J’ai essayé de comprendre la mode avec un groupe d’adolescentes
Marie-Ève Venne

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Mode

J’ai essayé de comprendre la mode avec un groupe d’adolescentes

J’ai pris un coup de vieux par la même occasion.

Dans mon groupe d'amis, je suis la fille qui s'habille majoritairement tout en noir, sinon je porte une tenue vaguement bohème qui me donne l'impression d'être une version du personnage de Jessa dans la série télé Girls. Je ne sais absolument pas comment mélanger les différents prints et couleurs. Au fond de moi, je suis soulagée de ne plus avoir à me fournir entièrement chez Forever 21. J'ai abandonné l'idée d'acheter quoi que ce soit dans leur boutique le jour où j'ai vécu une semi-crise existentielle dans une de leur cabine en essayant de comprendre comment je devais porter un de leurs jeans déchirés. Curieuse de savoir qui sont ces gens qui achètent ces vêtements (et qui savent les porter), j'ai décidé de passer l'après-midi à magasiner avec un groupe d'adolescentes. Âgées toutes trois de 14 ans, Léanne, Alison et Erika ont gentiment accepté que je les suive pendant un après-midi afin de les observer de manière pas trop creep. La première chose que je remarque en rejoignant mon groupe d'expertes pour la journée, c'est à quel point leur style est différent du mien à leur âge. Autant mes tenues les plus mémorables méritaient amplement d'être effacées de mon MySpace et profil MSN à tout jamais (je m'assure fidèlement chaque mois que rien n'a ressurgi sur les internets), autant ce qu'elles portent ressemble à une parfaite annonce de pub de la boutique Garage.

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On entre dans le premier magasin et leur excitation initiale disparaît rapidement face à la majorité de vêtements fluos et multicolores donnant l'impression de sortir de la garde-robe de la distribution complète de Degrassi High. « OK, ça c'est juste vraiment laid », dit Alison en agrippant un chandail rappelant vaguement une glace napolitaine. Les autres partent à rire et hochent la tête en signe d'approbation. « C'est aussi plus facile de dire que les choses sont laides qu'elles sont belles », tient à préciser Erika. « Sérieux, les filles, on change de place, il y a juste rien ici », s'impatiente Léanne. En se dirigeant vers la sortie, je repère une camisole grise en coton avec l'inscription Sun, Sand and Summer Feelings That Last Forever et je ne peux pas m'empêcher de leur demander leur opinion sur ce type de vêtement avec des phrases un peu vides de sens. « Moi, ça m'énerve. Tu vois un super beau chandail, tu le tournes et c'est écrit de quoi du genre I love tacos », réponds Alison avec un air découragé. J'insiste encore un peu en leur demandant si elles porteraient un t-shirt avec l'inscription Unicorns Are Real, mais j'ai rapidement droit à une réponse négative et trois têtes qui me regardent avec un air semi-dégoûté. Les filles m'expliquent que la grosse tendance en ce moment, c'est n'importe quoi en jeans et déchiré. Plus c'est déchiré, mieux c'est. Et c'est encore mieux si c'est une marque. « Si tu portes de quoi comme Michael Kors, c'est sûr que tout le monde va aimer ce que tu portes », dit Léanne en montrant en exemple ses sandales et celles d'Alison. « Mais en même temps, si ce n'est pas beau, je ne vais pas le porter juste parce que c'est une marque », précise-t-elle.

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Je leur demande si elles s'inspirent des photos que les célébrités mettent sur leur compte Instagram pour s'habiller. « Non, pas vraiment. Tu sais très bien que son chandail, elle l'a payé comme 750 $ et que je ne pourrai jamais je me l'acheter », dit Erika. « Moi, quand je vois un look que j'aime sur l'une des filles populaires d'Instagram, je me dis que ça ne vaut même pas la peine d'essayer », ajoute Léanne. À les écouter parler, je me dis que les gens qui recrutent les influenceurs en pensant pouvant vendre n'importe quoi à des ados devraient sérieusement passer une journée à magasiner avec eux.

On entre dans une autre boutique, où les premiers rayons de vêtements semblent remplis d'articles en dentelle et semi-transparents. Léanne agrippe un body couleur chair avec un air confus : « OK, ça, c'est clairement pas pour mon âge et ma sœur me tuerait si je portais ça de toute façon. » Elle rejoint ses amies dans la section maillots et leurs visages s'illuminent pour la première fois de la journée. Entre deux bikinis fleuris, Léanne m'explique pourquoi acheter des maillots de bain la fait triper : « J'aime ça, acheter des maillots, mais c'est vraiment juste de quoi pour moi et je ne me promène pas devant les autres. Ben, devant mes amies ça ne me dérange pas, mais devant les gars, je n'aime pas ça. Ils jugent tout. Ils regardent notre cellulite, nos petits seins, tout! Ce n'est pas le fun des affaires de même. Ils ne le disent pas devant toi, mais ça se rend toujours à tes oreilles. »

Erika agrippe des morceaux un peu plus excentriques, mais les repose rapidement en les regardant à peine. « Les gens jugent tellement facilement ce que tu portes, surtout entre 12 et 16 ans. J'ai mon style et j'aime oser parfois, mais je m'assure toujours de ne pas attirer de commentaires négatifs. Je sais que, quand je vais être plus grande, les gens vont s'en foutre, rendu là, de ce que je porte », m'explique-t-elle. Je n'ai pas le cœur de lui avouer qu'il n'y a pas grand-chose qui change en vieillissant. L'heure de se séparer approche et je suis soudainement prise d'une impulsion masochiste de leur demander ce qu'elles pensent de mon style vestimentaire. Je porte ce jour-là une jupe métallique, un crop top fleuri, mon fidèle jacket de cuir, une paire de Converse, et mes cheveux bleus sont attachés en tresse. Une tenue qui me ferait passer pour une fille basic dans n'importe quelle rue du Mile End. « Ben, c'est sûr que les gens de notre âge vont te regarder et se dire, wow, elle est différente. Mais ça ne devrait pas t'empêcher d'être qui tu es », me répond Erika, que je déclare mentalement la philosophe du groupe. « Les gens jugent toujours en premier, et après ils vont voir que ce n'est pas si pire. T'sais, on n'est pas en train de dire que tu es laide là », me rassure Alison. J'ai soudainement un flashback de mes années au secondaire, et approcher la trentaine ne me paraît plus soudainement aussi terrifiant que ça. Alors que je rentre chez moi, je reçois un message de Léanne qui m'envoie deux photos de t-shirts qu'elles ont trouvés après mon départ, dont un avec l'inscription « Unicorns are real ». Je ne peux m'empêcher de sourire, sachant parfaitement qu'elles ne risquent pas de l'acheter.