet échéancier prolongé ne s'applique qu'au centre du CBP de Tucson, en Arizona. Partout ailleurs, on ne conserve les possessions que pendant 30 jours à partir de l'arrestation et des accusations.

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« Les agents frontaliers détruisent les possessions, ce qui est très grave pour les immigrants déportés dans des villes frontalières », assure Vicki Gaubeca, du Regional Center for Border Rights et de l'American Civil Liberties Union, en entrevue avec VICE. Pour eux, le fait de passer par plusieurs agences gouvernementales, dont l'US Border Patrol, Immigration and Customs Enforcement (ICE) et le Bureau of Prisons, n'aide pas.

En février dernier, les États-Unis et le Mexique ont signé un nouvel accord de rapatriement qui tient compte, pour la première fois, des possessions. On y lit que « tous les moyens possibles » doivent être mis en œuvre pour rendre les possessions à leur propriétaire quand il est relâché. Mais, toujours selon des témoins, même après l'adoption de la politique, les procédures ne suivent pas.

« C'est difficile de comprendre ce qui se passe. J'ai vu des résultats différents », note Jeremy Slack, un professeur adjoint à l'Université du Texas qui étudie l'immigration. « À certains endroits, il semble y avoir des améliorations, mais, à d'autres, rien ne change. »

Vicki Gaubeca affirme qu'à leur sortie des centres de détention, on emmène les immigrants à la frontière, peut être à des milliers de kilomètres de leur domicile au Mexique, s'ils en ont un. À cause de la règle des 30 jours et des différentes agences impliquées, il ne reste souvent aux personnes déportées que les vêtements qu'ils portent. Pas de téléphone, pas de carte d'identité, par d'argent.

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Un porte-parole de l'ICE a déclaré que « l'agence prend tous les moyens possibles pour veiller à ce que les biens, les objets de valeur et l'argent saisis soient mis à la disposition de leur propriétaire au moment de leur déportation ». Mais, dans certains cas, les possessions restent derrière.

Quand son ex-mari a été arrêté en tentant de franchir la frontière en janvier dernier, Juana Padron a communiqué avec David Hill de No More Deaths pour retrouver ses possessions : de l'argent et trois pièces d'identité. Juana nous a expliqué qu'elle ne pouvait pas prendre des jours de congé pour faire la route entre Dallas, où elle vit, et Tuscan, où le CBP les conservait.

David considère que le système a une autre faille : seul le propriétaire, ou une autre personne par procuration, peut réclamer les possessions laissées derrière. Le CBP ne les envoie pas la poste. Juana devait donc faire 14 heures de route dans un sens pour les récupérer et autant dans l'autre sens pour rentrer chez elle. « D'autres familles vivent encore plus loin, dans le Sud des États-Unis, dans le Midwest ou sur la côte Est », mentionne David.En 2015, No More Deaths a aidé 151 personnes à récupérer leurs possessions après une déportation. Ce sont des immigrants qui vivaient illégalement aux États-Unis ou des Mexicains qui tentaient de franchir la frontière.

La procédure est simple mais longue. David explique qu'il reçoit des demandes par la poste d'immigrants incarcérés en voie d'être déporté. « Ce n'est pas moi qui vais vers eux, car on n'est pas certains de pouvoir tous les aider. » Il leur transmet ensuite un formulaire à remplir qui l'autorise à récupérer les possessions par procuration. Si elles n'ont pas déjà été détruites, il se rend au centre du CBP de Tucson, où elles sont entreposées. Il les catalogue pour que le propriétaire sache ce qu'il pourra récupérer. « C'est délicat parce que leurs effets personnels sont privés », ajoute David.

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Photo : Jason Outenreath

Selon la demande du propriétaire, David les conserve jusqu'à la déportation ou les poste à une personne désignée au Mexique ou aux États-Unis. L'objectif, c'est toujours de veiller à ce que le propriétaire remette la main sur ce qui lui appartient. Même si David doit lui-même traverser la frontière pour les remettre au propriétaire ou à ses proches.

« Le vrai problème humanitaire qui nous préoccupe, c'est la vulnérabilité des immigrants dans les minutes, les heures et les jours qui suivent la déportation », explique David.

Photo : Jason Outenreath

Bien que la mention des possessions dans le nouvel accord de rapatriement représente une grande victoire, rien n'indique que les politiques ont changé, d'après Jeremy Slack. « L'accord est une immense étape franchie dans la bonne direction, mais il manque de détails à propos de ce qui sera vraiment fait pour améliorer le système », juge-t-il.

Après ce pas dans la bonne direction, David Hill, lui, espère que le projet de No More Deaths sera un jour inutile. « Ce que je ne peux pas faire, c'est le travail de l'ICE : prendre leurs affaires, les faire monter dans le bus avec leurs affaires et les déposer à la frontière avec leurs affaires. »

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