Essaie Pas se dissocie du dancefloor avec sa nouvelle pièce
Photo par Kasia Zacharko

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Culture

Essaie Pas se dissocie du dancefloor avec sa nouvelle pièce

Si l’album New Path du duo montréalais est en partie inspiré de l’ambiance paranoïaque du livre A Scanner Darkly de Philip K. Dick, la pièce Complet brouillé évoque quant à elle un abandon hallucinatoire.

Cet article a initialement été publié par Noisey.

Essaie pas ont enregistré leur plus récent album dans un immeuble de bureaux vide, un détail qui semble à la fois peu discuté et trop mis de l’avant. Il est vrai que l’esprit du lieu d’enregistrement ne s’immisce pas toujours dans la musique elle-même. Mais il y a quelque chose dans la musique que Marie Davidson et Pierre Guerineau ont faite au fil des années qui semble à sa place dans le contexte d’un isolement capitaliste contemporain et de longues nuits passées dans les entrailles de cette machine qui crache tous nos problèmes modernes.

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Même si leurs amis du Festival Phénomena avec qui ils partageaient leur chambre dans l’édifice sont sans doute très sympathiques, il est impossible de faire abstraction du symbolisme dystopique dans les sombres mutations de techno, d’EBM et de goth-pop qui se trouvent au cœur de leur musique, en particulier sur leur premier album sous étiquette DFA Demain est une autre nuit. On les imagine presque comme des comptables sur un dancefloor, tentant d’équilibrer un budget pour chercher à comprendre comment cette spirale destructrice a pu commencer.

Le 16 mars, le duo remettra ce thème d’autant plus à l’avant avec la parution de son nouvel album New Path. Inspiré en partie du roman hallucinatoire A Scanner Darkly de Philip K. Dick, il brosse un portrait sombre de la dépendance, de la perte d’êtres chers et du déclin post-millénaire à travers leur mouture particulièrement sombre de musique électronique. L’album s’avère par moments poignant, voltigeant à travers des reliques électroniques et des séquences de synthé fluorescentes, et se réfugiant dans l’ombre pour échapper à la lourdeur environnante. Sur des pièces comme Complet brouillé, en première écoute ci-dessous, le groupe superpose des slogans désorientants et déprimants ( I don’t expect to live long – Je ne m’attends pas à vivre longtemps) sur des arrangements mécaniques et industriels, situant la cause de notre panique post-moderne dans l’étreinte froide du progrès technologique.

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Mais l’aspect le plus joyeux de l’album est peut-être justement son absence totale de joie. Même dans les moments les plus amers du disque, il y a néanmoins un mouvement qui tente de repousser les aspects de la vie moderne qui nous alourdissent. Puisque ce n’est pas nécessairement une leçon qu’on tirerait du livre de Philip K. Dick, accordons à Essaie Pas le pouvoir de nous faire voir qu’il est toujours possible d’avancer malgré tout. En vue de la sortie de l’album, le duo a pris le temps de répondre par courriel à quelques questions à propos de la période sombre qui a influencé l’album et de la manière par laquelle leur musique a pu les aider à la traverser.

Vous avez dit que cet album est en partie inspiré du livre A Scanner Darkly . Que cherchez-vous à dire sur le monde dans lequel nous vivons en faisant écho à ce roman? L’album peut paraître très tendu et paranoïaque – est-ce ainsi que vous appréhendez le monde qui vous entoure?

Marie Davidson : La tension et la paranoïa sont présentes dans le monde dans lequel nous vivons. Je n’aime pas particulièrement le monde qui m’entoure, et si faire un album inspiré d’un livre dystopique peut être vu comme une critique de la société, c’est que ça l’est, d’une certaine manière. Ce livre est encore très pertinent aujourd’hui (qu’on pense à la guerre contre les drogues, à la surveillance et à la maladie mentale), mais l’objectif était aussi de rendre hommage à A Scanner Darkly, parce que c’est un très bon roman.

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Pierre Guerineau : Nous étions également attirés par l’idée de baser un album sur l’œuvre de fiction de quelqu’un d’autre plutôt que sur nos propres vies, comme nous l’avons fait pour nos albums précédents. Mais tout compte fait, je me suis rendu compte que le résultat était le même! Qu’il s’agisse d’interpréter une œuvre de fiction ou de romancer ses propres expériences, l’ironie, c’est qu’en fin de compte, ça doit avoir une forte résonance avec soi pour avoir une portée universelle. J’ai découvert PKD avec A Scanner Darkly quand j’étais adolescent. Mais il y a deux ans, Marie lisait le roman, et c’est en discutant du livre que l’idée de l’album est née. Mais plutôt que de le relire, j’ai décidé de composer à partir des impressions que j’en avais en tant que lecteur âgé de 15 ans. Étrangement, l’histoire était un mélange de vagues souvenirs d’adolescents et de notre réalité sociopolitique contemporaine. Ça m’a fait réaliser combien le roman demeure touchant et tragiquement prescient.

Le communiqué de presse mentionne que l’album parle de dépendance, de la perte d’êtres chers et de la vitesse des médias de masse. Je suis curieux de savoir comment vous abordez ces choses dans vos vies personnelles. Avez-vous des moyens pour échapper à la lourdeur? Comment faites-vous pour créer un album comme celui-là sans vous enliser dans les sentiments que vous tentez de déterrer?

Davidson : Si on a fait un album à propos de sujets aussi lourds, c’est qu’évidemment on se retrouve là-dedans. Je suis une ex-utilisatrice de drogues diverses, et beaucoup de mes amis, certains membres de ma famille (pas mes parents, heureusement) et des gens avec qui je travaille ont des problèmes de dépendance. C’est encore un défi pour moi d’éviter certains comportements autodestructeurs, et la musique est une approche que j’ai choisie pour aborder cet aspect de mon corps, de ma psyché et de mon historique de manière positive. Je pourrais aussi dire que le monde est merdique et que je fais de la musique sombre parce que je ressens de la douleur, mais ça serait plutôt ennuyant. En fait, on a eu beaucoup de plaisir à faire cet album, on s’est amusés et on a beaucoup ri en studio, et c’est à peu près pareil quand on fait des spectacles.

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Guerineau : Il n’y a pas de mode d’emploi ou de raccourci pour gérer des réalités aussi lourdes, mais puisqu’elles sont enracinées dans la nature humaine, le moins qu’on puisse faire, c’est de les reconnaître. On doit accepter et extérioriser les émotions qu’elles provoquent, aussi éprouvantes puissent-elles être : la peur, la tristesse, la colère, la dépression, etc. L’art et la communication sont des outils puissants pour traiter avec l’obscurité. C’est, je crois, le seul moyen de commencer à faire place à plus de lumière dans sa vie.

Il y a presque une ouverture ou un optimisme latents dans l’album, ou du moins cette idée de bouger malgré le négatif.

Davidson : Je suppose que pour moi, c’est une question de guérison. Il n’y a pas beaucoup d’espoir dans le roman de K. Dick, mais j’arrive à être optimiste dans la vie courante. On se sent chanceux de pouvoir être ensemble et faire de la musique, de voyager, de faire des spectacles et de faire danser les gens. Si je peux aider les gens à se sentir bien pendant ne serait-ce qu’une heure, alors je suis heureuse, je peux rentrer chez moi et sentir que ma vie a une valeur. La musique, c’est de l’information. Pour moi, c’est une langue en soi, une langue libre. De nos jours, presque n’importe qui peut y avoir accès avec internet. Elle représente une force contre l’ignorance. Si on arrive à toucher quelqu’un et lui donner envie de lire le livre, alors on sentira qu’on a fait un album positif.

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Guerineau : Aussi sombre le roman puisse-t-il être, certaines scènes et certains dialogues sont en fait très drôles. Le chapitre sur la tentative de suicide est pour moi un cas exemplaire d’humour noir. Mais sur cet album-là, on ne se prend pas trop au sérieux. Il était important pour nous que ça reste séduisant et amusant à jouer en spectacle. Et au final, au-delà des concepts et des références politiques, c’est toujours l’émotion qui compte.

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Nous diffusons Complet brouillé en première écoute avec cet article. Comment la pièce s’intègre-t-elle aux thèmes plus généraux de l’album?

Davidson : Complet Brouillé parle de la perspective de Donna sur la consommation de drogues dans le livre de K. Dick. Cette pièce est aussi inspirée des effets des drogues dissociatives, qui altèrent la perception visuelle et auditive et entraînent un effet de détachement vis-à-vis de l’environnement et de soi.

Guerineau : C’est une de mes pièces préférées sur l’album. L’idée nous est venue à 5 h du matin sur une piste de danse. On voulait faire une pièce à la fois psychédélique et sexy qui jouerait avec la perception. On a trouvé un bon groove, puis on a enregistré des tonnes d’échantillons pour garder la pièce constamment imprévisible et stimulante. Le titre fait référence au complet qui change constamment et que porte Bob Arctor dans le roman, et qui d’ailleurs pourrait être vu aujourd’hui comme une première technologie contre la reconnaissance faciale.

Le nouvel album d’Essaie pas New Path paraîtra le 16 mars sur DFA, mais vous pouvez le précommander dès maintenant.

Colin Joyce écrit pour Noisey et s’adonne à la paranoïa à grande vitesse sur Twitter.