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crime et châtiment

« Avec la castration chimique, le corps devient une deuxième prison »

Alors que des politiciens français proposent d’imposer ce traitement inhibiteur de la libido à tous les violeurs condamnés, deux anciens détenus l’ayant déjà testé ont accepté de raconter ses effets.
Photo : Flickr

En France, le recours à la castration chimique n’est possible que sur la base du volontariat. Régulièrement, des politiques tentent de la rendre obligatoire pour tous les condamnés pour viol. Après Nicolas Sarkozy ou Michèle Alliot-Marie, c’est Laurent Wauquiez, l’actuel président des Républicains, qui a récemment annoncé le dépôt, par des députés LR, d’une proposition de loi allant dans ce sens.

Très vite, Marlène Schiappa, la secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi des magistrats et des médecins, ont rappelé le manque d’efficacité de ces inhibiteurs de libido. Alors, on est allé poser la question aux principaux concernés. D’anciens détenus, condamnés pour viol ou agression sexuelle, nous ont donc raconté les effets de la castration chimique sur leur sexualité, leurs corps et leur esprit.

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Soyons clairs : pas question, ici, prendre le parti des agresseurs sexuels – et encore moins d’en faire des victimes. Il s’agit simplement de comprendre si ces traitements hormonaux permettent, oui ou non, de diminuer le risque de récidive. Robin, 33 ans et cinq ans de prison pour différentes affaires d’« attouchements pédophiles » et Bertrand, 51 ans dont 8 années d’incarcération pour le viol d’un adolescent de 15 ans, ont accepté – sous couvert d’anonymat – de raconter leur vie sous castration chimique.

Leurs histoires sont bien sur différentes. Ainsi, Robin a conscience qu’il doit être soigné, d’une façon ou d’une autre, pour réussir à vaincre ce qu’il appelle ses « pulsions ». Alors que Bertrand, lui, a toujours clamé son innocence, parlant d’une « histoire d’amour » entre lui et l'adolescent. Pourtant, tous deux ont accepté le recours à la castration chimique dans le même but : obtenir une réduction de peine. « Il y a une grosse hypocrisie là-dessus. Personne ne le dit mais, au fond, tout le monde sait que tu le fais pour gagner des jours, des semaines ou des mois de prison en moins », lance Bertrand. Robin ne s’en cache pas non plus : « j’ai accepté le traitement parce que je voulais une libération conditionnelle ou au moins un aménagement de peine ».

« On se sent moins qu'une merde » - Bertrand, chimiquement castré pendant un an

À sa sortie, Bertrand fera un an de traitement, à raison d’une injection trimestrielle de Décapeptyl – un médicament utilisé pour soigner le cancer de la prostate et dont l’un des effets secondaires est la baisse de la libido. Bertrand en garde un souvenir amer : « la castration chimique est une dictature de la guérison », assure-t-il. D’autant que les conséquences sont lourdes : « j’ai pris trente kilos et j’ai observé une pousse des seins. Au niveau psychologique, aussi, c’est très puissant : on ne se sent plus rien du tout – même moins qu’une merde. Mon corps est devenu une deuxième prison ».

Mais c’est surtout la solitude qui lui a pesé : « j’en ai vu, des psys, pendant ma détention… Mais à la sortie, personne ! Ça te tombe sur la gueule, c’est comme un piège qui se referme sur toi. Le traitement te prive de toute énergie positive : c’est un exploit de réussir sa réinsertion dans ce cadre-là ». Aujourd’hui, Bertrand a retrouvé une stabilité, un travail et même une compagne. Mais il garde la « conviction » (c’est son mot), que la castration chimique ne lui a rien apporté : « moi, je ne suis jamais senti « agresseur » donc sur moi, ça n’a pas été efficace ».

« Le traitement n’est pas efficace : il ne m’empêche pas de regarder des vidéos pédopornographiques » - Robin, castré chimiquement depuis plusieurs mois

Robin, lui, a été mis sous Xeplion, un antipsychotique généralement utilisé par les schizophrènes qui, là encore, a pour effet secondaire une perte significative de désir sexuel. Cette fois, l’effet est perceptible. Mais le jeune homme a trouvé une combine pour le contrecarrer : l’alcool. « Le Xeplion m’inhibe, me rend faible et lent. Alors, je bois pour être actif et me désinhiber. Et quand je suis dans cet état-là, je peux aller voir des sites de vidéos pédopornographiques, ce que je ne fais pas quand je suis sobre. Donc, pour moi, ce traitement n’est pas efficace puisqu’il ne m’empêche pas de consulter ces vidéos ».

Totalement coupé du monde, Robin vit aujourd’hui dans un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale et il n’a que très peu de contact avec sa famille. « Je ne sors que pour acheter de l’alcool et les seules personnes que je vois sont le médecin coordinateur, le juge, le psy et l’infirmière. Sinon, je suis toujours seul ». Un isolement renforcé par la castration chimique qui entraîne une inhibition sexuelle, mais aussi sociale. Or, comme le rappelle Latifa Nennari, fondatrice de l’Angle Bleu, une association qui œuvre à la réinsertion des agresseurs sexuels : « un pédophile isolé est un pédophile potentiellement dangereux ». Ou comment un traitement, en plus d’être inefficace devient franchement contre-productif.