Refused, The Shape of Punk To Come, hardcore

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Comment « The Shape of Punk to Come » de Refused a changé la face du punk

L'album iconique des Suédois vient de fêter ses vingt ans, et contrairement aux vaches sacrées du genre, il continue toujours autant de diviser. C'est une excellente nouvelle.

Refused est sans doute l’un des groupes punk les plus clivants de ces vingt dernières années. Il est facile de deviner pourquoi, vu comment The Shape Of Punk To Come (A Chimerical Bombination in 12 Bursts), a constitué une lettre d’intention très sûre de son fait à sa sortie. Le titre de l’album, une référence pince-sans-rire et bravache au classique du free jazz d’Ornette Coleman The Shape of Jazz To Come, dévoilait les ambitions du groupe dès le départ. Mais au-delà du titre de l’album, la musique qui le composait était tout aussi osée. Jusqu’alors, Refused avait toujours été un groupe hardcore, mais sur The Shape Of Punk To Come, ils intégraient alors des parties drum’n’bass, des riffs plus techniques, des hooks plus épais, et un tas d’autres éléments qui allaient à contre-courant du genre lui-même. Depuis sa sortie, chacun y est allé de son petit avis, qualifiant tour à tour l’album de classique indétrônable, d’affreusement surcoté, d’avoir été beaucoup trop ambitieux, ou juste de disque de merde. Tout ce qui pouvait être dit sur The Shape Of Punk To Come semblait déjà avoir été dit, alors à quoi bon se fatiguer ?

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À mon niveau personnel, j’ai lancé cette rubrique sur Noisey en référence au titre de l’album, donc je me sentais un peu obligé d’en parler. Mais surtout, j’ai passé un an à écrire sur des disques sortis la même année que The Shape Of Punk To Come, et sur les influences respectives qu’ils ont pu avoir sur le punk et le hardcore ensuite. Ce que j’ai appris, c’est que chacun avait une histoire similaire. Un groupe est apparu véhiculant quelque chose de spécial et les gens en ont pris acte. Rapidement, d’autres groupes s’en sont inspirés. Et une fois que ces influences se retrouvaient entre de mauvaises mains, les innovateurs étaient désavoués par les mêmes qui les avaient portés aux nues.

Cette tendance a toujours été présente dans le punk, et ne s’est jamais vraiment démentie depuis ses débuts. Des gens ont pu aimer Refused ou Kid Dynamite ou Alkaline Trio, mais une fois que toutes les salles de concert se mettaient à programmer de pâles copies des groupes suscités à l’affiche, l’original en pâtissait inévitablement. Ces groupes cessaient alors d’être cités comme influences, et étaient de moins en moins considérés comme acteurs mais plutôt comme parias d’une scène qu’ils avaient pourtant activement aidé à faire fleurir.

Quand The Shape Of Punk To Come est sorti en 1998, personne ne s’attendait à ce que ces cinq Suédois deviennent les têtes de gondole du punk de la décennie à venir. Leurs premiers morceaux, remuants et groovy, avaient une dette envers le hardcore new yorkais, et pourraient être aujourd’hui vendus à des kids en se faisant passer pour du Turnstile qui fait du beatdown. L’album Songs To Fan The Flames of Discontent de 1996 était alors la première vraie déclaration d’intention du groupe, alors même qu’ils troquaient leurs baggys cargos contre des chemises boutonnées jusqu’en haut, lesquelles, dans le plus pur style 90’s, étaient tout de même un peu trop grandes. Ce bond stylistique a été chaudement accueilli, Refused prenant bien soin de ne pas rester dans les mémoires comme un groupe d’outsiders. De ce point de vue, The Shape of Punk to Come eut un succès retentissant, faisant du groupe le centre des conversations de tous les cercles punk une fois que le disque commença à faire parler de lui.

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Vingt ans plus tard, lorsqu’on écoute des morceaux comme « Worms of The Senses / Faculties of the Skull », « The Refused Party Program », et, allez, même le plus gros hit de l’album « New Noise », on se rend compte que tout tient la route. Tandis que la plupart des groupes qui abordent des thèmes ou manient des sonorités futuristes finissent par faire des disques datés, ce n’est pas le cas de The Shape of Punk to Come. Aussi évident que soit devenu un morceau comme « New Noise », avec des groupes comme Crazy Town, Anthrax, et The Used qui se sont fendus plus tard de reprises atroces du morceau, le titre conserve aujourd’hui son mordant. Ce moment où le chanteur Dennis Lyxzén lâche « Can I scream ? », au début du morceau, sonne toujours aussi décisif aujourd’hui.

C’est ce qui fait le charme de The Shape of Punk to Come aujourd’hui : même en sachant de quels tricks il retourne, ces derniers sonnent toujours naturels. Le morceau d’ouverture « Worms of the Senses / Faculties of the Skull » commence par un extrait parlé qui dit que les classiques passent tous de mode un jour, à l’image de tout le reste. Rétrospectivement, ce serait presque trop facile de se servir de cette phrase contre Refused. Car le fait qu’ils aient été aussi lucides par rapport à leur démarche nous indique que même la défiance était la bienvenue. Refused savait que si The Shape of Punk to Come remportait le succès espéré, le groupe serait toujours critiqué. Il l’acceptait sans sourciller, ça faisait même partie du plan. Mais pour que les gens s’arrêtent et tendent l'oreille, il fallait se sacrifier.

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En 1998, The Shape of Punk to Come était excitant, mais comme pour la plupart des groupes du même tonneau que Refused, ne devint pas un phénomène immédiatement. Refused galérait toujours sur la route, jouait dans des caves et des petits clubs à travers les États-Unis pour défendre le disque. En plein milieu de la tournée, le groupe se sépara en direct « sur scène », dans une cave de Virginie, tandis que les flics débarquaient pendant qu’ils jouaient, fort ironiquement, « Rather Be Dead ». Cette histoire se répandit aussi vite qu'ils avaient quitté les lieux. Rapidement, le téléphone arabe rendit le groupe bien plus gros qu’il ne l’était vraiment. Refused passa rapidement de groupe hardcore qui essaie de percer à un tout autre niveau. L’histoire du rock adore romancer les groupes qui ont explosé en vol, souvent même avant qu’ils n’atteignent la gloire. Pour ce qui est de Refused, le fait qu’ils aient splitté n’a fait que renforcer l’aura autour de The Shape of Punk to Come.

Les années suivantes, le disque devint une référence pour des artistes aux profils divers et variés. Que ce soit Frank Turner et son groupe hardcore Million Dead – un nom emprunté à des paroles de Refused – qui essayaient de reproduire ce son, Poison The Well qui enregistra un album avec les mêmes producteurs que The Shape of Punk to Come, Paramore qui inclut des paroles de Refused dans leur morceau « Born for This », ou Mike Shinoda de Linkin Park qui déclara : « Il n’y aurait jamais eu de Linkin Park sans Refused » (bon, ça nous fait une belle jambe), ce petit groupe suédois eut un impact sur à peu près n’importe quelle facette du rock de ces vingt dernières années. Bien sûr, on a également eu droit à des groupes comme United Nations qui offrirent une sorte de droit de réponse, en la personne du morceau « The Shape of Punk That Never Came ».

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Tous ces louanges et ces critiques mêlés témoignaient de l’empreinte laissée par The Shape of Punk to Come. Même s’il est aujourd’hui de bon ton de nier leur place au panthéon du genre, le visage du punk moderne serait radicalement différent sans Refused. Pendant plus d’une décennie, des groupes utilisèrent l’album comme point de référence, devenu synonyme d'un glissement idéologique au sein même du genre, ainsi qu'un argument pour défendre l'idée d'un punk et d'un hardcore progressistes et tournés vers l’avenir, un terrain de jeux aux multiples possibilités. Et bien qu’il soit ardu de trouver un groupe qui ait reproduit le son de Refused à l’identique, le fait qu’il soit devenu la base d’une nouvelle approche artistique parle de lui-même.

À bien des égards, Refused a correspondu à un moment charnière où une certaine époque du punk finissait et une autre arrivait. Alors que la qualité de The Shape of Punk to Come peut encore infiniment prêter à débat aujourd’hui, son importance est indéniable. Et puis si vous vous vouliez vous y frotter, c’est comme si Refused vous avait déjà battu à votre propre jeu. Sur « New Noise », Lyxzén indique que le groupe se trompe sur toute la ligne, qu'il n'est pas du tout le leader d’un quelconque mouvement nouveau. Peut-être est-ce une manière de se dédouaner avant l’heure, ou peut-être que Refused est à ce moment imperméable au retour de bâton avant même qu’il n’ait lieu, mais quelle qu’en soit la raison, cela n’a fait que corroborer la thèse que le punk était alors devenu affreusement prévisible. La hype, les haters, les débats sans fin, cela faisait partie intégrante d'une certaine scène ; Refused a fait en sorte de pouvoir se moquer de tous ces aspects-là.

C’est pourquoi, vingt ans plus tard, il est toujours aussi fascinant de disséquer The Shape of Punk to Come. Toutes les questions, les indices, et les réponses sont contenues dans ces 12 morceaux. Et même si le punk aurait bien évidemment évolué s’il n’y avait pas eu cet album, son existence est fondamentale. Et c’est peut-être, au final, la vraie beauté de la chose : The Shape of Punk to Come est toujours important, que vous l’aimiez ou non.

David Anthony est sur Twitter.

Cet article a d'abord été publié sur Noisey US.

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