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Ce que ça fait de passer Noël en prison

« On fête même si on est pas vraiment heureuses, c’est rendu ça, la tradition. »
Crédit photo - Mitchel Lensink  / Unsplash

Les détenus ont tendance à dire qu’on perd la notion du temps en prison, que la routine fait en sorte que tous les jours se ressemblent. Il n’y a rien pour différencier une journée de l’autre : les anniversaires, les fêtes, les mariages et les funérailles ne se vivent pas à l’intérieur. Mais même les murs fortifiés de la prison ne sont pas à l’abri des guirlandes et des chants de Noël, forçant les détenus à souligner la joie des Fêtes pour le meilleur et pour le pire.

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« Il y a un genre de buffet, il y a un père Noël, le gymnase est tout décoré, donc on ne se sent pas vraiment dans l’ambiance austère de la prison », se souvient Marco*, évoquant le Noël qu’il a récemment passé dans un pénitencier fédéral.

Mais les Fêtes ne brisent pas nécessairement la solitude, d’abord parce que, pour les prisonniers, les visites coûtent cher. « On a droit à trois ou quatre visiteurs et ça coûte 8 $ par personne, explique Marco. À 15 $ de salaire par semaine, ça nous prend deux semaines de salaire pour inviter notre monde. »

Alors plusieurs détenus finissent par passer Noël seuls. Mais les chanceux qui reçoivent des visites ne passent pas nécessairement un meilleur moment. Les conjoints reprochent parfois aux détenus le fait qu’ils ont abandonné leur famille, et certains enfants hurlent et pleurent quand vient le moment de partir.

« Bien évidemment, il y a [des détenus] qui craquent, explique Marco. C’est le soir dans leurs cellules qu’ils pleurent, pas devant le monde, parce que c’est un signe de faiblesse. »

Marco vient de purger une peine de trois ans — et donc, de trois Noëls — pour une histoire de trafic de stupéfiants.

Vu son « choix de carrière », Marco s’était fait à l’idée qu’il passerait éventuellement quelques années en prison. Il avoue tout de même que son premier Noël en dedans était crève-cœur. « J’ai appelé ma famille d’une cabine téléphonique, ils m’ont passé à tout le monde. Tu les entends pleurer et tu ne peux pas être là avec eux, dit-il. J’ai trouvé ça difficile à vivre, ça me faisait une boule dans l’estomac. »

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Les cartes de Noël étaient un genre de baume sur la plaie, et il dit toutes les avoir affichées au mur de sa cellule « pour me montrer que j’avais du support, me faire des petites décorations ».

En général, la soirée se célèbre en solitude, avec un petit repas de Noël que les détenus mangent dans leur cellule. « Un petit Ferrero Rocher, un petit sac de chips avec une liqueur, une pizza aux tomates : c’est ça, ton cadeau de Noël », dit Marco.

Daniel*, qui tient un blogue sur ses expériences dans diverses prisons au Canada et aux États-Unis, décrit une expérience un peu plus festive. En 2007, alors qu’il était incarcéré au centre de détention de Rivière-des-Prairies, dans l’Est de Montréal, la prison avait organisé deux activités de Noël : un bingo et un petit concert.

« J’ai bien aimé l’activité avec le chansonnier dans le gymnase, écrit-il. Quoique c’était un peu décourageant lorsqu’on voyait les gardiens qui nous regardaient avec un air renfrogné. Ce n’était pas le temps de s’exciter et d’avoir trop de fun. »

Quand Marco était derrière les barreaux, en 2014, les spectacles de la sorte n’étaient qu’un souvenir. « Ils ne font plus ça, se désole-t-il, évoquant l’opinion publique défavorable aux partys en prison.

Il dit que les autorités devraient repenser cette décision, car ce genre de divertissement aiderait à la réhabilitation des détenus. « Ça réchauffe le cœur de voir des gens de l’extérieur, ça t’enlève de la tête que t’es en prison pendant quelques heures. »

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Faute d’activités des Fêtes, un grand nombre de détenus se tournent vers les substances illicites.

« Les gens vont se réfugier dans les pilules, les somnifères, l'alcool, la drogue », raconte Marco. « Moi, mon premier Noël, je me suis arrangé pour avoir un peu de boboche. » Ce genre de sangria, à base de fruits, de ketchup et de patates fermentées avec du sucre, avait été préparée en cachette par un autre détenu et lui avait coûté 15 $ pour une bouteille de 500 ml.

Pour Sara*, une Québécoise incarcérée en Amérique centrale pour avoir tenté de transporter de la cocaïne au Canada, le temps des Fêtes est bien arrosé.

« Ici, les différents groupes d’amies se réunissent pour cuisiner une bonne nourriture, manger ensemble et bien sûr se saouler la gueule avec de la boboche, écrit-elle. Je suis tellement stressée. Pour Noël, tout ce que je veux, c’est être saoule. »

Daniel se souvient avoir été obligé de rester dans sa cellule après que les gardiens y ont trouvé un crayon trafiqué. « Ça me faisait quand même bizarre d’être enfermé comme ça la veille de Noël, écrit-il sur son blogue. Mais j’étais loin d’être le seul. Plus de la moitié des gens du secteur étaient punis. »

Daniel raconte que son premier Noël en liberté était aussi un défi. Après sept ans en prison, il ne savait pas comment renouer avec ses enfants. « C’est lassant toujours, ce questionnement à propos de la chose appropriée à faire, a-t-il écrit. C’est ce qui se passe lorsqu’on se retrouve à faire des années de prison pour n’avoir pas pris la bonne décision. On se dit toujours que le moindre faux pas peut avoir des répercussions horribles. »

En liberté provisoire, Marco vivra cette année ses premières fêtes en famille depuis trois ans. « Hier, j’avais mon souper de Noël à la maison de transition, raconte-t-il. Je suis très fébrile à l’idée de rejoindre mes proches. On va pleurer, mais de joie. »

De son côté, Sara ne sait pas encore quand elle retrouvera la liberté et dit s’être habituée à passer les Fêtes loin de sa famille et de ses amies. « On fête même si on n’est pas vraiment heureuses, c’est rendu ça la tradition. »

* Les noms ont été changés à la demande des détenus afin de préserver leur anonymat.