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Culture

Facebook empêche les Thaïlandais de voir une vidéo de leur roi en chandail bedaine

Une vidéo récente montre le roi de Thaïlande, Maha Vajiralongkorn Bodindradebayavarangkun, 64 ans, en chandail bedaine dans un centre commercial d’Allemagne en compagnie d’une de ses maîtresses. Les Thaïlandais ne la verront pas : Facebook l'a géobloquée.

Une vidéo récente montre le roi de Thaïlande, Maha Vajiralongkorn Bodindradebayavarangkun, 64 ans, en chandail bedaine dans un centre commercial d'Allemagne en compagnie d'une de ses maîtresses. Les Thaïlandais ne la verront pas : Facebook leur en a bloqué l'accès. La compagnie a pris cette décision non pas parce que la vidéo est jugée obscène ou qu'elle enfreint ses conditions d'utilisation, mais parce que le gouvernement thaïlandais a décidé qu'elle constituait une insulte au roi et qu'elle contrevenait aux lois thaïlandaises en vertu desquelles la critique de la monarchie est interdite. « Quand les gouvernements estiment que du contenu en ligne contrevient à leurs lois, ils peuvent communiquer avec Facebook et demander de restreindre l'accès à ce contenu », indique un porte-parole de Facebook. Le géoblocage de cette vidéo somme toute banale illustre la position difficile dans laquelle se retrouve Facebook en tentant d'accroître ses activités à l'étranger, surtout dans des pays où des lois strictes entrent en contradiction avec son objectif de « créer un monde plus ouvert et plus connecté ». Après le massacre de Charlie Hebdo à Paris, Mark Zuckerberg s'est engagé à continuer de promouvoir la liberté d'expression. « La diversité des voix, même si elles sont parfois offensantes, a le pouvoir de rendre le monde meilleur et plus intéressant », avait-il déclaré. Aujourd'hui, Facebook est confronté à un nombre grandissant de critiques en raison de l'opacité de sa politique de censure, car le réseau social se plie par exemple à des demandes de régimes autoritaires. Il a bloqué l'accès à du contenu en Turquie après que le gouvernement a déclaré qu'il s'agissait d'une insulte envers Mahomet. En octobre dernier, 70 groupes de défense des droits de la personne et militants ont envoyé une lettre conjointe à Mark Zuckerberg pour exiger que sa compagnie précise sur quoi elle se base pour censurer ou non, car, selon eux, elle a retiré du contenu documentant des violations des droits de la personne. Sa capacité à décider de ce qui est approprié ou non dans le monde entier a été aussi remise en question après la censure de l'iconique photo de Kim Phuc prise à la suite d'une attaque au napalm lors de la guerre du Vietnam – pour cause de nudité…

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Ce que montre la vidéo du roi de Thaïlande

Facebook a confirmé qu'il a bloqué partout en Thaïlande l'accès à la vidéo, que VICE a obtenue par l'entremise d'Andrew Marshall, un ex-journaliste de Reuters critique envers le gouvernement thaïlandais et auteur de A Kingdom in Crisis: Thailand's Struggle for Democracy in the Twenty-First Century.

Un citoyen thaïlandais avait reconnu celui qui était alors prince de Thaïlande au centre commercial Riem Arcaden à Munich et l'avait filmé. Comme ses tatouages uniques le rendent facile à identifier, on l'a photographié à plusieurs occasions avec des vêtements semblables.

Mais c'est la seule vidéo du roi en chandail bedaine. Le roi Vajiralongkorn, dont le nom signifie « paré de joyaux ou d'éclairs », a accédé au trône en décembre dernier, après la mort de son père, Bhumibol Adulyadej, pour lequel les Thaïlandais avaient beaucoup d'affection. Bien que les détails de sa vie extravagante et controversée aient fait l'objet de nombreux articles en dehors du pays, les Thaïlandais n'en ont rien vu grâce aux strictes lois thaïlandaises limitant les conversations sur quelque détail que ce soit de la vie de la monarchie. « Une vidéo comme celle-là ferait sauter tout ça, dit Andrew Marshall. La population ne serait pas tellement étonnée, mais je pense que l'effet serait considérable si le grand public la voyait. Elle contribuerait à percer la bulle de la monarchie. »

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La position de Facebook

Facebook examine les demandes de censure pour vérifier si le contenu en question contrevient effectivement aux lois du pays. « Si nous déterminons qu'il y a infraction, nous le rendons inaccessible dans le pays ou le territoire concerné et avertissons les utilisateurs qui tentent de la visionner que son accès a été limité. »

Après qu'Andrew Marshall a publié la vidéo sur sa page Facebook le mois dernier, le gouvernement a interdit à tous les Thaïlandais de communiquer avec lui et deux autres critiques au moyen des médias sociaux. Somsak Jeamteerasakul, l'un des deux, a reçu un message de Facebook lui disant quelle vidéo était bloquée et pour quelles raisons.

Selon Andrew Marshall, c'est une des façons pour Facebook de mettre des bâtons dans les roues quand des lois entrent en contradiction avec ses valeurs. Face aux pressions de dissidents, de journalistes et de groupes comme l'Electronic Frontier Foundation (EFF), Facebook a aussi décidé d'exiger une ordonnance des tribunaux pour bloquer du contenu, de ne bloquer que le contenu visé plutôt qu'une page entière et d'informer les utilisateurs que leur publication a été géobloquée.

« Ensuite, on peut faire savoir que le pays a fait bloquer un contenu et profiter de l'"effet Streisand" », ajoute Andrew Marshall, faisant référence à la notoriété que gagne du contenu publié en ligne dès qu'on tente de le supprimer. Il ajoute qu'il comprend la situation difficile dans laquelle se retrouve Facebook. « La compagnie est coincée parce que la Thaïlande a des lois ridicules selon lesquelles vous pouvez être condamné à des centaines d'années en prison si l'on estime que vous avez critiqué la monarchie. »

La censure en Thaïlande

La censure est en croissance en Thaïlande. D'après les données de Facebook, dans les six premiers mois de 2016, 10 publications ont été censurées en Thaïlande. Le nombre a augmenté de 40 pour cent dans la deuxième moitié de l'année. Récemment, un avocat des droits de la personne bien connu en Thaïlande a été arrêté et accusé d'avoir insulté la monarchie. S'il est trouvé coupable, il s'expose à une sentence de 150 ans de prison. Le gouvernement a communiqué directement avec Facebook l'an dernier pour obtenir le retrait de publications qui enfreignent ses lois. Il a par la suite déclaré que Facebook avait accepté de coopérer, mais Facebook a indiqué n'avoir jamais donné son accord. Depuis 2015, la Thaïlande a fermé près de 7000 pages ou sites web en vertu de sa loi sur les crimes informatiques. Cependant, elle ne peut pas bloquer des pages Facebook et la probabilité qu'elle arrive à bloquer l'accès à Facebook dans tout le pays est faible vu la popularité du réseau social. La semaine dernière, le gouvernement a ordonné à des fournisseurs d'accès à l'internet thaïlandais de bloquer 600 pages Facebook, signe que le gouvernement n'obtient pas ce qu'elle veut directement de Facebook. La coopération de Facebook avec la Thaïlande et d'autres gouvernements autoritaires soulève une autre question : jusqu'où ira la compagnie pour accéder à la Chine, où le réseau social est inaccessible depuis 2009? Mark Zuckerberg a déjà montré plusieurs signes d'ouverture : il a notamment appris le mandarin et donné un discours à l'Université Tsinghua. Mais les défenseurs de la liberté d'expression et des droits de la personne ont surtout fait part de leur inquiétude après qu'il a été révélé que Facebook travaillait à la création d'un outil de censure spécial pour ce marché.