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Culture

« Il y a des femmes qui n’ont pas peur », dit dream hampton, la productrice de «Surviving R. Kelly»

Sa série documentaire sur les agressions sexuelles qu’aurait commises le chanteur depuis les années 90 est inconfortablement détaillée.
KC
Queens, US
R. Kelly

L’article original a été publié sur Noisey.

La cinéaste dream hampton s’est donné pour mission de raconter ce que personne d’autre n’a voulu aborder. Pendant des décennies, elle a documenté le rap et ses intersections, passant d’une carrière de journaliste spécialisée en musique à la réalisation de documentaires qui glacent le sang, comme Treasure: From Tragedy to Trans Justice Mapping a Detroit Story. L’an dernier, elle a accepté de produire Surviving R. Kelly sur Lifetime, une série documentaire de six heures sur les agressions sexuelles qu’aurait commises le chanteur originaire de Chicago. J’ai parlé à dream hampton, qui écrit son nom sans majuscule en hommage à l’intellectuelle féministe bell hooks, des allégations dont n’a pas tenu compte le public et de la possibilité de la mort professionnelle de R. Kelly.

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VICE : Vous avez dit qu’il a fallu un an et demi pour réaliser Surviving R. Kelly. Le début de ce projet coïncidait donc avec les reportages de BuzzFeed sur une possible secte sexuelle. Est-ce que c’est ce qui vous a incitée à examiner ces allégations?

dream hampton : Au début, moi aussi j’avais des réserves. J’avais l’impression que Jim [Derogatis] avait écrit sur ce sujet pendant des années. Je ne savais pas que le documentaire de la BBC allait sortir, mais je l’ai vu, et j’ai trouvé que notre approche était différente. On ne me voit pas à l’écran. Ce n’est pas l’histoire telle que je la vois. On se concentre sur les filles, notre manière est certainement différente de celle de la BBC.

Je me disais que, si les gens n’abandonnent pas de R. Kelly après la sortie de cette vidéo, ils ne l’abandonneront jamais. Au départ, je pensais qu’il était un prédateur et, si j’étais généreuse, je dirais qu’il avait une prédilection pour les jeunes filles. Mais c’est tellement plus que ça. Il a construit des systèmes pour abuser de ces filles.

Quand j’ai commencé à interviewer les filles, ce que je découvrais était bouleversant. Je ne savais pas qu’il était physiquement violent avant de commencer ce travail. Je ne savais pas à quel point il était contrôlant avec elles. Pour la plupart des gens, voir des choses de ses propres yeux, c’est plus puissant que le lire. J’ai rencontré ces femmes de différentes époques, et elles m’ont parlé à tour de rôle. Elles ne se connaissaient pas. Lisa Van Allen, c’est 20 ans avant certaines des autres filles. Vingt ans peuvent s’écouler entre elles, mais leur récit des agressions de R. Kelly est le même.

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Le premier visionnement a été annulé en raison d’une menace anonyme en provenance de Chicago. L’année dernière, dans le podcast Man Repeller, vous avez dit : « Je n’ai jamais trop peur pour me battre. » Qu’est-ce qui vous motive encore à raconter cette histoire?

R. Kelly doit savoir qu’il y a des femmes qui n’ont pas peur de lui, qui ne sont pas sous son charme et qui ne veulent rien de lui, excepté qu’il subisse les conséquences de ses gestes, et que justice soit faite. Cette justice peut avoir beaucoup de visages. Ça peut aussi être une mort sociale.

Lors du visionnement, vous avez fait le parallèle entre le cas de Bill Cosby et les allégations au sujet de R. Kelly. Quel effet souhaitez-vous que le documentaire produise?

Quand on fait ce genre de travail, on le fait de bonne foi. J’espère qu’il y aura des activistes qui prendront le relais, car les gens pourraient être sous le choc en le regardant.

Il y a eu quelques reportages sur des filles noires et le taux élevé d’agressions. On souffre en silence. Je voudrais absolument voir des actions de la communauté. Comme ce qu’on a vu dans le mouvement Black Lives Matter, comme les réactions à la violence raciale ou à la terreur raciale. On parle de problèmes systémiques et d’enjeux de genre au sujet desquels on se tait depuis toujours.

Je me souviens de plusieurs moments où [la communauté noire] a essayé d’en parler. Des tentatives comme The Color Purple, le livre et le film. Des tentatives comme For Colored Girls Who Have Considered Suicide When the Rainbow is Enuf de Ntozoke Shange. Le contrecoup a été démesuré. Ces femmes, Ntozoke et Alice, ont elles-mêmes subi une mort sociale. On n’a pas pris conscience de ce qui se passe dans notre communauté. C’est le rêve de ma vie de voir qu’on aborde la question de ce qu’on fait aux filles et aux femmes noires.

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Dans la série documentaire, on voit John Legend, Sparkle et Wendy Williams. Est-ce que ç’a été difficile de convaincre des personnalités de se servir de leur célébrité pour s’exprimer publiquement contre R. Kelly?

Ç’a été très difficile. John Legend est le seul musicien de cette série à part Sparkle. Croyez-moi, on a demandé à tout le monde. On a demandé à Dave Chappelle. On a demandé à Jay-Z. On a demandé à Erykah Badu. On les a tous approchés. Il y a eu plus de non que de oui. John Legend a été incroyablement courageux. Je sais que John et R. Kelly ont des rôles incroyablement différents dans notre communauté, pour ce qui est de ce qu’on écoute. John est beaucoup plus grand public et plus métissé, mais c’est un garçon noir du Midwest — tout comme R. Kelly — dont la mère avait un problème de crack. Ce n’est pas comme s’il ne savait pas qui était R. Kelly et quel genre de prédateur il est dans notre communauté.

Dans Surviving R. Kelly, on dit qu’Aaliyah a eu des relations sexuelles avec R. Kelly, et qu’elle est tombée enceinte. Qu’est-ce que Barry Hankerson, l’oncle d’Aaliyah qui les a présentés l’un à l’autre, a dit lorsque vous l’avez contacté?

Il n’était pas content de nous parler et nous a dit d’arrêter de l’appeler, ce que je comprends. L’une des choses que j’ai apprises en faisant ce documentaire, c’est qu’il détruit non seulement la vie de jeunes filles, mais également celle des membres de leur famille.

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Ce documentaire montre un certain nombre d’hommes témoins des comportements de R. Kelly, et des parents même qui lui ont présenté leur enfant. Que fait-on avec la complicité?

J’ai passé ma vie à débattre avec les hommes de mon entourage. Que ce soit des proches ou des rappeurs célèbres avec qui les gens savent que je suis amie. Qu’ils aient une tribune ou non, j’ai été cette personne, même au risque de perdre des amitiés. On doit savoir que, si on dit quelque chose à quelqu’un à propos de son comportement, on peut se retrouver à l’extérieur d’un cercle d’amis pendant un moment.

Je me souviens de Jay qui m’avait fait écouter une version de Supa Ugly à qui j’avais dit que Carmen [Bryan] n’était pas une cible légitime. Cette histoire de « rubbers on the backseat » est ridicule. Je me souviens d’avoir parlé à Big du texte dans lequel il parlait d’arracher les bijoux d’une femme enceinte. Tu franchis une limite. Biggie et moi, on était proches à l’époque. Je me souviens d’avoir eu des détails de ses relations avec ses copines, et d’avoir contesté la façon il traitait les femmes, alors qu’il était un homme de 22 ans. Parfois, Jay me disait : « Je comprends ton point de vue, mais je vais le faire quand même. » Puis, quelques années plus tard, il me disait : « Tu avais raison. »

L’idée n’est pas d’encourager toutes les femmes à dénoncer tout le monde. Le contrecoup est trop réel pour ça. Et ça n’a pas à voir avec le fait d’être amis avec des célébrités. Peut-être qu’on est en meilleure position pour parler quand ce sont nos proches. Le patriarcat et la misogynie sont systémiques. Les filles noires vivent ça d’une façon très différente. On nous refuse la protection que le patriarcat est censé nous donner.

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L’une des choses qui me frappaient, c’était qu’à la fois les victimes et l’industrie le considéraient comme un génie de la musique. Qu’elle est votre position sur la distinction entre l’œuvre et l’artiste?

J’ai commencé à penser à cette question quand Pearl Cleage a écrit un livre intitulé Mad at Miles. Elle a demandé aux gens d’arrêter d’écouter Miles Davis après la publication de son autobiographie, qu’a écrit Quincy Troupe, dans laquelle il est question de violence contre Cicely Tyson. J’ai vraiment essayé d’arrêter d’écouter Miles Davis, mais je suis tombée amoureuse et j’ai recommencé à l’écouter.

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L’une des choses à propos de R. Kelly, pas très différente de Woody Allen, c’est qu’il ne se cache pas, c’est sous nos yeux : It Seems Like You’re Ready, Age Ain’t Nothing But a Number. Il affiche son comportement de prédateur sexuel dans ses paroles de chanson. Je n’en ai pas été le meilleur modèle, mais je suis capable de ne pas écouter R. Kelly, et c’est ce que je fais depuis longtemps.

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