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Drogue

L'obsession des psychonautes pour les mélanges de drogues

Combiner plusieurs stupéfiants n’a jamais été une bonne idée, mais plein de gens le font.
Trip à l'acide

Mélanger les drogues n’est pas une bonne idée. Récemment, le cocktail fatal à Lil Peep à base de Xanax et de fentanyl – combiné avec de la coke et tout un tas d’autres opiacés – nous a rappelé que les choses peuvent mal tourner, lorsque nous traitons nos corps comme des sujets d’expérience de CM2. Cependant, en 2019, les barathons sont monnaie courante comme les beuveries à domicile et il serait presque novateur de faire une fête où une seule et même drogue est consommée tout du long de la soirée.

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D’où la popularité accrue du « flipping » – soit la prise de deux substances (minimum, l’une étant généralement un hallucinogène et l’autre de la MDMA) à intervalles réguliers dans l’optique d’une synergie des effets. Grâce au darknet, des drogues comme la DMT et le 2C-B – parties intégrantes de certains flips, mais dures à trouver au coin de la rue – sont disponibles plus facilement. De plus, la popularité des discussions autour de la drogue sur des forums tels Reddit a permis à beaucoup de personnes de découvrir ces flips, de les mettre en avant, et, en fin de compte, de les cocher sur leur liste comme le ferait un collectionneur invétéré de timbres.

Encore une fois, mélanger des drogues n’est pas une bonne idée. En fait, c’en est souvent une très mauvaise. Mais pour ceux qui comptent quand même le faire, il est important d’avoir autant de connaissances que possible sur ce qu’on fait entrer dans son corps. « Tester les substances demeure important pour ceux qui ont un fournisseur en qui ils ont confiance et beaucoup d’expérience », dit Guy Jones, dirigeant chez Reagent Tests UK, qui vend un kit de tests « à la MDMA et aux psychédéliques ». « Même si au sein de la chaîne de production, quelqu’un teste, il ne voudra peut-être pas jeter à la poubelle un truc dans lequel il vient de mettre 800 euros, affirme Guy Jones. L’expérience ne suffit pas non plus, lors des deux dernières années nous avons vu beaucoup de problèmes avec l’éphylone [qui peut provoquer une psychose temporaire] précisément parce que les morceaux cristallins ressemblent de très près à de la MDMA ».

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J’ai discuté avec certains de ces « flippers » pour savoir s’il y a derrière ce phénomène quelque chose de plus que de simples jeunes hommes et femmes qui veulent se démonter la gueule autant que possible.

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Photo : VICE

LE KITTY FLIPPING : MDMA ET KÉTAMINE

Les consommateurs évitent de prendre de la kéta avant d’être défoncés à la MD parce que cela étouffe la défonce, disent-ils. Derrière ce mauvais côté manifeste, les dangers de la MD incluent : des coups de chaleur, l’hyponatrémie (boire trop d’eau, potentiellement fatal), et la neurotoxicité (les dégâts sur la production de sérotonine), tandis que ceux de la kéta comprennent les contractions d’estomac et les problèmes de vessie.

Stevan, un Monténégrin de 28 ans, décrit son récent « kitty flip » comme tel : « Au moment où je me suis allongé sur le matelas [de mon ami], la conscience de mon être s’est échappé de ma tête. Les couleurs étaient pastel, comme si quelqu’un avait dessiné la pièce avec des craies de couleur. Quand je me concentrais sur la lumière du plafond, j’avais l’impression que c’était la lune ». Stevan dit qu’il s’est senti flotter au-dessus de son corps et que, très vite, les hallucinations sont devenues plus fortes : « Peu importe ce qui me venait à l’esprit, je pouvais me le représenter visuellement devant moi, c’était plus réel que tout rêve lucide que j’avais pu avoir ».

LE NEXUS FLIPPING: MDMA ET 2C-B

Le 2C-B est un psychédélique disponible sous formes de poudre et de cachets – environ 8 euros l’unité – et il est souvent décrit comme un mix entre la MDMA et le LSD. Même s’il a été inventé dans les années 1970, sa popularité a connu un élan récent, surtout parmi les clubbers. Comme avec tous les psychédéliques, le syndrome post-hallucinatoire persistant (HPPD en anglais) peut accompagner une prise importante de 2C-B, ce qui veut dire que ses effets sont ressentis longtemps après qu’il a quitté le corps.

Le but du nexus flipping est d’étendre l’euphorie de la MD, et on y parvient en prenant le 2C-B au moment où s’apprête à descendre. Puis, 45 minutes plus tard, vous planez à nouveau - avec les visuels améliorés du psychédélique.

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Ricky, 19 ans, de Melbourne, se souvient précisément du sentiment qui l'a envahi : « La vraie beauté du nexus flip est la transition entre deux incroyables états d’esprit. Je me sentais très bien émotionnellement [grâce à la MDMA], et en même temps je ressentais le côté électrique du 2C-B ». Ricky dit qu’entre les deux drogues, il a atteint son maximum pendant six à sept heures. « La musique avait un côté complètement orgasmique, les sensations de mon corps n’étaient pas de ce monde. Je mets dix sur dix à cette expérience ».

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Photo: VICE

LE CANDYFLIPPING: LSD ET MDMA

Le candyflipping a le vent en poupe depuis les années 1990, il est le flip le plus ancien et le plus répandu à travers le monde. Généralement décrit comme ayant des propriétés qui peuvent changer la vie (dans le bon ou le mauvais sens), il peut souvent vous guérir ou vous niquer, selon la quantité absorbée. Les consommateurs aiment prendre la MDMA à peu près quatre heures après le LSD, expérimentant ainsi le maximum de l’acide avant d’augmenter l’euphorie.

Le nombre de posts sur des forums comme Reddit de gens dont la première prise d’acide s’apparente à du candyflipping est un problème. C’est évidemment peu judicieux, et pourtant les contes de la culture de la drogue sur Internet tendent vers les extrêmes. En effet, dans un environnement où les gens qui gobent du Xanax sont idéalisés et où les « psychonautes » jouent à qui a eu la plus grosse mort de l’égo, un trip normal à l’acide semble effectivement un peu convenu.

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En plus du syndrome post-hallucinatoire persistant, les dangers de l’usage de LSD incluent les « bad trips », remplis de peur et de paranoïa, et l’exacerbation des problèmes de santé mentale déjà existants.

Jack, 17 ans, de Bristol, se rappelle que l'effet LSD s’est estompé à la prise de MDMA : « Mais, dès que [mon ami et moi] avons pris la MD, mes visions sont revenues à un stade similaire à celle de mon pic ». Jack a avalé l’acide avant une rave il y a plusieurs semaines, à 19 heures. « On est restés debout jusqu’à 6 heures du matin mais j’étais tellement stimulé que je n’arrivais pas à dormir. J’avais toujours des visions à 8 heures du matin, c’était dingue. J’ai aussi eu des hallucinations auditives, j’entendais la musique de la rave, encore et encore ».

LE HIPPIE FLIPPING : CHAMPIGNONS PSILOCYBES ET MDMA

Encore plus intense que le candyflipping, parce que les champis sont plus intenses que l’acide.

Robert, 40 ans, du Wisconsin aux États-Unis, est la personne la plus vieille que j’ai interviewée pour cet article. Contrairement aux autres, qui ont découvert le flipping sur Internet, Robert en a entendu parler via un collègue. « J’avais 37 ou 38 ans quand j’ai fait mon premier hippie flip, dit-il. Je n’étais pas autant ouvert sur ma consommation de psychédéliques avec ma compagne à l’époque, donc j’ai attendu qu’elle aille au lit et puis j’ai pris les champis ».

Après avoir enchaîné avec la MD, Robert dit qu’il s’est allongé dans la chambre d’ami : « Je me suis senti comme enveloppé par une émotion incroyable. C’était comme si je me liais à tout ce que je touchais et, bien sûr, toutes mes douleurs disparaissaient. Ce dont je me rappelle surtout après ça, c’est de me rouler dans le lit en me sentant merveilleusement bien, comme si l’univers me faisait un câlin pendant deux heures, avant de m’assoupir ».

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Évidemment, les dangers du LSD s’appliquent aussi aux champignons, et vous pouvez les multiplier par deux lorsque vous envisagez ce qui suit.

JEDI FLIPPING: LSD, CHAMPIGNONS PSILOCYBES ET MDMA

Ne faites pas de Jedi flip à moins d’accepter la possibilité de passer le reste de votre vie dans des sweats tie and dye à parler d’une manière qui éveille un soupçon de stress post-traumatique.

David, 20 ans, de York, parle de son expérience : « Ma vision était enveloppée de chaleur et d’images complexes. J’ai remarqué des lignes de mouvement bien plus grandes - genre, mon pote s’asseyait après s’être servi un verre et je le voyais s'asseoir cinq fois supplémentaires après qu’il [ait vraiment posé] son corps ».

Le point culminant du Jedi flip est intervenu lorsque David a quitté son appartement pour que ses amis puissent fumer : « En marchant dans les couloirs blancs, tout prenait une teinte violette. Les murs et le plafond ont commencé à s’étendre, se contracter verticalement et horizontalement, comme si on gonflait et éclatait un ballon de baudruche ». En terme de défonce sur le corps, David dit : « Ce sur quoi j’arrivais à me concentrer était intensément euphorique, un mélange entre la relaxation des champignons et la stimulation du LSD et de la MDMA. J’ai remarqué que c’était une expérience physique unique - lorsque les visuels ne détournaient pas mon attention ».

***

La montée du flipping semble être le reflet d’une culture digitale de la drogue qui oscille entre le show off et la réduction des risques. En même temps, le flipping est peut-être aussi le point culminant d’une croyance répandue chez les consommateurs qui veut que, si les substances vous emmènent loin mais ne vous tuent pas, elles font de vous une meilleure personne. Posez la question à certaines personnes interviewées plus haut, et elles vous raconteront des histoires de développement personnel. Leur consommation intense de drogues les aiderait à combattre « la dépression et l’anxiété » et à se défaire des boulots sans issue. Cela dit, pour d'autres personnes interrogées, leurs objectifs à court terme tournent autour de « se créer des souvenirs » et « se démonter ».

Peut-être que ça n’a pas d’importance que le flipping soit une forme élaborée de thérapie ou simplement de l’hédonisme pluri-drogues avec un nom intelligent. Il est plus pertinent de noter que dans le futur, à mesure que les gens se sentent plus oppressés par des choses comme la pauvreté et les maladies mentales – et à mesure que le deal sur le darknet et les forums deviennent des parties encore plus importantes de la culture de la drogue – la soif du flipping va inévitablement devenir plus prégnante.

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