En compagnie des femmes qui ne se sentent pas en sécurité dans la scène punk
Photo Marie-Ève Painchaud

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Culture

En compagnie des femmes qui ne se sentent pas en sécurité dans la scène punk

« Il faut ouvrir des discussions moins basées sur le fait que les femmes sont “trop intenses” quand on parle de ce qui ne va pas. »

Dans une communauté majoritairement masculine où les manifestations de sexisme et de machisme sont courantes, des femmes et des personnes non binaires de la scène punk se réunissent autour de Not Your Babe, une organisation pour rappeler l’importance des luttes féministes. Elles veulent ainsi créer une solidarité féminine. Pour y parvenir, ces militantes punks font la promotion de groupes de musique et d’activités, et organisent des ateliers sur l’apprentissage de compétences, le partage d’expérience ou des discussions sur des sujets féministes.

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Le festival Not Your Babe se déroulait au début mars, à l’aube de la Journée internationale des droits des femmes. L’événement a été créé il y a trois ans pour redonner la place aux femmes dans les milieux contre-culturels, dont la scène punk.

VICE Québec y est allé pour assister à un atelier intitulé « How to build a safer and more inclusive punk community? » (« Comment construire une communauté punk plus sécuritaire et inclusive? ») présenté au bar Les Katacombes. Le but de l’atelier : parler de la communauté punk que les femmes jugent insuffisamment sécuritaire.

Pendant près de deux heures, plus d’une vingtaine de personnes étaient assises sur les quelques bancs placés au centre du dancefloor, qui habituellement sert plutôt d’endroit de thrash ou de mosh pit. C’est entre autres dans cette salle que plusieurs femmes se sentent souvent mal à l’aise ou intimidées. Au cours de la discussion, l’une des deux animatrices de l’atelier, Annabelle, a révélé qu’elle doit régulièrement annuler la présence de bands à des spectacles à cause de membres accusés d’agressions sexuelles. Pour elle, c’est surtout là que se joue l’insécurité des femmes.

« Je ne connais pas beaucoup de femmes qui n’ont pas vécu de harcèlement… C’est sûr qu’elles n’ont pas toutes été agressées sexuellement, mais beaucoup de femmes trouvent que la scène n’est pas assez sécuritaire », a expliqué Annabelle à VICE après la tenue de l’atelier. « J’en connais qui ne veulent même pas aller dans les shows par peur de croiser leur agresseur », a-t-elle poursuivi.

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Au festival Not Your Babe, les femmes peuvent écrire directement à l’organisation si elles ne sont pas à l’aise qu’une personne en particulier soit présente. Elles demandent alors qu’elle n’y ait pas accès, et le festival corrobore immédiatement. Les organisatrices écrivent à la personne concernée pour lui dire qu’il ne vaut pas la peine qu’elle se présente au festival, et une équipe de sécurité est en poste pendant l’événement pour s’occuper précisément de ces cas.

Sur place, un numéro de téléphone qu’on peut composer en cas d’inconfort est affiché et des tracts sont apposés un peu partout sur les murs, rappelant notamment l’importance du consentement. La table de merch devient également un safe place pour que les personnes qui veulent faire part de leur malaise ou recevoir de l’aide.

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Durant l’atelier, certaines femmes ont raconté qu’il leur arrive fréquemment de subir des attouchements sexuels durant un spectacle, en plus de recevoir des commentaires déplacés dans les partys ou les aftershows.

D’autres femmes de la scène à qui nous avons parlé à l’extérieur de l’événement, dont Kate et Virginie Grégoire, respectivement membre et ancienne membre de The Horny Bitches, croient que la scène punk est assez sécuritaire, mais précisent qu’elles ont vécu beaucoup de choses désagréables.

« Il y a une certaine unité dans la scène punk, on se watche entre nous, explique Virginie Grégoire, bookeuse depuis plus de 20 ans, dont 10 avec l’agence de spectacles punk La Show Box. Je me suis jamais sentie assez menacée au point de demander de l’aide. Je pense que c’est parce que le monde me connaît depuis assez longtemps. Si j’arrivais dans un endroit où je connais personne, est-ce que je me sentirais autant en sécurité? Peut-être que non. »

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Présentement en tournée aux États-Unis, Virginie Grégoire, qui est aussi l’ex-chanteuse du groupe punk féminin The Horny Bitches, avoue qu’elle s’est fait droguée deux fois au GHB, dont une fois lorsqu’elle était directement sur scène. Elle raconte aussi s'être souvent fait harceler avec les membres de son ancien groupe : « En tant que band de filles, ça nous est souvent arrivé de se faire challenger par des gars qui étaient peut-être machos, raconte Virginie. On essayait de me narguer, on gossait avec ma guitare pendant que je jouais. Si j’étais un homme, je ne pense pas que ce serait arrivé. »

« Il ne faut pas s’arrêter à cibler la scène punk, c’est partout, ajoute Kate, la guitariste des Horny Bitches. C’est dans le parking quand je finis de travailler pis que je me fais grabber le cul par un gars qui l’échappe. » Pour elle, l’insécurité que vivent les femmes se ressent partout dans la société.

De son côté, Marie-Michèle, bénévole de Not Your Babe qui fréquente la scène punk depuis le milieu des années 90, nous confie qu’elle ne se rend jamais seule à un événement. La semaine dernière, elle a d’ailleurs été victime d’une altercation. Elle s’est fait harceler par un homme tout au long d’un party après un spectacle. Il a finalement été mis à la porte. Marie-Michèle rapporte qu’une réunion spéciale a été organisée par les personnes présentes lors de l'altercation afin de discuter de cet événement. C’est de cette solidarité que parlent certaines punks, qui se ressent de plus en plus dans la scène.

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Des initiatives comme le festival Not Your Babe sont déjà des actions concrètes pour aider à rendre la scène punk sécuritaire, mais la plupart des personnes que nous avons interviewées croient que les hommes doivent prendre conscience de certaines choses. On imagine que ceux qui sont forcés de prendre la porte après des incidents malencontreux réfléchiront davantage.

Dahlie, qui animait également l’atelier How to build a safer and more inclusive punk community?, pense que l’insécurité dans la scène punk n’est pas une nouvelle réalité au sein de la scène, mais que les gens en parlent de plus en plus. « Il faut ouvrir des discussions moins basées sur le fait que les femmes sont “trop intenses” quand on parle de ce qui ne va pas, déplore-t-elle. On a beaucoup de chemin à faire, mais je vois que les mentalités changent beaucoup. »

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« Il y a plusieurs personnes qui ne comprennent pas encore la notion de consentement, mais il y a aussi de plus en plus de personnes qui se font call out », explique la femme qui croit que la meilleure solution est d’intervenir lorsqu’un incident arrive.

De plus, elle affirme qu’il existe aussi des organismes afin de faire bouger les choses. Par exemple, PLURI (Peace, Love, Unity, Respect Initiative) tente de « réduire la marginalisation et le harcèlement sur les dancefloors en offrant un service d’intervention et des bénévoles sur le terrain ». Dahlie croit que cet organisme pourrait peut-être donner des idées pour la scène punk. Il y a donc une lumière au bout du tunnel et certaines solutions s’offrent aux femmes qui ne sentent pas en sécurité dans la communauté punk.

Samuel Daigle-Garneau est sur internet ici et .