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Cinq mythes sur Haïti post-Matthew

Les Haïtiens qui s'unissent rapidement après une catastrophe, ça ne fait pas de belles images pour les bulletins de nouvelles. On préfère celles du Blanc sauveur.
Photo : Étienne Côté-Paluck

Les enfants haïtiens, sans moyens, en sont réduits à manger des arbres, selon une présentatrice météo américaine de Weather Channel, ce qui participe à la déforestation. L'affirmation, évidemment fausse, a fait le plus grand plaisir des créateurs de mèmes. La présentatrice et le réseau télévisé ont été forcés de présenter leurs excuses. Par sensationnalisme ou ignorance, de fausses informations sont encore véhiculées sur Haïti par des médias et organismes humanitaires après le passage du pire ouragan depuis plus de cinquante ans le 4 octobre dernier. Voici cinq clichés particulièrement révélateurs.

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1. Il y a plus de 1000 victimes

Certains journalistes ont annoncé plus de 1000 morts dans les jours suivant l'ouragan, mais rien ne permet encore de corroborer ce chiffre. La Protection civile haïtienne a en fait comptabilisé 546 morts en date du 13 octobre 2016.

Après le séisme de janvier 2010, le nombre de morts avait aussi rapidement augmenté à plus de 300 000, selon des organismes non gouvernementaux et agences onusiennes. Les acteurs de l'humanitaire, et même parfois les différents gouvernements impliqués, ont en effet avantage à gonfler les chiffres pour « matérialiser les sous et les dons ». Une étude américaine a toutefois estimé en 2011 que le nombre de morts causés par le séisme pourrait plutôt se situer sous la barre des 100 000.

Après Matthew, le gouvernement haïtien a tenté de gérer plus strictement le décompte des victimes. Les chiffres de la Protection civile sont tout de même considérés comme prudents par plusieurs, puisqu'ils n'incluent pas d'estimation du nombre de morts non répertoriés.

2. 80 % des maisons détruites à Jérémie

Avant même que les premiers secours ne rejoignent la ville de Jérémie, certains médias annonçaient que 80 % des maisons étaient détruites. Ils se basaient sur des photos aériennes, les premières à parvenir de l'endroit. Si presque toutes les habitations ont été affectées, les dégâts au centre-ville se limitent surtout aux toits de tôle envolés. Beaucoup de maisons ont effectivement été entièrement détruites, mais la plupart de celles-ci sont dans les quartiers à l'extérieur du centre, plus pauvres, où elles sont faites de tôle et de matériaux légers.

La crise est importante dans les grandes agglomérations comme Jérémie ou Les Cayes. Les axes routiers ont cependant déjà été rétablis et les secours ont commencé à arriver. Des dizaines de 4x4 blancs appartenant à des ONG parcourent maintenant ces deux villes, qui reprennent petit à petit leurs activités.À l'inverse, dans les montagnes et les endroits reculés, parfois à plusieurs heures de marche d'une route, la quasi-totalité des maisons se sont effondrées. C'est là où on craint que ne se dessine une crise alimentaire grave dans les prochaines semaines. Les récoltes sont décimées, tout comme les habitations. Certains paysans en sont réduits à se réfugier dans les grottes pour affronter les aléas de la nature, le soleil chaud ou la pluie tropicale. Avec les arbres tombés, les habitants commencent déjà à remettre des structures des maisons en place, mais il manque de quoi les couvrir.

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3. Haïti ne fait qu'attendre l'aide internationale

Un hélicoptère de la US Navy ramène des vivres dans une petite communauté touchée par l'ouragan Matthew en Haïti. Photo : Étienne Côté-Paluck

Comme après le séisme de janvier 2010, le plus fort de l'aide immédiate reçue par les résidents affectés par l'ouragan est venu d'autres Haïtiens. À l'image du verglas au Québec en 1998 ou des attentats de New York en 2001, les Haïtiens s'unissent rapidement après une catastrophe, mais ça ne fait pas de belles images pour les bulletins de nouvelles. On préfère celles du Blanc sauveur.

Pourtant, ce sont les voisins qui offrent en premier un toit et des soins de base. Ce sont aussi des Haïtiens qui ont déblayé la majorité des rues et planifié les plans d'évacuation avant l'ouragan. Des convois d'aide directe privée sont aussi organisés depuis deux semaines entre les régions touchées et le reste du pays, comme à Port-au-Prince, plutôt épargnée. Un téléthon a même été organisé la fin de semaine dernière dans la capitale pour les sinistrés.

Les plus gros organismes haïtiens à vocation sociale ne se servent que très peu d'internet, car les transactions en ligne sont truffées d'embûches pour les détenteurs de cartes bancaires haïtiennes (PayPal ne reconnaît pas une carte Visa obtenue en Haïti, par exemple). Certains d'entre eux ont tout de même accès à un organisme partenaire aux États-Unis qui permet de recueillir les dons de l'étranger, comme FOKAL ou Paradis des Indiens.

4. Il n'y a plus de forêts en Haïti

La déforestation en Haïti est un réel problème : les montagnes entourant Les Gonaïves n'ont plus aucune rétention d'eau de pluie. Cette situation a certainement aggravé les inondations qui ravagent périodiquement la ville. Haïti reste cependant couverte à environ 30 % de forêt, loin du « 2 % de couverture végétale » régulièrement mentionné dans les médias de masse.

La forêt des Pins, au sud de Port-au-Prince, tout près de Jacmel, est majestueuse. Quand ses sommets montagneux se couvrent de bruine, elle apporte une fraîcheur enveloppante, presque alpine. À l'opposé, la forêt Macaya, dans la péninsule sud d'Haïti où Matthew a frappé, était quasiment tropicale. Les arbres, les fleurs et les oiseaux s'y multipliaient avant le passage de l'ouragan. Matthew a déraciné et ébranché les arbres, mais des bourgeons commencent déjà à apparaître, deux semaines après l'ouragan.

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5. Haïti est maudite

Les Haïtiens sont des rebelles et des résistants. La troisième République de l'histoire moderne, fondée en 1804 tout juste après les États-Unis et la France, paye encore aujourd'hui le prix de ses désirs de liberté et d'émancipation. Haïti est le seul pays de l'histoire où des esclaves ont pris le pouvoir sur leurs maîtres pour fonder une nouvelle nation. Après sa défaite, la France a exigé en compensation le paiement complet d'une « dette » de 150 millions de francs-or, réglée annuellement, plus intérêts, jusqu'en 1952.

La France a d'ailleurs géré une grande partie du système bancaire haïtien jusqu'en 1912. C'est à ce moment que les États-Unis ont entamé une occupation du pays pendant près de 20 ans. C'est à ce moment aussi, pour la première fois, que les zombies haïtiens sont entrés dans la culture américaine du cinéma noir et blanc. Jusque dans les années 70, les grandes puissances y ont pratiquement toujours appuyé la dictature. Le pays est ensuite tombé de haut en y établissant, en 1986, une démocratie empêtrée dans la mode des accords de libre-échange à tout prix, détruisant au passage une bonne partie de l'agriculture locale.

Si la population haïtienne n'a plus confiance envers les dirigeants haïtiens et étrangers, la résistance, comme le souci de justice, l'entraide et la créativité artistique, restera toujours au cœur des valeurs de ce peuple marqué par ses luttes à contre-courant.

Suivez Étienne Côté-Paluck sur Twitter.