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Le gin Ungava se repositionne à la suite d’accusations d’appropriation culturelle

En fin de compte, déguiser des filles blanches en Inuites sexys, ce n'est peut-être pas l'idée du siècle.
Deux jeunes filles vêtues de parkas pas très efficaces contre les intempéries. Photo : Facebook Ungava

L'entreprise derrière le gin québécois Ungava a annoncé cette semaine qu'elle comptait revoir sa stratégie marketing en réponse aux critiques qui l'accusent de s'approprier la culture inuite sans vraiment la connaître.

« Nous engagerons prochainement des spécialistes de la culture inuite pour recueillir des commentaires et des conseils sur notre utilisation de la symbologie de cette culture », annonce par communiqué le président et fondateur de Domaine Pinnacle, Charles Crawford. « Ainsi, nous sommes engagés [sic] à être plus soucieux et sensibles de la culture inuite [resic] dans nos activités publicitaires à l'avenir. »

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Plusieurs présumés spécialistes de la culture inuite se sont pourtant déjà prononcés : depuis la semaine dernière, un groupe d'artistes, de journalistes et d'internautes inuits ont partagé sur internet une liste assez exhaustive des faux pas de l'entreprise.

Dans leur mire, une série de photos de jeunes femmes (légèrement) vêtues de parkas et l'utilisation de petits bonshommes représentant des caricatures inuites. Dès jeudi matin, une cinquantaine des images en question avaient été retirées de la page Facebook d'Ungava.

« Ils traitent les Inuits comme des personnages de dessins animés, comme s'ils n'étaient pas vrais », ditHeather Igloliorte, une Inuite originaire de Nunatsiavut, au Labrador, qui enseigne l'histoire de l'art à l'Université Concordia. « Les vidéos, les images, c'est comme si les Inuits étaient des mascottes, des Oompa Loompas. »

Les critiques ajoutent qu'Ungava se sert de symboles autochtones pour vendre un produit qui n'a pas de liens concrets avec la communauté.

Dans son communiqué, Crawford soutient que les images supprimées provenaient d'une campagne publicitaire européenne datant de 2013. « Nous reconnaissons que la campagne franchissait une limite importante et qu'elle ait pu offenser plusieurs personnes. Nous sommes profondément désolés et nous engageons à continuellement nous améliorer », écrit-il.

En entrevue avec VICE, Stéphane Hamel, le directeur de marketing de Domaine Pinnacle, ajoute que la petite entreprise a été foudroyée par les accusations.

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« Les échos qu'on a toujours eus de la communauté inuite étaient qu'ils étaient fiers que le gin s'appelle Ungava, dit-il. Ça n'a jamais été notre intention d'instrumentaliser les Inuits là-dedans. »

La professeure Heather Igloliorte s'étonne du manque de sensibilité culturelle de l'entreprise, mais reconnaît qu'elle a rapidement offert ses excuses.

« C'est bien qu'ils aient retiré les images et les vidéos, dit-elle. Mais ils sont assez vagues dans leurs promesses. Il faudra surveiller leur prochaine campagne publicitaire de très près. »

L'artiste montréalais Stephen Puskas souligne que l'utilisation non autorisée de symboles identitaires autochtones enfreint l'article 31 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui accorde aux peuples autochtones « le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles ».

Puskas somme Ottawa d'agir dans le dossier. « Comment le gouvernement fédéral planifie-t-il gérer des scénarios semblables dans le futur? Au Canada, il y a une industrie foisonnante de compagnies non autochtones qui exploitent l'identité indigène. »

En Colombie-Britannique, le distillateur de vodka Totem a réagi à des accusations semblables d'appropriation culturelle en retirant son produit des rayons. L'entreprise, qui admet avoir emprunté des symboles autochtones sans avoir consulté ni embauché un seul membre d'une communauté des Premières Nations, a depuis remplacé son site web par une foire aux questions autoflagellante.

La microdistillerie Ungava, qui partage son nom avec une péninsule du Nunavik, est détenue par Domaine Pinnacle, un producteur québécois récemment acheté par la société ontarienne Corby Spirit and Wine Ltd. Le gin doré est le joyau de l'entreprise, ayant remporté plusieurs prix prestigieux.

Depuis son lancement en 2010, Ungava n'a cessé de vanter ses supposées origines nunavimmiutes : « Ungava Premium Dry Gin voit le jour à la frontière de la toundra et de la banquise, entre terre et glace. » Les producteurs se targuent d'offrir un alcool « aux herbes indigènes » qui donne un goût du Grand Nord québécois. Les ingrédients aromatiques, selon leur site, seraient cueillis à la main dans les « vastes toundras nordiques » et infusés en utilisant des méthodes traditionnelles.

« Voici une compagnie qui doit une grande part de son succès à son utilisation de remèdes et d'herbes inuites, qui utilise la langue, l'image et la musique inuite, dit Igloliorte. Il serait peut-être temps qu'ils réfléchissent à comment ils peuvent contribuer à la communauté. » Embaucher des artistes inuits pour collaborer à sa prochaine campagne publicitaire serait un bon début, croit-elle.

Selon son directeur de marketing, l'entreprise compte changer son approche, en commençant par le lancement d'un nouveau site qui sera plus axé sur la préparation de cocktails. « Il faut s'assumer, c'est notre marque, nos affaires, affirme Stéphane Hamel. On réalise qu'en grossissant, on doit faire les choses comme il faut. »