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La guerre que mènent les États-Unis dont vous n’avez jamais entendu parler

Les Forces armées américaines mènent dans l’ombre des actions militaires dans tout le continent africain.
Un formateur des forces spéciales américaines supervise un exercice d’assaut d’une unité de l’Armée populaire de libération du Soudan à Nzara, près de Yambio, le 29 novembre 2013. Photo : Andreea Campeanu, Reuters

Il y a six ans, un général des opérations spéciales des Forces armées américaines estimait qu'en tout temps, au moins 116 missions étaient menées simultanément dans le monde par les Navy SEALs, les Green Berets et d'autres forces d'opérations spéciales.

Aujourd'hui, d'après des documents que VICE a obtenus, les forces spéciales mènent simultanément près de 100 missions militaires… en Afrique seulement. C'est le plus récent indice de la présence discrète mais grandissante des militaires américains sur le continent.

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En 2006, seulement 1 % des commandos américains déployés à l'étranger étaient en Afrique. En 2010, 3 %. En 2016, après un bond considérable, 17 %. D'après les données fournies par le Commandement des opérations spéciales des États-Unis, c'est en Afrique qu'il y a maintenant le plus de soldats d'élite dans le monde après le Moyen-Orient. On compte 1 700 soldats disséminés dans une vingtaine de pays et chargés d'aider les partenaires africains des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme.

« En tout temps, le SOCAFRICA mène environ 96 missions dans une vingtaine de pays », écrit Donald Bolduc, le général des Forces armées américaines responsable du Commandement des opérations spéciales en Afrique (SOCAFRICA), dans un rapport d'octobre 2016. (Ce rapport de planification stratégique a été obtenu par VICE News grâce à la Loi sur l'accès à l'information). VICE a contacté le SOCAFRICA et le Commandement des États-Unis pour l'Afrique (AFRICOM) afin d'obtenir des précisions à propos de ces données. Nous n'avons reçu aucune réponse.

Le rapport d'octobre dernier donne néanmoins une idée de ce que font les soldats d'élite américains sur le continent africain et de leurs objectifs. Il dresse un portrait de la situation sur le terrain en Afrique et de ce qu'elle pourrait être dans 30 ans.

Ce portrait est sombre.

« Les défis auxquels est confrontée l'Afrique pourraient créer une menace qui surpasserait celle à laquelle les États-Unis font actuellement face à cause des conflits en Afghanistan, en Irak et en Syrie », prévient Bolduc. Il enchaîne en citant une liste de défis auxquels lui et ses effectifs sont confrontés : l'expansion de réseaux illégaux, les repaires de terroristes, les tentatives de déstabilisation du gouvernement et un afflux ininterrompu de nouvelles recrues et ressources.

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La solution de Bolduc est « d'accélérer les missions des forces d'opérations spéciales qui comblent les vides stratégiques et d'ajuster la structure des forces pour le présent et l'avenir ». En d'autres mots, plus de commandos américains qui en font plus dans plus de régions d'Afrique.

Par contre, Bolduc indique que les États-Unis ne sont pas en guerre en Afrique. Mais les opérations actuelles contre le groupe terroriste Al-Shabbaab en Somalie contredisent cette affirmation. Elles se déroulent fréquemment dans des zones tout sauf non gouvernées et infiniment complexes, que Bolduc appelle des « zones grises ».

En janvier, par exemple, des conseillers américains dirigeant une opération antiterroriste aux côtés des forces somaliennes et des soldats de la mission de l'Union Africaine en Somalie « ont observé que des combattants d'Al-Shabbaab représentaient une menace à leur sécurité » et « ont effectué une frappe préventive pour neutraliser la menace », d'après un communiqué de presse de l'AFRICOM.

Une patrouille des Green Berets américains avec les forces nigérianes dans le cadre d'un exercice en février. Photo : sergent Kulani Lakanaria

Plus tôt ce mois-ci, lors de ce qu'AFRICOM appelle une « opération de conseil et d'assistance avec les forces nationales somaliennes », le Navy SEAL Kyle Milliken a été tué et deux autres soldats américains ont été blessés au cours d'un échange de tirs avec les combattants d'Al-Shabbaab à 65 kilomètres à l'ouest de la capitale, Mogadiscio. La bataille a eu lieu peu après que Trump a assoupli les restrictions de l'administration Obama sur les opérations offensives en Somalie, donnant ainsi aux militaires américains plus de latitude et ouvrant la porte à des frappes aériennes et à des raids plus fréquents.

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« Cela nous permet de poursuivre les cibles plus rapidement », dit le général Thomas Waldhauser, commandant de l'AFRICOM. En avril, l'armée américaine aurait exigé l'emplacement des ONG œuvrant dans le pays, un indice qu'une escalade de la guerre contre Al-Shabbaab pourrait être imminente.

« Concernant les opérations antiterroristes en Somalie, il est clair que les États-Unis comptent sur des actions militaires dirigées à distance, qui avaient la faveur du président Obama », dit Jack Serle du Bureau of Investigative Journalism de Londres.

Récemment, les États-Unis ont misé davantage sur cette stratégie en menant avec les forces somaliennes et les soldats de l'Union africaine des missions dites de « formation, conseil et assistance » ainsi que d'autres types de missions « de soutien », selon Jack Serle. « Désormais, ils s'associent avec les forces de sécurité locales, mais ne prennent pas part à de véritables combats, d'après le Pentagone. Mais la vérité est difficile à cerner. »

Les opérations américaines en Somalie font partie d'une campagne antiterroriste menée à l'échelle du continent. Des forces d'opérations spéciales ont été déployées dans 32 pays africains en 2016, selon des sources publiques et l'information fournie par le Commandement des opérations spéciales. La pierre angulaire de cette stratégie est de former des alliés locaux — « renforcer les capacités de nos partenaires » dans le jargon militaire.

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« En formant et fournissant de l'équipement à nos partenaires, on renforce leur capacité à organiser, à maintenir et à employer une force antiterrorisme violent contre des ennemis mutuels », peut-on lire dans le rapport du SOCAFRICA.

Dans le cadre de sa participation croissante à la guerre contre Boko Haram dans le bassin du Tchad — qui couvre des régions du Nigeria, du Niger, du Cameroun et du Tchad — les États-Unis ont par exemple fourni 156 millions de dollars pour soutenir des unités locales au cours de l'année dernière.

En plus de la formation, des opérateurs américains, dont des membres de la SEAL Team 6, auraient soutenu des alliés africains dans au moins une demi-douzaine de raids par mois. En avril, un opérateur spécial américain aurait tué un combattant de l'Armée de résistance du Seigneur de Joseph Kony dans le cadre d'une opération menée en République centrafricaine. De plus, les Forces armées américaines seraient encore impliquées dans les conflits en Libye, après la fin de leur campagne aérienne contre l'EI en décembre dernier. « Nous allons maintenir notre présence au sol… nous allons obtenir des renseignements et éliminer des cibles quand elles apparaissent », a dit Waldhauser en mars.

Si Bolduc a affirmé qu'il y avait toujours environ 96 missions en cours menées par des opérateurs spéciaux, il n'a pas indiqué combien de missions au total étaient menées chaque année. Le SOCAFRICA n'a pas répondu à nos demandes répétées pour obtenir ce nombre.

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Cette augmentation marquée de la présence américaine va de pair avec la multiplication de groupes terroristes en Afrique. Une version de 2012 du rapport de planification du SOCAFRICA que VICE a aussi obtenu mentionnait cinq groupes terroristes majeurs. En 2016, on en compte sept — Al-Qaïda au Maghreb islamique, le groupe État islamique, Ansar Al-Sharia, Al-Mourabitoune, Boko Haram, l'Armée de résistance du Seigneur et al-Shabaab — en plus d'autres « organisations extrémistes violentes ». En 2015, Bolduc disait qu'il y avait près de 50 organisations terroristes et « groupes illégaux » en activité sur le continent africain.

Les attaques terroristes en Afrique subsaharienne ont augmenté de manière exponentielle au cours de la dernière décennie. Entre 2006 et 2015, le nombre d'attaques est passé d'à peu près 100 par année à près de 2000, d'après les données les plus récentes du National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism de l'Université du Maryland. « De 2010 à aujourd'hui, les organisations extrémistes violentes en Afrique sont parmi les organisations les plus meurtrières au monde. »

« Nous pensons que la situation en Afrique va s'aggraver sans notre aide », écrit Bolduc.

Colby Goodman, le directeur de Security Assistance Monitor, à Washington, a fait remarquer certains gains tactiques récents contre les groupes terroristes, mais estime que ce progrès pourrait être de courte durée et difficile à maintenir. « En ce qui concerne la stratégie antiterroriste en Afrique, dit-il, je m'inquiète de l'accent trop grand mis sur le soutien militaire des pays alliés au détriment d'une approche plus gouvernementale ainsi que de l'évaluation de qualité et de l'aide américaine à la sécurité de ces pays ».

Nick Turse est un journaliste d'investigation primé qui a écrit pour le New York Times, le Los Angeles Times et The Nation. Il collabore régulièrement à The Intercept. Son dernier livre est intitulé Next Time They'll Come to Count the Dead : War and Survival in South Sudan.