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Société

Tondre les femmes pour les humilier

Survol historique d’une pratique qui vise « à rappeler aux femmes leur place dans la société ».
Bundesarchiv, Bild 146-1971-041-10 / CC-BY-SA 3.0 [CC BY-SA 3.0 de (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/de/deed.en)], via Wikimedia Commons

Les tondues les plus célèbres sont certainement les Françaises accusées d’avoir collaboré à l’horizontale avec les Allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais la Bible évoquait déjà cette punition humiliante et le Moyen Âge la jugeait parfaitement convenable pour les femmes adultères.

Dans la Première épître aux Corinthiens, un livre du Nouveau Testament, il est écrit que « toute femme qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef : c'est comme si elle était rasée. Car si une femme n'est pas voilée, qu'elle se coupe aussi les cheveux. Or, s'il est honteux pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou d'être rasée, qu'elle se voile. L'homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu'il est l'image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l'homme. »

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Le Dictionnaire de l’amour et de l’érotisme rapporte que pendant l’Antiquité, les femmes adultères avaient le pubis épilé à la cire brûlante, ainsi que l’anus, dans lequel on introduisait un radis noir. L’essai de Jean Feixas et Emmanuel Pierrat sur la pilosité féminine, Les Petits Cheveux, paru en 2017, ajoute que les sorcières, lors de l’Inquisition, se faisaient raser le sexe, « pour, officiellement, rechercher la marque du diable, mais aussi et surtout pour annihiler les pouvoirs qu’elles détenaient de leurs poils ». Sans poils pubiens, les chasseurs de démons de l’Inquisition étaient persuadés que les sorcières se sentiraient obligées d’avouer tous leurs péchés et commerces démoniaques. Tondre les femmes permettait ainsi de dévoiler leur indignité et de s’attaquer, consciemment ou pas, directement à leur sexualité.

Adultère : se sauver de la décapitation, mais pas de la tonte

Lorsque la tête est rasée, c’est parfois parce que la pudeur et un semblant de civisme empêchent de tondre le pubis. Cette partie reste atteinte symboliquement, car les cheveux représentent aussi la féminité. Au Moyen Âge, les brus du roi Philippe le Bel en ont fait l’expérience. Les trois fils du roi, Louis X le Hutin, Philippe V le Long et Charles IV le Bel ont épousé trois princesses d’un naturel charmeur et joyeux. Des soupçons d’infidélité s’annoncent rapidement, mais c’est lors de la visite du roi d’Angleterre II et de sa femme Isabelle, la fille unique de Philippe le Bel, en 1314, que les accusations deviennent bien réelles. Isabelle remarque que deux chevaliers portent des aumônières qui ressemblent à celles qu’elle avait précédemment données à ses belles-sœurs Marguerite et Blanche. Sous la torture, les deux chevaliers confirment la tromperie. Ils sont émasculés, du plomb en ébullition est épandu sur leur corps, et ils sont finalement décapités. Les brus de Philippe le Bel sont tondues, puis emprisonnées. La légende veut qu’en 1315, à la suite de la mort de Philippe le Bel, Louis X, qui lui succède sur le trône, a fait tuer son épouse Marguerite, toujours au cachot. L’assassin aurait étranglé Marguerite avec ses cheveux, qui avaient repoussé.

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Alfred de Musset : poète et complice d’un grossier châtiment

La destruction symbolique des désirs féminins est aussi au cœur d’un complot contre Félicité-Denise Moke, une pianiste renommée. Dans Les Petits Cheveux, il est mentionné que, depuis des fiançailles rompues avec le compositeur Berlioz et son divorce de Camille Pleyel en 1836, la pianiste vivait une vie libre et fougueuse. Elle avait entre autres séduit Chopin, Liszt et l’écrivain Alfred de Musset. Le meilleur ami de Musset, Alfred Tattet, avait tenté d’entrer en relation avec elle, mais il avait été repoussé. Troublé et frustré de ne pas pouvoir balancer son foutre dans le sexe d’une artiste qui donnait du plaisir seulement à ceux qu’elle voulait, il avait décidé d’un châtiment pour la contrarier. En 1840, il a attiré Félicité-Denise Moke dans une maison qui appartenait à Musset, complice. Les deux hommes l’ont ensuite ligotée au lit et déshabillée, puis ils ont rasé son sexe. Jaloux et grossiers, ils s’assuraient ainsi de l’humilier assez pour ne pas qu’elle ose se dénuder devant un autre homme.

La tonte au vingtième siècle pour punir les corps occupés par l’ennemi

La tonte redevient une punition remarquée au vingtième siècle, reprise sous l’Allemagne de Weimar, au début des années 20, après la Première Guerre mondiale. Alors que le territoire allemand est partiellement occupé par des troupes françaises et belges, les Allemandes nouant des liens avec les ennemis sont alors tondues en public. La pratique est réinventée ensuite par les phalangistes espagnols au début de la guerre civile en Espagne, en 1936. Les femmes rattachées au camp républicain sont retirées de leur demeure, puis tondues, comme acte de purification mené rituellement par les nationalistes. Afin de rendre leur prétendue laideur morale encore plus visible, les phalangistes leur donnent à boire un breuvage purgatif, afin qu’elles se vident de toute « pourriture marxiste » et les font parader, plus ou moins dénudées et souillées, dans les rues.

Lors de la Deuxième Guerre mondiale, au moins 20 000 femmes françaises, accusées d’avoir eu des relations sexuelles ou d’avoir travaillé avec des Allemands, par exemple en lavant leurs vêtements, souvent en échange de nourriture ou de vêtements, sont perçues comme des traîtres. L’historienne Julie Desmarais évoque en 2006, dans un entretien avec le Fil, un journal de l’Université Laval, le devoir des femmes de faire prospérer la nation, sans avoir de contact avec un étranger qui encouragerait l’envahissement du ventre et du territoire, et de la sauver. « Qu’on pense à la Marianne, symbole de la République et de la liberté. Celles qui ont dérogé à la règle sont punies. Sans compter que les femmes ont dévié de leurs rôles traditionnels en allant travailler à l’usine, en devenant chefs de famille et en obtenant le droit de vote en 1944. La tonte permet de rétablir l’équilibre de l’avant-guerre, lorsque les identités attribuées aux hommes et aux femmes étaient clairement définies », ajoute Julie Desmarais.

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En Belgique, en Italie, en Norvège, ainsi qu’aux Pays-Bas et au Danemark, mais dans une moindre mesure, après la Deuxième Guerre mondiale, la tonte des femmes est suivie d’une exhibition, comme en France, où les tondues se promènent en cortège à travers leur ville d’expiation. La foule est invitée à insulter les « poules à Boches », dont le corps est souvent recouvert de croix gammées au goudron ou au rouge à lèvres.

Se réapproprier le corps des femmes pour regagner la fierté d’une nation

Les rumeurs publiques permettent de viser les femmes aux mœurs légères ou vues comme ayant échappé aux sacrifices auxquels d’autres Français ont dû se soumettre, que les actes d’accusation soient véridiques ou non. L’historien Fabrici Virgili rappelle en 1995, dans un résumé de sa thèse de doctorat sur les tondues à la libération, que « morale et politique se confondent alors pour déposséder les femmes de leur propre corps », afin que ces femmes perdent tout pouvoir de séduction et que la tonte, comme une mesure à la fois hygiénique et territoriale, permette à la nation, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, de se réapproprier le corps des femmes et le corps de la nation souillée.

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Dans le livre Femmes tondues : la diabolisation de la femme en 1944, Dominique François va même jusqu’à montrer que la tonte des femmes avait aussi pour but de redonner aux hommes leur virilité, eux qui, déroutés par leur « échec à protéger la patrie féminine », ont besoin d’une « compensation ».

En 2004, en Inde, le Sangh Parivar, un groupe radical hindou, a aussi utilisé la tonte pour sanctionner des femmes. Sept femmes provenant de familles converties au christianisme, dans le village de Kilipala, se sont fait raser de force, après que leurs maisons, pendant quatre jours, ont été assaillies et occupées par trente-cinq hommes du groupe radical. Le jésuite Cédric Prakash, dans une entrevue d’abord publiée par Le Monde, a rappelé que la minorité chrétienne défend souvent les droits des femmes et des castes inférieures en Inde, insinuant ainsi que la tonte a comme objet de brimer toute autonomie : « Ce n’est pas le fait de parler de Jésus-Christ qui heurte ce pays. C’est celui de faire bouger la société. » En Inde ou en France, lorsqu’une pianiste ou des femmes sous occupation choisissent elles-mêmes leurs amants, la tonte est une punition visant à rappeler aux femmes leur place dans la société et la soumission qui leur est exigée.