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Culture

On a discuté rap français avec MissMe

Alors que la street artist masquée vient de sortir une vidéo avec l’ONF, elle trouve quand même le temps de faire des visuels pour une soirée spéciale de rap français à Montréal.
Crédit photo | MissMe

Artiste, activiste, féministe, vandale… Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier MissMe, qui souhaite, par son art, bouleverser les mœurs trop rigides de notre société. Son travail a fait le tour du monde ou presque, mais peu de gens savent qu'elle entretient une longue histoire d'amour avec le hip-hop français.

« J'ai 36 ans, j'étais adolescente dans les années 90. À cette époque, je refaisais les chansons de K-Reen avec mes copines. »

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On a parlé de ses coups de cœur en hip-hop francophone d'hier et d'aujourd'hui.

VICE : Comment t'es-tu retrouvée à faire le visuel d'une soirée hip-hop à l'ancienne?
MissMe : C'est grâce à Eva Rostain, une très bonne amie à moi qui organise la soirée. À la base, on était dans mon appartement en train de travailler sur mon merch. Souvent le soir chez moi, je m'improvise DJ avec mes copines, on part parfois dans des délires et ce soir-là, la vibe tournée autour du rap français à l'ancienne. Ça nous rappelait tellement de bons souvenirs qu'on est parti dans un battle, c'est-à-dire que l'une après l'autre on jouait chacune une chanson liée à cette époque. On mettait nos tracks préférées, et on se disait : « Tu te rappelles de ça? » C'est une madeleine de Proust, mais version auditive, ça t'amène tellement loin émotionnellement. Tout d'un coup, t'es vraiment télétransporté dans un monde qui nous a tellement marqués, on était adolescente quand ces chansons sont sorties. À la fin de la soirée, Eva m'a proposé de l'aider pour faire les visuels de son party et c'était naturel pour moi d'accepter.

C'est quoi ton premier souvenir de rap français?
C'est difficile de se souvenir d'un en particulier, mais si je devais choisir, ça serait sans doute « Caroline » de Mc Solaar, je pense que c'est la première chanson qui m'a vraiment marquée. Après bien sûr, il y avait IAM et NTM. À vrai dire, j'ai toujours eu une préférence pour IAM surtout en raison de leurs paroles qui étaient un peu plus « conscientes » et qui me parlaient plus que des « nique la police ». Je n'étais pas non plus une grande spécialiste à l'époque parce que c'était très difficile de savoir ce qui sortait. Il n'y avait pas internet, c'était très dur de trouver des CD, on passait notre temps à s'échanger des k7. Je viens d'Annemasse en Haute-Savoie (à la frontière suisse, c'est pratiquement la banlieue de Genève), une petite ville, qui a seulement deux rues principales, où il y avait rien à faire à part aller au cinéma. Quand Alliance Ethnik est venu dans notre ville, c'était un véritable événement. Le hip-hop à cette époque, ce n'était pas le hip-hop de maintenant qui fait partie de la culture populaire, sans parler de tout l'argent qui gravite autour.

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Est-ce que c'est la meilleure époque du rap français selon toi?
Je te dirais oui parce que c'est celle que je connais le mieux. Après objectivement, je ne peux pas dire que c'est la meilleure parce que je connais très peu ce qui se fait aujourd'hui. Je suis arrivée à Montréal en 2000, j'avais 19 ans, donc les derniers albums que j'ai achetés sont ceux de Saïan Supa Crew, Pit Baccardi et la compilation Première Classe. J'ai encore tous ces CD chez moi, ce sont de vrais trésors. Heureusement, il y a mon amie Eva qui essaye de me tenir au goût du jour de temps en temps. Elle m'a fait écouter des trucs comme Jul et Kaaris, mais ça ne me plait pas vraiment. J'ai entendu une chanson de PNL (« Sur Paname ») aussi dans un Uber, j'ai trouvé ça pas mal, mais peut-être un peu trop vulgaire. Pourtant, j'admets que cette chanson m'a touché parce qu'étrangement, elle reflète notre réalité de l'époque avec mes potes : on se faisait chier, on volait des conneries dans les magasins, mes potes tapaient des gens, on cassait des voitures parce qu'on n'avait rien à faire. Ça explique sans doute pourquoi cette chanson a attiré mon attention: ça parle de galère, de solitude et de ne pas entrer en club.

Impossible de parler de rap français sans parler de La Haine
Tu sais que je ne l'ai jamais vu! Je refusais de le voir, j'ai toujours eu un côté rebelle : si tout le monde parlait d'un truc, je ne voulais pas le faire. Je vais le voir un jour c'est certain, mais il faut que je trouve le bon mood parce qu'à la base, je ne suis pas une personne qui regarde beaucoup de films, je préfère lire ou regarder un documentaire. Par contre, j'ai vu Ma 6-T va crack-er, un autre grand classique qui traite de la réalité des jeunes en banlieues parisiennes dans les années 90. J'ai adoré parce que c'était très réaliste : ça parle des petites galères des banlieusards, des histoires de merde qui partent en sucette pour rien juste parce que les gens se font chier. Et c'est vrai, à l'époque je me rappelle qu'on s'emmerdait grave. Par contre, on rigolait beaucoup parce que t'étais obligé de développer un sens de l'humour assez élevé puisqu'en termes d'activités on s'approchait presque du néant, à part quand on descendait sur Genève.

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Niveau vêtement ça se passait comment?
J'étais habillé très souvent en jogging. J'en avais un blanc et un vert forêt que j'adorais, je les mettais dans mes chaussettes. J'avais une petite casquette Nike aussi et des lunettes Sergio Tacchini. Je n'avais pas de banane, mais mes amis en avaient. Par contre, j'avais une doudoune blanche sans manche dont j'étais très fière. Avec le recul, parfois je me dis qu'on ne ressemblait à rien. Aujourd'hui, on a un peu plus d'allure. À l'époque, on n'avait pas accès à autant de vêtements alors que maintenant c'est une réalité totalement différente. On ne jetait pas autant de fringues et on ne se changeait même pas tous les jours. Dans les années 90, t'avais ton style et tu devais t'y tenir. Je me souviens aussi qu'il y avait une concurrence des marques. Si tu portais du Chevignon et que tu n'avais pas des amis pour te protéger, tu ne finissais pas la journée avec. Dans ce temps-là, le racket était real. Avec mes amis on n'avait pas tellement d'habits donc on se les prêtait entre nous et parfois même aux gens qu'on connaissait peu. C'est impensable quand on y réfléchit aujourd'hui. Attention, je tiens à souligner qu'il m'arrivait de m'habiller très classe : je passais de caillera style à un look jupe, talons hauts et chapeau!

Est-ce qu'il y a quelque chose qui te manque de cette époque?
Le côté poétique d'IAM, chaque fois qu'ils sortaient un projet ils t'emmenaient tellement loin, c'était tellement beau, c'était de l'art pour moi. Ce sont des gars de la rue qui ont réussi à démontrer que tu n'es pas obligé d'aller à l'école pour faire de la poésie. Ça venait me toucher à plusieurs niveaux : je les ai aimés autant pour leurs flows, que leurs instrumentales et leurs paroles. « L'école du micro d'argent », sorti en 1997 est un véritable classique!

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Quels sont tes prochains projets ?
Le mois de juillet a été plutôt chargé avec le lancement d'un vidéo en collaboration avec l'ONF. L'idée derrière le vidéo était d'expliquer qu'il ne faut pas dire aux autres comment ils doivent être : comment s'habiller, comment s'exprimer, comment réagir à telle ou telle situation. En fait, on a essayé de casser les codes du genre en s'amusant des clichés dans lesquels chacun de nous est confiné, que ce soit les hommes ou les femmes. J'ai également lancé une nouvelle collection de chandails : « I didn't come from your rib. You came from my vagina. »

Je vais participer aussi à Under Pressure du 9 au 13 août, un festival international de graffiti qui se tient à Montréal depuis 1996. Le 7 septembre prochain, je fais le lancement de mon exposition « Pussy Illuminati », à la galerie COA en collaboration avec la photographe Nastia. C'est une exposition où on a pris en photo le vagin de 13 femmes. On compte également produire un petit podcast pour expliquer l'expérience, c'était émotionnellement très fort. Et d'après ce que j'ai compris, mes amies ont prévu d'organiser une nouvelle soirée rap à l'ancienne au début de l'automne…

Crédit photo | MissMe

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