Des antifas avaient prévu d’affronter La Meute à Québec. Ils se sont butés à la police
Crédit : Matt Joycey

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La Meute

Des antifas avaient prévu d’affronter La Meute à Québec. Ils se sont butés à la police

Les membres de La Meute se sont isolés dans un garage souterrain le temps que la tempête passe.

Dimanche matin, je me suis rendu à Québec avec quatre militants antifascistes qui comptaient manifester contre La Meute. Le groupe ultranationaliste identitaire y organisait une marche contre l'accueil des milliers de demandeurs d'asile, principalement haïtiens, arrivés au Québec depuis les États-Unis dans les derniers mois. Je voulais mieux comprendre ceux qu'on appelle les antifas.

Dans la voiture, on m'a assuré que j'assisterais à une grande confrontation. « Le but, c'est de barrer le chemin au trajet de La Meute, me dit l'un d'entre eux. On ne veut pas qu'ils marchent, point. Pour nous, les nazis, c'est l'ennemi juré à abattre. Il faut qu'ils sachent que, peu importe où ils se trouvent, ils n'auront pas la paix. »

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En route vers Québec, les quatre militants se préparaient des protège-bras en mousse pour éviter les blessures lors d'éventuelles altercations. Leurs seules armes, me disaient-ils, ce sont des drapeaux. Mais ils ne seront cependant pas gênés de s'en servir : pour eux, la violence est un outil comme un autre.

« Il n'y a pas de négociation avec les nazis et les fascistes, m'explique une autre militante, masquée dès mon arrivée dans la voiture. C'est inacceptable. Les antifas et le black bloc, on est là pour protéger la manif. »

Arrivés à Québec, ils ont cependant constaté que l'affrontement avec l'extrême droite attendrait. Les antifas ne se buteraient qu'à la police. La Meute et ses supporters resteraient à l'écart jusqu'à ce que les militants antifas soient rentrés dans leurs terres.

Crédit : Jacques Boissinot/La Presse Canadienne

Les membres de La Meute étaient rassemblés dans le stationnement souterrain de l'édifice Marie-Guyart, à quelques mètres du Parlement. Le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) leur avait conseillé ce lieu circonscrit pour assurer leur sécurité en cas de casse.

Les quatre antifas avec lesquels j'étais arrivé devait aller rejoindre des « camarades » de Québec et de Saguenay dans la Basse-Ville. À ce moment, on n'avait toujours aucune idée du nombre de manifestants antifascistes sur le terrain.

Le groupe habillé en noir (avec un soupçon de rouge pour les communistes) s'est dirigé vers la Place d'Youville où avait lieu la manifestation contre le racisme et La Meute organisée par des groupes communautaires. Juste avant d'arriver, tous les antifas se sont masqués, ont sorti les bannières et se sont mis à crier : « Alerta, alerta, antifascista! »

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Trois autobus d'antifas de Montréal étaient au point de rendez-vous de La Meute, décidés à faire dérailler leur itinéraire. Mes compagnons de covoiturage ont été informés par téléphone que l'escouade antiémeute les encerclait.

« Je ne suis pas déçue que finalement ce ne soit qu'un affrontement entre les antifas et la police. La police est au service des fascistes. »

Les groupes antifascistes ont rapidement donné le ton à la marche. Les premiers pas avaient été familiaux et festifs; elle s'est transformée en affrontement contre les policiers. Même si la manifestation citoyenne contre le racisme avait fourni un itinéraire à la police, elle a de suite été déclarée illégale par le SPVQ.

Les antifas ont utilisé la tactique black bloc : ils ont lancé des projectiles et de la pyrotechnie à la police, qui a répliqué avec du poivre de Cayenne. Certains antifas avaient eux aussi des bombonnes de gaz poivré. Ils ont marché sur la Grande-Allée, bondée de touristes en ce dimanche ensoleillé, et lancé des poubelles et des chaises de terrasse aux policiers.

Un manifestant antifa a fracassé la caméra d'un journaliste du réseau Global et quelques individus soupçonnés d'être des « collabos » de La Meute ont été sauvagement attaqués à coups de poing et aspergés de peinture noire et de poivre par les antifas.

Crédit : Matt Joycey

« Je ne suis pas déçue que finalement ce ne soit qu'un affrontement entre les antifas et la police, me dit une manifestante. La police est au service des fascistes. Mais c'est certain que c'est plate parce que je suis venue à Québec pour empêcher La Meute et les discours racistes de pouvoir circuler librement dans les rues. »

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On n'avait alors toujours pas croisé le groupe ultranationaliste, confiné dans son parking. On a eu écho qu'ils étaient plusieurs centaines dans un espace sans ventilation à attendre que ça se calme à l'extérieur. S'ils étaient sortis au début de l'après-midi, les environs du Parlement se seraient sans doute transformés en champ de bataille.

Pendant deux heures, l'escouade antiémeute a contrôlé les manifestants gonflés à bloc. La foule criait des slogans et insultait les policiers. Le militant de longue date Jaggi Singh a été arrêté pour manifestation illégale et entrave au travail des policiers. Moins d'une heure plus tard, il était libéré sans aucune charges.

« On ne veut pas se faire envahir par les immigrants. On ne veut pas qu'ils s'installent avec leurs lois et qu'ils nous enlèvent notre culture, nos crucifix, nos arbres de Noël. On veut garder nos droits fondamentaux. »

J'ai alors croisé Stéphanie Fortin, une femme dans la quarantaine, venue expressément de Shawinigan pour manifester avec La Meute. Elle est arrivée un peu trop tard et n'a jamais pu rejoindre les autres membres du groupe dans le stationnement, car la police ne laissait entrer personne.

À l'extérieur, tous les manifestants criaient des injures aux retardataires comme elle. « C'est humiliant de se faire traiter de raciste, me dit Stéphanie. On ne veut pas se faire envahir par les immigrants. On ne veut pas qu'ils s'installent avec leurs lois et qu'ils nous enlèvent notre culture, nos crucifix, nos arbres de Noël. On veut garder nos droits fondamentaux. »

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Les autres membres de La Meute ont finalement dû attendre plus de quatre heures avant de pouvoir mettre le nez dehors.

Trois heures plus tard, la contre-manifestation s'est terminée abruptement. À coups de boucliers et de jets de poivre de Cayenne, la police s'est décidée à repousser les manifestants antifas vers le boulevard René-Lévesque. Ils n'étaient plus que quelques dizaines. C'est à ce moment que j'ai perdu mes « camarades » de covoiturage.

Deux heures plus tard, après concertations avec le SPVQ, les membres de La Meute sont finalement sortis de leur tanière. Venus des quatre coins du Québec pour exprimer leur colère, ils étaient quelques centaines à marcher, silencieusement, dans les rues de Québec, avec leurs drapeaux noirs ornés d'une patte de loup blanche, le symbole de La Meute. Leur propre service de sécurité, aux couleurs du groupe, les escortait et empêchait quiconque de s'approcher du cortège.

Le co-fondateur de La Meute, Patrick Beaudry (au centre). Crédit : Matt Joycey

La plupart des membres de La Meute étaient aussi habillés en noir. Leur porte-parole, Sylvain Brouillette, menait le bal et semblait très fier d'enfin prendre la rue. « On est des militants pour la liberté d'expression. Mais quand on commence à tout casser, comme l'ont fait les antifas, on devient des criminels. Le groupe qui nous oppose nous traite de racistes, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent. De toute évidence, ils sont manipulés par des groupes assez puissants. Leur violence sert notre cause. Nous sommes pacifiques et on veut juste avoir le droit de s'exprimer. »

La courte marche s'est déroulée dans le calme et s'est terminée devant le fameux stationnement où ils avaient été enfermés toute la journée. Au même endroit où, quelques heures plus tôt, les contre-manifestants affrontaient les forces de l'ordre pour aller à la rencontre les militants de La Meute.

Il était 19 heures et la majorité des antifas avaient quitté la ville en autobus depuis un bon moment.

Simon Coutu est sur Twitter.