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sexisme

Derrière les sourires, l’enfer : dans la vie des hôtesses événementiel

Mains aux fesses, grosses bagnoles et rires forcés – mon expérience de potiche, et celle de mes collègues.
Photo de couverture via Flickr

Le Mondial de l'Automobile 2016, qui se déroule tous les deux ans à Paris, vient de s'achever – et a emporté avec lui son lot de clichés consternants. Tous les deux ans, on assiste au traditionnel bal de pervers et photographes amateurs qui demandent aux hôtesses de poser devant le dernier modèle de voiture hybride. Et malgré tous les efforts mobilisés pour donner une image un peu plus décente de la femme, certains s'en sont donnés à cœur joie pour publier des articles sobrement intitulés « Découvrez les hôtesses les plus sexy du Mondial de l'auto » – et même organiser l'élection de la « Miss Mondial de Paris 2016 ». Pour information, la gagnante est « Miss Skoda », suivie de près par « Miss Kia ».

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Mains aux fesses, grosses bagnoles et rires forcés, le boulot d'hôtesse ne se réduit pourtant pas au Mondial de l'Automobile : c'est un job avilissant comme un autre qui arrange bien les étudiants fauchés toute l'année – et que j'ai moi-même occupé. Contrairement à ce que leur nom laisse présager, les « missions » d'une hôtesse n'ont aucun enjeu. Elles se résument plutôt à une ennuyeuse litanie de « Bonjour Monsieur », rythmée par des remarques obscènes et l'air condescendant de nos nombreux supérieurs hiérarchiques – des chefs hôtes aux organisateurs des événements, en passant par l'agence qui nous a embauchées.

Pour postuler, il faut envoyer CV, photos du visage et de plain-pied et, parfois, un permis de conduire et une lettre de motivation. Une agence d'hôtesse parisienne m'a expliqué que les premiers critères observés par le recruteur sont « les études, des têtes bien faites et le caractère. Et le physique évidemment, mais il faut simplement que l'on ait envie d'aller vers elles pour demander des renseignements. » Sans surprise, ce dernier point semble bien plus important, selon les hôtesses avec qui j'ai eu l'occasion de m'entretenir. « Pour un entretien d'embauche, on m'a demandé de me lever et de tourner sur moi-même », et dans la salle tu entends des remarques comme "Bof non, celle-là n'est pas assez belle" », raconte Pauline, qui bosse pour de grosses agences parisiennes en tant qu'hôtesse.

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La règle est la suivante : une fois recrutée, il faut accepter une première mission. Les agences en profitent souvent allègrement pour proposer aux novices de 18 ans des missions assez merdiques – comme une journée de street marketing habillée en Miss Maaf, avec un tailleur rose et vert qui fleure bon la transpiration.

Photo via l'utilisateur Flickr Reynermedia

La plupart du temps, les filles revêtent robe et talons et ont l'interdiction d'arborer tout signe distinctif, comme un tatouage ou un piercing. « On n'a pas non plus le droit de s'asseoir ou de boire, on verrait trop notre côté humain, ajoute Pauline. Le pire, c'est les soirées organisées par de grosses entreprises, où ils prennent des hôtesses sans trop savoir pourquoi – juste parce que ça fait bien de décorer un peu avec des filles au coin de chaque porte. » De leur côté, les agences insistent sur l'importance du rôle des hôtesses, comme essaie de me l'expliquer une employée d'agence : « Sans elles, rien ne se déroulerait correctement. Les agences demandent parfois des filles bilingues, voire trilingues. On est vraiment au-delà des plantes vertes. » Mais en réalité, on demande le plus souvent aux hôtesses de savoir dire bonjour en trois langues.

Ce boulot consiste surtout à savoir garder l'équilibre des heures durant dans le froid, en essayant d'oublier les talons qui transpercent nos pieds – et avec le sourire. C'est aussi beaucoup de passages à vide et des stratégies pour réussir à cacher son téléphone entre ses seins sans que cela se voie. « C'est un job physiquement et moralement éprouvant. Il faut savoir que l'on va passer de nombreuses heures debout, à sourire, à indiquer les toilettes ou le fumoir », concède un chef hôte de la région parisienne.

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Le plus gros problème auquel font face les hôtesses reste celui du sexisme – et d'une représentation dégradante de la femme, vue comme un objet sexualisé, parfois marchandisé. Les tenues sont souvent les mêmes : jupes fendues, talons et rouge à lèvres. « On peut se prendre une main au cul et l'agence ne dira rien, tant que les organisateurs sont contents », se désole Pauline. Elle estime que les agences sont soumises au bon vouloir des organisateurs d'événements. Il leur arrive même de s'y mettre, comme l'explique une bookeuse de l'agence : « Un client n'arrêtait pas de faire des avances aux hôtesses, à tel point que j'ai dû en avertir la direction qui a pris les mesures nécessaires. Il a répliqué "Je vais reprendre mon manteau et vous avec" à une de nos hôtesses, ce qui est inadmissible. »

>p>Le Mondial de l'automobile est souvent le théâtre d'interactions grossières et de réflexions machistes consternantes. « Il y a ceux qui veulent qu'on tape la pose devant les voitures et d'autres qui prennent des photos volées », explique l'une des hôtesses du salon. C'est ce que me confirme aussi le chef hôte : « Une année, un homme avait dissimulé une caméra dans son sac et le plaçait de manière à filmer sous les robes des hôtesses. » D'après l'agence, la formation qui précède l'événement vise aussi à éviter ce genre de dérives : « On leur apprend à repérer les petits malins qui viennent les prendre en photo. Elles apprennent à remettre un client à sa place, en toute courtoisie évidemment ! »

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Photo via l'utilisateur Flickr Yahoo ! Auto

Les hommes ont toujours un rôle un peu plus utile, et on ne les verra jamais cambrés sur le capot d'une voiture. Au Mondial, « il y a les visiteurs qui aiment qu'une jeune fille les aborde pour parler voitures, d'autres qui préfèrent discuter de ça avec "un vrai connaisseur" : un garçon. C'est pourquoi nous avons les deux » conclut le chef hôte. En plus de ce sexisme ordinaire, il faut parfois subir l'hypocrisie et les dénigrements en tout genre – où hommes comme femmes sont concernés. « On ne mélange pas les populations. » C'est ce qu'un exposant a sorti à une hôtesse en lui interdisant l'accès à l'espace consacré à la vente des voitures. « Je suis ingénieur et un jour "une chargée d'événements" de chez l'Oréal a souhaité prendre 15 minutes de son temps pour m'expliquer comment fonctionnait le portique de sécurité de l'entrée avec la carte magnétique, histoire que je fasse le geste parfait pour l'ouvrir », poursuit le chef hôte.

Les arnaques sur la rémunération sont aussi assez fréquentes : « Pour Roland-Garros, l'organisation avait donné 14 euros par jour pour manger par employé – on a appris que l'agence ne nous donnait que sept euros et gardait l'autre moitié dans sa poche. » Le chef hôte ajoute qu'on a « plus souvent l'occasion de contempler un buffet Lenôtre et de manger un vieux sandwich Daunat dans un cagibi que d'avoir un client qui se soucie du bien-être des hôtesses. »

Le « bien-être » des hôtesses, toutes les grosses agences le prônent dans leurs chartes éthiques. Elles expliquent notamment maintenir « une attention particulière sur l'évolution des risques psychosociaux », mais visiblement l'une d'entre elles n'en a pourtant pas bien saisi le sens. « Le soir des attentats au Stade de France, les chefs hôtesses sur place étaient au courant de ce qui se passait et n'ont pas voulu me le dire tout de suite, on a toutes été livrées à nous-mêmes. L'agence n'a eu aucune attention particulière envers nous, et ne nous a jamais demandé si on allait bien, et si on était bien rentrées », raconte une hôtesse, qui n'a jamais remis les pieds au Stade après un stress post-traumatique.

Clémentine est sur Twitter.