FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Le 375e de Montréal, beaucoup de bruit – ou de lumière – pour rien

Pourquoi les célébrations du 375e de Montréal laissent-elles présager un échec?

Difficile de ne pas être au courant que ça fait 375 ans qu'un groupe de colons a fondé la colonie missionnaire de Ville-Marie.

Depuis l'été dernier, des blitz de construction font rager les automobilistes et les piétons qui ont inondé les ondes radiophoniques pour se plaindre des congestions. Des campagnes publicitaires ont envahi le centre-ville et la télévision.

En soi, la congestion routière et médiatique, ainsi que les centaines de millions de dollars dépensés pour célébrer un anniversaire qui n'en est même pas un sont déjà assez ridicules. Fallait-il vraiment y ajouter des représentations aussi convenues de Montréal et des gens qui l'habitent?

Publicité

Un manque de diversité décrié

Articule, un centre d'artistes autogérés a organisé un événement au début du mois pour dénoncer l'image blanche de Montréal présentée dans le matériel promotionnel du 375e. Atterrissage d'Urgence s'est tenu sur trois jours dans le cadre de Montréal Monochrome, la série annuelle de l'organisme. On y présentait des ateliers et discussions liées aux expériences autochtones et migratoires pour dire « whoa à la fiction qu'est le 375e », explique Sophie Le-Phat Ho, coordonnatrice au développement des publics chez Articule.

« Je pense que c'est facile de montrer une image de diversité, sans nécessairement donner le pouvoir à des personnes qui ne sont pas nécessairement blanches », dit-elle.

Car, selon elle, si on vante souvent Montréal pour sa diversité culturelle, on est passé à côté avec le 375e : « La célébration est une poursuite du colonialisme. Même s'il y a une représentation, ça demeure superficiel parce que les personnes autochtones et racisées sont tout de même marginalisées. »

Par exemple, la bande-annonce de Montréal s'allume (émission qui présentera une partie de la programmation des célébrations) avait créé un tollé l'automne dernier par son manque de diversité. À tour de rôle, on y présentait de multiples personnalités québécoises, blanches, alors que, comme le soulignait La Presse, 56 % des Montréalais sont nés à l'étranger ou ont un parent né à l'étranger. L'équipe du 375e avait reconnu le manque de diversité dans cette publicité et s'était rapidement excusée.

Publicité

Sur la page YouTube de la Société des célébrations du 375e, on retrouve plusieurs entrevues – d'artistes, de personnages de quartiers – mais sur 165 vidéos, VICE a compté seulement 20 clips incluant au moins une personne qui ne soit pas blanche. Et quatre de ces clips présentaient la même personne, le gagnant du concours « Devenez Montréalais ».

Diversité ou pas, les célébrations ne risquent pas de s'étendre de l'autre côté du pont Honoré-Mercier à Kahnawake, selon Steve Bonspiel, éditeur du journal The Eastern Door à Kahnawake. « Les gens ici trouvent que c'est une blague », dit Bonspiel, qui en février a écrit un éditorial publié par CBC dans lequel il affirmait que plusieurs communautés autochtones ne célébreront pas le 150e du Canada ni l'anniversaire de Montréal.

Alain Gignac, directeur de la Société des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, dit que le groupe « reconnaît d'emblée que les Premières Nations étaient là avant nous, avant les Blancs, franco-canadiens ». Il soutient que la Société a travaillé avec des groupes autochtones pour plusieurs événements, incluant un pow-wow en juin, une exposition d'art contemporain par Skawennati, une pièce de théâtre des productions Menuentakuan, une collaboration avec Wapikoni Mobile, qui fera une tournée des quartiers de la ville, le festival annuel Feux sacrés et d'autres installations menées par Montréal autochtone et le Cercle des Premières Nations de l'UQAM.

Publicité

« Ç'a toujours été extrêmement important évidemment de solliciter, non pas juste d'inclure, mais aussi de faire participer les autochtones dans le cadre de nos activités », dit M. Gignac.

Radio-Canada a rapporté qu'il avait fallu beaucoup de négociations pour arriver à un contenu à l'image des communautés autochtones. Des organismes culturels autochtones de Montréal avaient refusé de voir leurs projets évalués par un jury non autochtone – un souhait qui a finalement été accepté, selon le reportage.

Néanmoins, certains ont préféré ne pas faire partie de ces négociations, comme la compagnie de théâtre Ondinnok qui, comme Articule, a décidé de tenir sa propre série d'événements avec des artistes autochtones les 17 et 18 mai. Sa fondatrice Catherine Joncas, interviewée par Radio-Canada, a trouvé, tout comme Bonspiel et Le-Phat Ho, que les initiatives de la Société, c'était trop peu, trop tard.

Si peu de temps après la Commission de vérité et réconciliation, Bonspiel aussi aurait aimé voir plus de conversations honnêtes, voire difficiles mises de l'avant.

La Commission, dirigée par le juge Murray Sinclair, a inclus des observations et recommandations à propos de l'anniversaire du Canada.

Dans le rapport, M. Sinclair dit que l'anniversaire du Canada, pour beaucoup d'autochtones, ne mérite pas une célébration, mais que « favoriser un discours public plus inclusif sur le passé à travers la lentille de la réconciliation ouvrirait des possibilités nouvelles et passionnantes pour un avenir dans lequel les peuples autochtones prendraient leur juste place dans l'histoire du Canada comme peuples fondateurs ayant fait des contributions déterminantes et uniques à ce pays ».

Publicité

Il demande aussi aux gouvernements de tous niveaux « de rejeter les concepts ayant servi à justifier la souveraineté européenne sur les territoires autochtones, comme la doctrine de la découverte et celle de la terra nullius ».

Opportunisme préélectoral?

Pour le conseiller de la Ville de Montréal de Projet Montréal, Alex Norris, le 375e arrive à un moment opportun pour le maire Denis Coderre, qui cherchera à se faire réélire plus tard cette année.

Il soutient que les coûts de tous ces projets sont gonflés et que l'échéance précipitée de 2017 a fait en sorte qu'il y ait moins de soumissionnaires.

« Je ne comprends toujours pas les mérites de ces centaines de millions en dépenses publiques alors que notre ville fait face à de nombreux problèmes très pressants : transports en commun inadéquats, infrastructure en ruines et un manque grave d'espaces verts dans de nombreux quartiers, par exemple », dit-il.

M. Norris remet en question des projets comme celui d'un hymne pour Rivières-des-Prairies–Pointes-aux-Trembles qui se verra verser un budget de 119 000 $, l'habillement de cinq abribus à 200 000 $ et l'utilisation de l'amphithéâtre au parc Jean-Drapeau qui ne servirait surtout qu'à des événements payants d'Evenko. Il y a aussi le rodéo en collaboration avec celui de Saint-Tite que la SPCA rejette et qui ne représente guère les valeurs montréalaises, selon lui.

La SPCA a en effet lancé une campagne contre l'événement, qui est prévu du 24 au 27 août, avec l'appui de 650 vétérinaires et techniciens en santé animale du Québec. Ils rappellent la cruauté animale causée par les instruments qu'utilisent les cowboys, comme les fouets et les sangles, pour agiter et faire peur aux animaux, qui peuvent aussi les blesser.

Au total, Montréal prévoit dépenser 111 millions de dollars pour les célébrations et 300 millions pour des projets permanents comme l'illumination du pont Jacques-Cartier (à 39,5 millions), des monuments de troncs d'arbre en granite sur le Mont-Royal (à 3,45 millions) et un amphithéâtre en béton sur l'île Sainte-Hélène (à 73,4 millions). Même si l'anniversaire de la ville est le 17 mai 2017, plusieurs des projets légués ne seront pas prêts avant 2018.

Alain Gignac dit quant à lui que c'est une célébration pour mobiliser la prochaine génération de montréalais et ses talents dignes de faire de Montréal une « ville internationale ».

« Ce n'est pas juste une fête pour faire le party, c'est une fête pour parler de notre ville, parler du potentiel qu'elle a », dit-il.